"L’offensive par le réel"

30/01/2022 - 4 min. de lecture

"L’offensive par le réel" - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire puis directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.

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Trois techniques de recueil d’information

1/3 : "L’offensive par le réel"

2/3 : "La défensive par le mensonge"

3/3 :  "L'enfumage"

Tout pays engagé dans le concert des nations se doit de ne pas ignorer que les relations diplomatiques, économiques et humaines n’empêchent pas les rivalités, les luttes de pouvoir, voire les offensives. Les intentions ne sont naturellement pas toujours hostiles, mais les antagonismes ne disparaissent jamais réellement : les rapports de force entre États, entre entreprises ou entre personnes aux intérêts divergents demeurent et de nouvelles violences ont émergé venant de réseaux privés, du crime organisé ou d’organisations terroristes en lutte contre le modèle occidental. Le terrorisme a ensanglanté nos rues avec un niveau de préparation et d’intensité qui a mis à l’épreuve nos capacités de détection, d’alerte, de compréhension et de protection.

Afin de parer aux menaces et dangers, tant intérieurs qu’extérieurs, tout pays se doit d’en être informé afin d’être capable de les anticiper. Le recueil des informations, si nécessaires à notre défense, nécessitera, à un moment ou à un autre, des personnes au plus près du terrain. Ici, entre en scène la figure de l’agent. Il aura recours à différentes techniques, parfois au péril de sa vie, pour capter l’information la plus pertinente, souvent confidentielle, afin que nos dirigeants anticipent, agissent, voire réagissent, et protègent la vie de nos sociétés.

Il n'est pas ici question de décrire de manière exhaustive les moyens, pour beaucoup trop confidentiels, utilisés par celles et ceux qui, sur le terrain, sont amenés à réaliser ce travail de captation de l'information, par la voie humaine ou technologique, et dont la révélation pourrait les mettre en danger. Mais j’ai envie d’évoquer avec vous lors des prochaines semaines 3 techniques de recueil d'information, liées à l’humain, dont j'ai pu constater l'efficacité et dont les remontées terrain des agents les plus brillants ont confirmé l’efficacité.


"L’offensive par le réel"

La première technique est celle je qualifierais d’"offensive par le réel". L'un des points de vulnérabilité des personnes, dont on s'accorde à dire qu'elles sont très intelligentes (cœur de cible en tant que sources détentrices d'informations potentiellement confidentielles ou de première importance dans des domaines comme le nucléaire, la recherche fondamentale, etc.), est leur capacité à hiérarchiser la difficulté des projets qu’elles ont réalisés. Elles savent distinguer le simple du complexe, le temps court du temps long, l’éphémère de l’absolu. Un agent qui voudrait gagner les faveurs de telles personnes, devra alors épouser leur complexité : un jeu se mettra en place où il fera apparaître une sensibilité au temps long, à l’absolu, à la recherche de la vérité, afin de susciter le respect de sa cible.

En montrant une grande proximité avec la cible et en lui faisant comprendre qu’il reconnaît en elle un être d’exception, un agent habile gagnera ainsi sa confiance. 

L’efficacité d’une telle technique sera renforcée auprès des cibles confrontées à un sentiment de solitude, dur à supporter, comme par exemple les personnes que l’on qualifie aujourd’hui de HPI (haut potentiel intellectuel) ou HPE (haut potentiel émotionnel). La volonté d’échapper à leur solitude constitue chez elles un ressort très puissant qu’un agent formé saura parfaitement exploiter. La singularité de ces êtres les détourne souvent des institutions, de l’État, dont les intérêts leur apparaissent alors comme dérisoires. Épris puissamment de liberté, ils rêvent au fond de rejoindre une communauté d’esprit désintéressée, partageant leur idéal, libérée des contingences matérielles, dans un état presque de lévitation. En apesanteur.

Cette dimension de pureté, si magnifique dans le texte, est cependant dangereuse pour l’État, l’entreprise, ou tout autre organisation qui leur aura confié des informations confidentielles. Leur subjectivité les conduit en effet à s’ouvrir trop pleinement quand ils sont en confiance, ne supportant pas de ne pas être dans un rapport de vérité avec un être qui semble, lui aussi, partager cette démarche de vérité. Cependant, derrière cette recherche de transparence, se cache, très souvent, selon mon expérience, une réalité plus platement prosaïque, qui est l’ego. C’est pour cette raison que l’être froid et rationnel présente moins de prises et rassure des services ou des entreprises qui doivent confier des missions confidentielles.

Il ne surprendra pas les initiés que les analyses lacaniennes, dures, froides, intransigeantes avec nos fantasmes, soumises à l’exigence du réel, sont souvent les plus appropriées pour la préparation de ces agents de haute volée et leur permettront d’être d’une implacable efficacité dans la réalisation de leurs missions. Elles développeront chez eux cette capacité à ne plus croire, à comprendre que la fabrique de leurs fantasmes est une zone de vulnérabilité qu’il est impossible de maîtriser, mais qu’il est, en revanche, possible d’accepter, acte final (?) d’un travail analytique. À défaut d'un travail analytique, le debriefing constant sera une bonne méthode pour éviter de créer des poches émotionnelles sources potentielles de vulnérabilité pour toute personne détentrice d'informations confidentielles ou tout simplement en mission.

Cette technique redoutable, qui n’est mise en œuvre que par les meilleurs agents, souvent HPI eux-mêmes et issus presque toujours de la société civile, est bien différente de celle qui repose sur la vulgaire flatterie, dont le ressort est aussi l’ego. Si la flatterie fonctionne, ce n’est qu’avec des cibles qui ont un besoin insatiable de légitimation, de réassurance d’elles-mêmes et donc un besoin constant d’exister. Il s’agira alors de cibles en général non issues des services, mais qui, en raison de leur milieu social d’origine, de leur milieu professionnel ou de leur proximité avec le pouvoir, détiendront des informations confidentielles qu’il faudra acquérir. Ces êtres sont souvent dangereux car instables, imprévisibles, parfois agressifs, et très manipulables...

Général (2s) Jean-Pierre Meyer 

30/01/2022

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