Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Alain Bollé est Avocat.
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La Convention internationale des Nations Unies pour la répression du financement du terrorisme de 1999 rappelle qu’il s’agit d’un sujet préoccupant gravement la communauté internationale tout entière, le nombre et la gravité des actes de terrorisme international étant fonction des ressources financières obtenues par les terroristes.
En France, le financement du terrorisme est prévu au code pénal : « Constitue également un acte de terrorisme le fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin, dans l'intention de voir ces fonds, valeurs ou biens utilisés ou en sachant qu'ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre l'un quelconque des actes de terrorisme prévus au présent chapitre, indépendamment de la survenance éventuelle d'un tel acte[1] ».
Quelque que soit la nature d’une entreprise, elle ne peut fonctionner que si elle dispose d'une trésorerie, l’organisation terroriste n’échappe pas à cette nécessité. La notion d’’entreprise terroriste pourrait être sujette à interprétation s’agissant de l’emploi du terme « entreprise » qui présente deux aspects.
Une définition de l'entreprise au sens de la structure, de l’organisation. Cette approche est conforme aux prescriptions de l’article 421-2-1 du code pénal précisant qu’il s’agit d’un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme.
Une définition centrée sur la nature de l’action, c’est à dire « entreprendre ». Il ne s’agit plus de considérer la structure mais son mode d’action. D’ailleurs le code pénal mentionne l’entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur[2].
En France, l’infraction de financement du terrorisme s’applique indifféremment à une personne ou à une organisation[3].
L’infraction de financement du terrorisme peut être caractérisée sur deux fondements, le premier qui consiste à fournir, réunir, gérer les fonds, des valeurs ou des biens quelconques et le second en donnant des conseils pour attendre un objectif déterminé[4].
Dans les deux cas, il convient de mettre en exergue d’une part la provenance des fonds et d’autre part le mode d’acheminement des capitaux.
I. LA PROVENANCE DES FONDS
La législation mentionne quatre modes d’action (Fournir, réunir, gérer et conseiller), mais, les capitaux peuvent trouver leur origine dans différentes sources.
1.1. L’encadrement légal du financement du terrorisme
La Convention internationale des Nations Unies pour la répression du financement du terrorisme de 1999 définit les fonds : « fonds, s’entend des biens de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, acquis par quelque moyen que ce soit, y compris sous forme électronique ou numérique, qui attestent un droit de propriété ou un intérêt sur ces biens, et notamment les crédits bancaires, chèques de voyages, les chèques bancaires, les mandats, les actions, les titres, les obligations, les traites et les lettres de crédit, sans que cette énumération soit limitative ».
L’article 33 de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne a introduit dans le code pénal l’article 421-2-2. Bien que cette incrimination ne reprenne pas la totalité des termes de la Convention sur les moyens de financer le terrorisme, il ne fait aucun doute en précisant « des fonds, des valeurs ou des biens quelconques » qu’elle en vise la totalité.
L’article 421-2-2 du code pénal mentionne quatre modes d’action dont les trois premiers caractérisent le processus de financement du terrorisme.
Dans un premier temps, il convient de trouver des fonds, valeurs ou biens quelconques : la fourniture. Ils peuvent provenir d’une donation[5], de l’adhésion fictive à une association ou à une organisation non gouvernementale…
Puis ensuite, il faut les regrouper : la réunion. De nombreuses techniques peuvent être mises en œuvre, transferts de fonds formels ou informels, utilisation de la cryptomonnaie…
Enfin, ils doivent parvenir à leur destinataire : gérer. Le gestionnaire, à cet effet, organise le stockage de volumes, plus ou moins importants, d'espèces ou de marchandises de grande valeur (pétrole, objets d'art ou d’antiquités, produits agricoles, métaux et pierres précieux et véhicules d'occasion). Il doit prévoir leur acheminement, après parfois les avoir convertis en d’autres biens (espèces, métaux précieux…). In-fine, il doit pourvoir à leur distribution.
L’organisation peut décider de réaliser elle-même ces différentes phases, elle a alors besoin d’un conseil. Le conseiller, très souvent sympathisant, est un spécialise qui donne un avis sur l’organisation des différentes étapes.
La rédaction de l’article 421-2-2 du code pénal, même si l’analyse admet une certaine chronologie, permet de poursuivre isolément les différents comportements énumérés à cet article.
1.2. Les moyens de financer le terrorisme
Les terroristes peuvent recourir à plusieurs moyens pour financer leur organisation, notamment la perception de dons, la levée de fonds et la récupération de capitaux d’origine illicite.
Les fonds peuvent provenir de personnes physiques, sympathisants à la cause ou membres de la famille. Ils n’ont pas nécessairement connaissance de l’utilisation des fonds. Ainsi, le sympathisant, ayant rejoint un pays en guerre, peut faire croire, aux membres de sa famille, qu’il vend sur Internet des objets qu’il fabrique. Il explique, le pays étant en guerre, que le système bancaire ne peut être utilisé et demande aux membres de sa famille de recevoir le produit de la vente. En réalité la vente n’existe pas, l’argent qui arrive sur le compte des membres de la famille provient de dons de sympathisants. Le titulaire du compte, ignorant la réalité de l’opération, renvoie l’argent par un moyen indiqué, notamment par des sociétés de transfert de fonds, par l’utilisation de la cryptomonnaie…. Les fonds sont retirés par un destinataire désigné par le sympathisant.
Les dons peuvent également provenir d’organisations caritatives à but non lucratif ou d’entreprises par des prélèvements sur les salaires, par la perception de prestations sociales… L’appel aux dons est d’ailleurs facilité par l’encouragement des gouvernements à aider les populations vulnérables ou en souffrance. Ces opérations sont incitées par de nombreux pays qui autorisent les contribuables à déduire de leurs revenus l'intégralité ou une partie de leurs dons.
Les organisateurs du financement utilisent les réseaux sociaux, notamment ceux qui permettent des échanges cryptés (signal, télégram…) ou ont recours à des sites de financement participatif[6].
La levée de fonds est opérée auprès de membres de leur communauté, notamment dans les lieux de cultes, certains commerces. Dans ces établissements, de faibles montants sont prélevés sur le chiffre d’affaires, puis l’argent est regroupé et transmis aux organisations terroristes. Les mouvements sont justifiés par la création de charges fictives ou par l’augmentation de charges existantes.
Les activités criminelles restent une source importante de financement. Certaines organisations terroristes n’hésitent pas à faire appel à des réseaux criminels indépendants chargés de collecter des fonds. Les principales infractions identifiées sont le trafic de stupéfiants, la fraude aux prestations sociales, la cybercriminalité, le détournement de fonds publics et le recours à des remboursements fictifs.
Par ailleurs, les organisations terroristes, implantées dans de vastes zones géographiques, peuvent saisir les actifs financiers et ressources naturels appartenant à l’État, sur le territoire qu'ils contrôlent. Les avoirs et ressources non monétaires (les antiquités, le pétrole brut, le gaz naturel, les minerais, les métaux et pierres précieux) sont convertis en numéraire par des transactions occultes ou sur le marché parallèle pour être utilisés par les organisations terroristes. La conversion est généralement effectuée en dehors du territoire ou des pays d’implantation des organisations terroristes.
Lorsque les organisations caritatives gèrent les espèces, il est difficile de reconstituer l'origine, le déplacement et l'utilisation des fonds. Certaines d'entre elles ont développé un réseau international et œuvrent avec d'autres groupes situés à proximité de zones de conflits.
II. L’ACHEMINEMENT DES FONDS A DESTINATION DES TERRORISTES
Le principe général de la circulation des capitaux est celui de la liberté, les relations financières entre la France et l'étranger sont libres[7]. Cependant cette liberté est limitée par le respect des engagements internationaux souscrits par la France, laquelle participe activement à la lutte contre le financement du terrorisme.
Les principaux moyens utilisés, par les organisations terroristes, sont, notamment, les transferts de fonds formels ou informels et l’utilisation de la cryptomonnaie.
2.1. Les transferts de fonds formels et informels
La France a introduit dans son dispositif législatif des mesures spécifiques pour le contrôle des mouvements de fonds réalisés avec des pays présentant un risque élevé de financement du terrorisme en raison de l'origine ou de la destination des fonds. En effet, certains professionnels ont l’obligation de porter à la connaissance d’une autorité[8], les anomalies qu’ils constatent. Lorsqu’une incohérence est identifiée, le service national, TRACFIN, peut s'opposer à l'exécution d'une opération non encore exécutée[9].
Celui qui contrevient ou aura tenté de contrevenir à la législation et à la réglementation relatives aux relations financières avec l'étranger, sera puni d'une peine d'emprisonnement de cinq ans. Il encourt également la confiscation du corps du délit, de la confiscation des moyens de transport utilisés pour la fraude, de la confiscation des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l'infraction ainsi qu’une amende égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction[10].
En principe, l’acheminement des fonds par le système bancaire formel, réalisé entre des pays d’origine et de destination, présente des garanties de traçabilité. Les banques disposent d’un moyen de contrôle. En effet, la connaissance des pays « listés », avec lesquels les transactions sont proscrites, est facilitée par un outil (carte interactive) public mis à la disposition des assujettis par la direction générale des Douanes[11]. En outre, le Trésor Public diffuse en ligne, à la disposition du public, une liste actualisée des organisations terroristes[12].
La Communauté européenne s’est dotée d’un règlement encadrant les opérations de transfert de fonds[13]. La traçabilité des transferts de fonds peut être un moyen particulièrement important et précieux pour prévenir et détecter le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Selon le Règlement Européen, les flux d'argent illicite circulant par l'intermédiaire de transferts de fonds peuvent nuire à l'intégrité, à la stabilité et à la réputation du secteur financier et menacer le marché intérieur de l'Union, ainsi que le développement international. Le financement du terrorisme demeure l’un des problèmes majeurs, auxquels il convient de trouver une réponse au niveau de l'Union. La solidité, l'intégrité et la stabilité du système de transferts de fonds, ainsi que la confiance dans l'ensemble du système financier sont gravement compromises par les tentatives des criminels et leurs complices de masquer l'origine des produits du crime ou de transférer des fonds pour des activités criminelles ou à des fins terroristes[14].
Les opérateurs de transfert de fonds sont soumis à des obligations réglementaires, la vigilance des opérations. Avant de commencer leur activité, ils doivent déposer un dossier de demande d’agrément auprès d’une autorité de contrôle[15]. L’obtention de cet agrément les soumet à la surveillance et au contrôle de cette autorité.
Pour chaque transfert de fonds, l’opérateur doit vérifier, avant d’effectuer l’opération, la présence de certaines informations sur le donneur d’ordre et sur le bénéficiaire [16].
Dès lors, pour acheminer des fonds, le système bancaire et financier étant sous surveillance les terroristes mettent en œuvre des mesures propres à éviter une possible traçabilité des fonds, notamment en utilisant les transferts de fonds informels.
Le principe de base de tout système de transferts de fonds informels[17] est de faire circuler l'argent à travers un réseau d'individus. En général, un client donne une somme d'argent à l'un de ces individus, qui contacte l'agent le plus proche du destinataire de cette somme et lui demande de la lui verser (moins une commission, généralement) en échange de la promesse de la lui rembourser plus tard.
Ce système fonctionne sans transmission physique de moyen de paiement (outil de représentation de valeur comme la monnaie), et repose entièrement sur la confiance entre les individus, il ne dépend pas du cadre légal applicable aux contrats.
Les transactions ne sont jamais répertoriées, ni inscrites sur un registre. La seule obligation des membres du réseau est de garder en mémoire les informations relatives au montant de la dette existante entre les membres du réseau. La dette peut faire l’objet d’un règlement en s’inspirant du mode de fonctionnement des lettres de change[18].
Ce mécanisme de règlement des dettes permet aux instigateurs de contourner les taux de change officiels en pratiquant leurs propres taux. Outre l’alimentation financière au moyen de dons, il offre une possibilité de revenus complémentaires. Le transfert de fonds informels évite les taxes, la régulation de la monnaie et le contrôle des échanges extérieurs. Il est illégal dans de nombreux pays, car il favorise le financement du terrorisme.
Cependant, le système de transferts de fonds existe officiellement dans quelques pays (arabes, indien…).
2.2. L’utilisation de la cryptomonnaie
La cryptomonnaie est une devise virtuelle, ne disposant pas d’une forme physique. Elle s'échange sur un système informatique décentralisé, appelé blockchain. Le code source d'une chaine blockchain se base sur les principes de la cryptographie pour valider les transactions et émettre la monnaie. Il existe plusieurs types de cryptomonnaies, celles qui sont associées à une plateforme informatique, celles qui utilisent un jeton numérique (TOKEN) ou celles qui permettent la création d’usages nouveaux.
La plus connue des cryptomonnaies est le bitcoin[19]. Il permet in-fine d'acheter et échanger des devises contre d'autres devises en utilisant le réseau Internet. Indépendant des autorités de régulation monétaire de la banque centrale européenne (BCE) ou la réserve fédérale des États-Unis (FED), il n’est pas soumis à la surveillance des gouvernements. Cette monnaie est choisie car elle ne génère pas de frais de transaction et ne provoque pas de retard lors des transferts, contrairement à la monnaie fiduciaire traditionnelle.
L’utilisation du bitcoin nécessite l’installation sur un ordinateur d’un porte-monnaie[20]. Ce porte-monnaie génère une première adresse Bitcoin communiquée à un bénéficiaire lui permettant l’accès à cette monnaie. L’échange des Bitcoins est comparable à l’échange de courriels. L’encaissement des bitcoins est réalisé par les combattants sur une plateforme dédiée. Les bitcoins sont versés, à un tiers inconnu des listes terroristes, après la vérification d’un justificatif d’identité.
D’autres possibilités d’utiliser la cryptomonnaie sont offerts par des distributeurs qui vendent, notamment les débits de boissons, des coupons sur lesquels figurent un numéro d’identification.
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Les organisations terroristes à l’instar des structures sociétales ont besoin d’argent pour perpétrer leurs actions. Afin de pérenniser leur trésorerie, elles doivent sans cesse développer des techniques indétectables.
La surveillance des flux reste le meilleur moyen d’identifier l’origine et la destination des fonds pour lutter efficacement contre le financement du terrorisme. C’est évidemment plus difficile à contrôler en cas de recours aux transferts de fonds informels ou lors de l’utilisation de la cryptomonnaie.
Un dispositif international interdisant les transferts informels et l’instauration d’un dispositif de régulation de la cryptomonnaie faciliterai la lutte contre le financement du terrorisme.
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Alain Bollé
[1] Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.
[2] Article 421-2-2 du code pénal.
[3] LOI n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.
[4] Article 421-2-2 du code pénal.
[5] Article 893 du code civil.
[6] Le financement participatif, ou crowdfunding, est un échange de fonds entre individus en dehors des circuits financiers institutionnels, afin de financer un projet via une plateforme en ligne.
[7] Article L.151-1 du code monétaire et financier.
[8] Tracfin est un Service de renseignement placé sous l'autorité du ministère de l’Action et des Comptes publics. Il est chargé de recueillir, analyser et enrichir les déclarations de soupçons que les professionnels assujettis sont tenus, par la loi, de lui déclarer.
[9] Article L.561-24 du code monétaire et financier.
[10] Article 459 du code des douanes.
[11] www.douanes.gouv.fr
[12] Ordonnance 2020-1342 du 4 novembre 2020 renforçant le dispositif de gel des avoirs et d'interdiction de mise à disposition.
[13] Règlement (UE) 2015/847 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 sur les informations accompagnant les transferts de fonds.
[14] Règlement (UE) 2015/847 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 sur les informations accompagnant les transferts de fonds.
[15] Pour la France, il s’agit de l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
[16] Règlement (UE) 2015/847 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 sur les informations accompagnant les transferts de fonds.
[17] Le système le plus connu est « Hawala ».
[18] Article L.511-1 et suivants du code de commerce.
[19] Addition des mots anglais bit (contraction de binary digit, l'unité binaire) et coin (pièce de monnaie).
[20] Un portefeuille de crypto-monnaie, comparable à un compte bancaire, contient une paire de clés cryptographiques publiques et privées. Une clé publique permet à d'autres portefeuilles d'effectuer des paiements à l'adresse du portefeuille, tandis qu'une clé privée permet de dépenser de la crypto-monnaie à partir de cette adresse
19/03/2021