Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire puis directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.
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VISITE DES FORCES DANS LE GOLFE
La date (opportune)
Le Président de la République avait annoncé, au cours d’une conférence de presse, qu’il se rendrait dans le Golfe pour visiter les forces françaises. La date fut fixée aux 3 et 4 octobre 1990. Cette date, qui n’avait pas été choisie au hasard, coïncidait avec celle de la première célébration de la réunification allemande et de l’unité retrouvée de cette nation. Or, peut-être l’a-t-on oublié, le PR avait à cette époque peu goûté cette réunification, qui s’était faite sans que le chancelier Helmut Kohl, qu’il voyait pourtant au moins une fois par mois, n’ait pris soin de l’en aviser ou d’en discuter avec lui. Il considérait qu’il avait été placé devant le fait accompli et jugeait cette réunification par trop précipitée. Il demeurait aussi sous l’emprise des souvenirs de la puissance allemande de la 2nde guerre mondiale. Aussi cette tournée d’inspection des troupes dans le Golfe lui permettait-elle opportunément d’échapper à cet évènement.
La préparation (difficile)
La préparation de notre voyage ne se fit pas sans difficultés. Militaires, diplomates, communicants, toute une nuée de personnes, voulaient profiter de ce déplacement présidentiel pour faire prévaloir leurs positions respectives.
Pour les militaires, le chef des Armées venait « visiter les forces de la France avant la bataille ». C’était Clemenceau dans les tranchées de la 1ère guerre mondiale !
Pour les diplomates, le militaire ne devait pas primer le politique : ce déplacement devait avant tout permettre de montrer aux Etats du golfe (principalement les Emirats Arabes Unis, le Qatar et l’Arabie Saoudite), mais aussi, plus en arrière-plan, à l’Egypte et à Oman (qui participaient à la coalisation et qui étaient des éléments incontournables de la politique étrangère française au Moyen-Orient) que la France était physiquement présente dans la région avec son armée et qu’elle était là pour participer à leur sécurité. Il faut savoir que la France entretient d’étroites relations avec ces états du Golfe sur les plans politiques, économiques et militaires, en particulier pour la vente d’armements.
Pour les communicants, c’est-à-dire « l’image du Président », cette tournée devait permettre de présenter un PR sous une « image inversée » : un Président chef des armées, mais pas chef de guerre, qui visite ses soldats, mais ne harangue pas ses troupes. Les images télévisées devaient montrer le moins souvent possible le PR avec des militaires, mais elles devaient être comme imprégnées par l’ambiance et l’environnement militaire.
Après de nombreuses discussions et des réunions sans fin, le programme suivant fut accepté par le PR : notre première étape serait Abu Dhabi aux EAU pour rencontrer le Cheikh Zayed, et visiter les forces navales et terrestres qui s’y trouvaient ; le PR passerait ensuite la nuit sur la frégate Dupleix de la Marine Nationale qui croisait au large ; notre seconde étape nous porterait le lendemain à Djeddah en Arabie Saoudite pour y rencontrer le roi Fahd ; enfin, nous terminerions notre tournée par l’inspection des troupes à Yanbu.
Les participants (en nombre réduit)
Le 3 Octobre, le Concorde décolla de Roissy. Dans sa configuration présidentielle l’avion avait une capacité réduite à 50 passagers, ce qui correspondait au nombre de personnes constituant la délégation présidentielle. La délégation avait été spécialement réduite pour ce déplacement, à la fois par manque de place dans l’avion, mais aussi parce que les « sables chauds » en période de tension guerrière n’attiraient pas grand monde…. La presse elle-même n’était pas très nombreuse. Elle prétextait que ce déplacement présidentiel n’avait d’autre importance que la visite des soldats. Outre le PR et le ministre des affaires étrangères (MAE), étaient également présents le Ministre de la défense (MINDEF), le chef d’état-major des Armées (CEMA) et les Présidents des Commissions de la défense à l’Assemblée et au Sénat. Les conseillers civils et militaires les plus proches du PR à l’Elysée étaient aussi du voyage.
Les visites diplomatiques (entre Abu Dhabi et Djeddah)
L’atterrissage à Abu Dhabi s’effectua sans difficulté, mais l’on arriva sous une chaleur étouffante. La température avoisinait les 40°C, sans parler de l’humidité, qui était lourde à supporter. L'Emir des EAU accueillit le Président au pied de la passerelle afin de lui marquer toute sa déférence. Quelques mots de bienvenue, puis en voiture ! pour le palais des hôtes. Quel palais ! Il était tout luxe, marbres, ors et vermeils. C’était l’ancienne résidence du Cheikh, avant qu’il se fasse construire un autre palais, encore plus beau et luxueux. Le PR demeurait cependant froid devant cette profusion d’ors et me dit qu’il goûtait peu une telle ostentation.
La rencontre entre le PR et le Cheikh ne fut pas très longue : ce dernier lui fit part de son inquiétude devant l’attitude de Saddam Hussein, qui, après le Koweït, pourrait très bien s’en prendre aux autres pays voisins, dont le sien. Le PR rassura son homologue, en insistant sur l’engagement de la France pour la sécurité de son pays. Il lui rappela l’objet de sa tournée qui était de visiter les forces françaises présentes sur place à Abu Dhabi - en l’occurrence, ces forces étaient terrestres pour assurer une défense antiaérienne et navale, avec la présence de la Frégate Dupleix qui croisait au large.
Il nous fallu ensuite rejoindre par hélicoptère notre frégate, le Dupleix, terminus de notre harassante journée. Cet épisode fut l’occasion d’un cocasse coup politique du PR. Celui-ci m’avait en effet interrogé pour savoir qui passerait la nuit à bord du navire : « Essentiellement des personnes de votre entourage à l’Elysée, monsieur le Président » ; « Colonel, cette visite est très militaire. Il faudrait que le Ministre de la Défense m’accompagne ! » Le PR voulait que le MINDEF, dont chacun savait ses réserves avec sa politique, manifeste par sa présence à bord à ses côtés son adhésion symbolique à celle-ci. Je prévins donc le MINDEF, qui manifesta sa surprise de cette requête de dernière minute. Je dus ensuite réorganiser l’hébergement pour la nuit à bord du Dupleix et rajouter encore le MAE, qui, n’osant le demander, brûlait d’en être.
Le lendemain, après avoir quitté le Dupleix par hélicoptères pour rejoindre le Concorde à l’aéroport, une surprise de taille nous attendait ! Après les salutations d’usage et sur le point de décoller, deux membres du protocole Emirien accoururent sur le tarmac avec deux grosses valises : elles contenaient les généreux et coûteux cadeaux du Cheikh Zayed, lequel n’avait oublié personne, y compris la presse. Il voulait par ce geste honorer l’amitié entre nos deux pays dont les liens devaient être d’autant plus forts que la période était menaçante. Cette magnificence ne scandalisa pas les membres de la presse du voyage, d’habitude pourtant si prompts à dénoncer les prétendus fastueux cadeaux reçus lors des voyages présidentiels au bénéfice personnel du Président et faisant toujours allusion aux « diamants de Bokassa ».
Nous arrivâmes à Djeddah, où le PR fût accueilli au pied du Concorde par le roi Fahd. Au cours des entretiens, le roi fit part de son extrême mécontentement à l’encontre de Saddam Hussein : « Il n’avait pas le droit d’envahir un pays frère pour régler son problème. Certes le Koweït aurait dû payer sa dette à l’Irak ! Pour montrer notre bonne volonté et notre souci d’apaisement, l’Arabie a décidé de faire un geste envers l’Irak en réduisant sa dette et en différant le paiement de ce qui reste ! » Le PR lui tint un discours semblable à celui qu’il avait tenu aux EAU et le rassura également sur la présence des forces et le soutien à la sécurité de la région.
Le théâtre des opérations (Chef des armées, mais pas chef de guerre)
Après le déjeuner, nouveau départ, pour Yanbu. Peu de temps avant de se poser, le PR me pria de lui rappeler les grandes lignes du programme, qu’il connaissait pourtant et qu’il avait approuvé avant notre départ de Paris. Il s’étonna alors de ce que toute la visite se déroula dans la base vie de Yanbu, où il ne restait plus que 400 militaires environ. Le reste des forces avait en effet quitté le port quelques jours plus tôt pour rejoindre la frontière avec l’Irak. Le PR ne comprenait pas pourquoi on avait choisi de l’emmener visiter des forces à l’endroit où elles n’étaient plus… « Colonel dites au Ministre de la Défense de venir me voir » Celui-ci dut fournir des explications, mais sans convaincre. Le PR avait l’impression d’avoir été pris au piège et s’interrogeait sur la perception qu’aurait la presse de cette situation.
Le général commandant les forces françaises exposa au PR la situation devant un comité restreint et exprima une demande de renforts, notamment en artillerie. Cette demande rencontra une salve de tirs d’oppositions : du MINDEF, qui trouvait les canons bien trop agressifs ; du CEMA, qui évoqua des problèmes majeurs de munitions dû au manque d’interopérabilité entre les munitions saoudiennes et les matériels français ; du commandant des forces aériennes françaises, qui assurait de l’efficacité de ses avions en faveur de nos soldats au sol ! Le PR assista à ces tirs croisés, mais sans intervenir, considérant que cette question était avant toute technique et pas politique. Au terme de cette réunion, il parut rassuré et satisfait.
Après quelques échanges avec les quelques représentants des forces présentes sur le théâtre des opérations et avoir dit quelques mots à la presse présente, qui ne s’étonnât pas du peu de forces rencontrées, le PR retrouva son avion pour rejoindre Paris dans la nuit. De retour à l’Elysée, nous avons constaté que les images diffusées par la presse présentaient bien le PR dans un environnement militaire, sans mettre en avant les quelques rencontres avec nos soldats. Chef des armées, mais pas chef de guerre ! Le Cheikh Zayed et le roi Fahd étaient très présents, apparemment satisfaits de cette visite. L’« image du Président » avait bien travaillé…
Général (2s) Jean-Pierre Meyer
07/06/2020