La mobilité, un enjeu territorial et de société du "Nouveau Monde"
10/10/2020 - 6 min. de lecture
Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
François Hoehlinger est Managing Director chez Flixbus Charter France.
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L’ancrage territorial demeure une force face aux inégalités économiques, distribuées au gré de la dispersion des richesses et de l’orientation économique des régions. La France dispose d’un atout de poids en ses régions, leur histoire et leur ancrage local.
La tendance à l’hyperspécialisation, extension de la logique libérale ayant permis aux régions de se spécialiser industriellement et par la même occasion de consolider le maillage des réseaux de mobilité comme le réseau routier ou ferré, semble montrer ses limites en temps de crise.
Ces réseaux sont donc l’expression finale du transport et de la capacite à se déplacer des hommes au travers d’un maillage territorial. Ce sont également de formidables leviers de croissance pour les régions et les métropoles afin de faire circuler les hommes mais aussi d’être moteur d’attractivité touristique, lorsque qu’ils sont utilisés à bon escient et au maximum de leur potentiel.
L’arrivée inattendue d’une crise sanitaire de grande ampleur a eu un effet de souffle sans précèdent sur ce château de cartes qu’est la construction territoriale et a donc mis en résistance la capacite de résilience des territoires ainsi que celle de la capitale.
Cette crise, égalitaire devant le risque, a également mis en lumière les faiblesses d’une mobilité encore loin de répondre aux enjeux majoritaires de ce siècle.
Un impact frontal obligeant à une introspection sectorielle
Si l’impact en France de la crise devrait se mesurer à hauteur d’une récession de 10 points de PIB (MEF, septembre 2020) pour l’année 2020, la chute vertigineuse des entreprises de transport (de -50 % à -60 % sur la période) jusqu’aux entreprises de micromobilité qui ont dû stopper leurs services, marque un tournant dans notre compréhension de l’impact d’une telle crise sur le secteur d’activité des transports et de la mobilité, une chute qui devrait se marquer entre 15 % et 50 % que nous parlions de transport de marchandises ou de voyageurs (touristes, clubs, associations). Cet écosystème interconnecté a plongé des centaines d’entreprises dans une détresse financière sans précèdent.
Survivre ayant été le maître mot au début de la crise, les remous seront certainement plus dévastateurs que la première lame de fond. C’est toute une industrie qui se retrouve tout ou partiellement paralysée par la crainte et les mesures sanitaires drastiques, imposées notamment au secteur du tourisme.
Le rebond prévu de 8 % (Banque de France, août 2020) ne devrait bénéficier que partiellement aux mobilités car il sera principalement tiré par la consommation des ménages, hors voyages et dépenses touristiques. Ce voile s’obscurcit encore très nettement en pensant aux secousses financières engendrées par les faillites industrielles à venir, mais également dans le secteur du transport, ce qui aura pour conséquence immédiate de réduire la palette d’offres et de rendre la concurrence imparfaite (Stanley Jevons, 1862) et probablement mener vers une offre de prix plus élevée.
L’intégration technologique et les regroupements naturels vont nécessairement impliquer une restructuration du secteur et des facteurs de compétences qui l’encadrent. C’est donc d’une véritable mue dont nous parlons au sein de ce secteur et non pas simplement d’un effet de rattrapage (Schumpeter, 1942).
Si les startups et PME à orientation technologique avaient déjà le vent en poupe avant la crise, elles auront un rôle central à jouer dans la construction des mobilités de demain. Bénéficiant souvent de liquidités et d’un capital crédibilité auprès des fonds d’investissements, elles ne manqueront pas de clients, type entreprises familiales, dont la survie passera nécessairement par un saut quantique technologique. Il n’y a donc plus de temps pour tergiverser.
Un impact pour repenser les usages
Une des premières réactions à la crise aura été de repenser notre place dans la société et l’impact de chacune de nos interactions. L’exemple le plus marquant étant une augmentation de 50 % annuelle de l’utilisation du vélo, en ville comme a la campagne (Ouest France, juin 2020). Il en va de même pour les "nouvelles micromobilités" comme les trottinettes électriques (+75 % depuis deux ans), dont les contrats avec les grandes métropoles connaissent un véritable écho (Paris, Lyon, Rome) et un secteur d'activité frôlant les 300M€.
"L’arrivée au pouvoir dans de grandes métropoles d’un contre-pouvoir vert va drastiquement orienter les habitants vers une consommation responsabilisée mais contraignante", confirme un cadre dirigeant d’un des nombreux "mobility provider", qui voit cette offre être mise au centre de nombreuses discussions.
L’impact de la pandémie ne saurait cacher la véritable guerre qui s’opère en coulisse, à savoir celle de la transformation forcée de toute une société avec en point de mire les objectifs des Accords de Paris et les grandes échéances que sont la Coupe du Monde de Rugby et les JO 2024.
Une lumière qui doit durer
Une lumière qui doit durer, nous guider le long de la route et ne pas nous replonger dans l’avant-crise. L’expression "New Normal" (Sandman & Lenard) est faite pour permettre une navigation clarifiée dans un monde qui doit se réinventer, en sortant de ses schémas préconstruits et de sa propre zone de confort.
Cette nouvelle normalité est une ligne de conduite qui doit être conservée et mise en avant, éloignant le réflexe humain de revenir vers ce que nous avons toujours connu. La gestion de la crise brésilienne et américaine ont nécessairement mis ce comportement en exergue. Or, les changements s’opèrent dans la résilience des peuples et non dans la continuité, résilience qui, elle, est ancrée au plus profond de nous et surtout dans celui du pays (l’exemple donné par Clausewitz avec les périodes de guerre et de résistance).
Plus de 70 % des 18-25 ans déclarent vouloir investir plus de temps libre dans le soutien à leurs proches et aux personnes en difficulté (Le Monde, août 2020). C’est donc la renaissance du sentiment de bien commun et d’agir dans l’urgence, surtout si de nombreuses solutions innovantes naissent du chaos de l’urgence.
Ce sentiment d’urgence, c’est celui des entreprises qui doivent se digitaliser au plus vite pour couvrir les besoins élémentaires de la chaîne de continuité de production et de transmission d'informations.
Ce sentiment d'urgence a fait gagner 10 ans de digitalisation en 8 semaines à ces entreprises (McKinsey, août 2020) prouvant que, face à la vague submersible, le changement est possible et il ne saurait se payer le luxe d’attendre.
C'est cette accélération nécessaire qui doit continuer à vivre dans la mobilité et permettre d’orienter les choix stratégiques et d'investissement des acteurs majeurs de cet écosystème.
Un paysage à structurer autour d'une collaboration privé/public
Les besoins de reforger un modèle en bout de course font naître des fantasmes mal nourris par une obsession d'un monde futuriste en oubliant que la révolution du monde commence aujourd’hui.
Au rang des sujets de discussion viennent bien évidemment les smart cities / villes intelligentes et l'intégration d’outils technologiques afin de contrôler les flux et les réseaux, capteurs, vidéosurveillance et véhicules autonomes (NEOM Project, KSA, 2020).
Or, l'essentiel est tout d'abord de travailler l'écosystème et la gestion des flux, l'intermodalité des réseaux et la compensation carbone : tout simplement, faire le moins de kilomètres et, surtout, les faire propres et optimisés.
Une structuration au niveau des attentes et une collaboration constructive entre l’État, les métropoles et les grands acteurs permettront à l'écosystème de se mettre au niveau. Qu'est-ce que cela implique ?
- Un soutien de l'État en termes de lois afin de favoriser les mobilités dites "vertes", tout d’abord à l’adresse des entreprises en favorisant l'intégration d'énergies propres, la compensation carbone et le développement de sièges sociaux responsables. Cela implique également des subventions et des primes au recyclage ou à la conversion d’anciens véhicules, de vieux matériels.
- Une nouvelle filière de reconversion professionnelle des emplois obsolètes (conducteurs, contrôleurs), en partenariat avec les institutions universitaires d'excellence afin de ne pas créer de trous d'airs dans les compétences professionnelles. Ces nouveaux métiers doivent permettre une accélération de la montée en compétence des secteurs dit "de demain" avec de nouveau métiers (aiguilleurs, contrôleurs IOT, ingénieurs véhicules autonomes).
- Une règlementation plus stricte concernant la possession de véhicules uniques et personnels et des primes au transport en communs, au car sharing (covoiturage) ainsi qu’à la mobilité verte.
- Faciliter les consolidations d’entreprises et de structures opérantes des services de mobilités. La crise ayant nécessairement fragilisé de nombreux acteurs, afin de limiter les entreprises faisant défaut, l’État aura tout intérêt à faciliter les rapprochements.
- Un travail complet de recherche et d'activation sur les nouvelles énergies (hydrogène, électricité, solaire) en intégrant l'intégralité des décisionnaires et en prenant compte la totalité de la chaîne de valeur afin de mettre en avant les déchets et leur recyclage.
Ces conditions à la fois économiques et règlementaires, couplées à une participation forte des grands groupes et des entités innovantes (startups, incubateurs, accélérateurs), permettront de repenser la mobilité en tant qu'écosystème et non pas innovation seule et scintillante.
Cela permettra également de mieux travailler sur les problématiques écologiques, du développement au recyclage afin de saisir au mieux les enjeux de ce "nouveau normal" et finalement de répondre aux attentes de plusieurs générations qui nous regardent, nous jugent, et analysent ce virage que nous devons prendre pour respecter nos promesses à leur égard.
10/10/2020