Les drones de la police vont-ils, enfin, se conformer aux attentes du Conseil constitutionnel ? Le nouveau projet de loi n° 4387 relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure nous apporte des réponses !
16/10/2021 - 8 min. de lecture
Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Franck Richard est Avocat au Barreau de Paris, Conseiller Juridique de l'UNEPAT (Union Nationale des Exploitants Professionnels de l'Aéronautique Télépilotée) et Membre du CDC (Conseil pour les Drones Civils).
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Dans l’optique de permettre aux drones de la police d’espérer voler en toute légalité, souvenons-nous que le 18 mars 2021, le Sénat avait fait voter la modification de la dénomination de la "Proposition de Loi relative à la sécurité globale" en la qualifiant, désormais, de "Proposition de Loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés". Il avait, ainsi, entendu souligner la nécessité du respect du sacro-saint principe du "droit au respect de la vie privée" que le Conseil d’État avait mis en évidence dans sa décision du 18 mai 2020. Parallèlement, le Sénat avait modifié la dénomination du "Chapitre II" de l’article 22 qui était, alors, passé de "Caméras aéroportées" à "Caméras installées sur des aéronefs circulant sans personne à bord". Il avait, enfin, cherché à renforcer les mesures de protection de la vie privée en ajoutant à l’article L. 242-1 que "sont prohibés la captation du son depuis ces aéronefs, l’analyse des images issues de leurs caméras au moyen de dispositifs automatisés de reconnaissance faciale, ainsi que les interconnexions, rapprochements ou mises en relation automatisés des données à caractère personnel issues de ces traitements avec d’autres traitements de données à caractère personnel".
Pour autant, le 20 mai 2021, selon décision 2021-817 DC du Conseil constitutionnel, ce dernier s’est positionné sur une "non-conformité partielle" de la Loi sur plusieurs de ses articles dont sur l’essentiel de l’article 22 (devenu 47), estimant que le législateur ne l’avait pas assorti des "garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée". En effet, du point de vue du Conseil constitutionnel "pour répondre aux objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, (s’il est admis que) le législateur peut autoriser la captation, l'enregistrement et la transmission d'images par des aéronefs circulant sans pilote à bord aux fins de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales ou aux fins de maintien de l'ordre et de la sécurité publics, il y avait, (toutefois, impérativement) lieu de veiller à ce que la mise en œuvre de tels systèmes de surveillance soit assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée". Or, "eu égard à leur mobilité et à la hauteur à laquelle (les drones de la police) peuvent évoluer, le Conseil constitutionnel avait considéré que ces appareils étaient susceptibles de capter, en tout lieu et sans que leur présence soit détectée, des images d’un nombre très important de personnes et de suivre leurs déplacements dans un vaste périmètre de sorte qu’il avait jugé que « le Législateur n’avait pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée", ce qui, du point de vue des "Sages" portait gravement atteinte au principe du "respect de la vie privée" et, partant, devenait anti constitutionnel ! D’où la nécessité d’être plus précis et encore plus encadré que ce qu’avait prévu le texte initial objet de son examen !
Le 26 mai 2021, malgré cette position claire du Conseil constitutionnel, le Président de la République n’avait pas craint de promulguer la Loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés dans sa version comportant à TROIS (3) reprises la mention : [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-817 DC du 20 mai 2021] (JORF (Journal Officiel de la République Française, n° 120 via Legifrance). La situation des drones de la police restait, donc, totalement, bloquée malgré cette magnifique loi, pure produit non abouti d’un programme électoral présidentiel passé. Cependant, les choses semblent, désormais, donner l’apparence d’un certain changement pour tenter d’évoluer dans le sens du "respect de la vie privée".
C’est, en tout cas, l’objectif sensé être recherché par le nouveau projet de loi n° 4387 relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure présenté au Conseil des ministres le 19 juillet 2021 et adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale le 23 septembre de la même année. Ce projet de loi affiche, clairement, sa volonté de tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 20 mai 2021. Il n’est, toutefois, pas certain qu’il y soit parvenu ! Dans cette optique, ce nouveau projet de loi paraît, aujourd’hui, œuvrer dans le sens du "respect de la vie privée" par le biais de ses articles 7 à 9 concernant la captation d’images par les forces de sécurité intérieure et, plus précisément, par son article 8 qui vient modifier [des dispositions encadrant l’usage par les autorités publiques des caméras installées sur des aéronefs circulant sans personnes à bord ("drones") ou autres aéronefs équipés d’une caméra (ballons captifs, avions, hélicoptères). Concrètement, l’idée est, d’abord, de veiller à parfaitement encadrer l’usage des drones en permettant des captations d’images à vocation administrative en améliorant le "contrôle préalable à leur mise en œuvre par le biais d’une autorisation préfectorale, consécutive à une demande motivée dont la finalité devra être décrite, d’une durée maximale de trois mois et sur un périmètre géographique réduit au stricte nécessaire", ensuite, à ne conférer à cet usage qu’un caractère "subsidiaire" à tout autre moyen de surveillance en soumettant son utilisation à une nécessité absolue et incontournable. À cela vient s’ajouter un "dispositif d’urgence" d’une durée de "quatre heures" qui concerne toute situation "d’exposition particulière et imprévisible à un risque d’atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens". À ce niveau, au-delà de la nécessité d’une demande motivée auprès du Préfet, on relèvera que la notion d’urgence, telle qu’envisagée par le projet de loi, risque d’entrainer de multiples dérives et excès entraînant l’utilisation abusive de drones de surveillance. Par ailleurs, soumettre la demande à autorisation du Préfet, alors même qu’à ce jour ledit Préfet se voyait, lui-même, interdire de faire voler les drones de sa propre police pour "non respect de la vie privée", constitue un véritable "gag" et, surtout, un levier pour d’éventuelles procédures judiciaires de la part des associations la quadrature du net et la ligue des droits de l’homme.
Cela d’autant plus que, dans sa décision du 18 mai 2020, rappelons-nous que, quand bien même le Conseil d’État avait été amené à dire et juger que dès lors que l’usage du dispositif de surveillance par drone avait été prévu et effectué dans le respect des dispositions de la fiche DOPC du 14 mai 2020, de sorte qu’il pouvait être considéré qu’aucune "atteinte grave et manifestement illégale (n’avait, ainsi, été portée) aux libertés fondamentales invoquées", savoir, au sacro-saint principe du "respect de la vie privée", une atteinte grave et caractérisée à ce même principe découlait du simple fait des violations des dispositions conjuguées de la directive Police-Justice du 27 avril 2016 (pour risque de collecte de données identifiantes et de traitement d’images à caractère personnel) et de la Loi informatique et liberté di 6 janvier 1978 (pour absence d’autorisation du traitement de données et d’images). Plus précisément, le Conseil d’État avait entendu souligner que les drones de surveillance étaient dotés de moyens d’identifications de personnes et de possibilité de zoom ainsi que de vols au-dessous du plafond de 80 à 100 mètre fixé par la fiche DOPC de sorte qu’il existait un risque "de collecter des données identifiantes" d’individus, donc "revêtant un caractère personnel"(1) constitutif d’atteinte aux dispositions "de la directive du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales (…)"(1). Il avait, en outre, souligné que toutes les possibilités de captation d’images, conservation, exploitation, visionnage et autres moyens d’exploitations constituaient "un traitement" au sens de "la directive du 27 avril 2016" et au surplus, "un traitement de données à caractère personnel qui relevait du champ d’application de cette (même) directive"(1) et qui "imposait une autorisation par arrêté du ou des ministres compétent et/ou par décret" en ce que ce traitement relevait des dispositions de la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978.
Or, le nouveau projet de loi n° 4387 ne vient, là encore, nullement, satisfaire aux conditions, jadis, posées par le Conseil d’État que tout le monde semble, aujourd’hui encore, ignorer et, en tout état de cause, totalement, avoir oublié. Certes, le nouveau projet de loi limite la durée de conservation des images à 7 jours au lieu de 30, "sous la responsabilité du chef de service sans que nul ne puisse y avoir accès sauf pour les besoins d’un signalement à l’autorité judiciaire". On sait très bien, ici, qu’il sera aisé de motiver la nécessité d’un signalement judiciaire pour avoir accès aux images capturées par drones ; rien de plus simple que cela mais, surtout, rien de plus intrusif et transgressant du principe du "respect de la vie privée". Autre absurdité, le projet de loi précise que les captures d’images devront veiller à ne pas recueillir d’images d’entrées et d’intérieurs de domiciles et que, si de telles images devaient être capturées, elles devraient "être immédiatement interrompues" et détruites dans les "48 heures » sauf nécessité de transmission à l’autorité judiciaire. Or, d’une part, cela signifie que, pour être valables, de telles captations feront systématiquement l’objet de transmissions à l’autorité judiciaire, d’autre part, que l’on ne peut ignorer que dans le cadre d’opérations nécessitant l’engagement du GIGN des drones de toutes sortes (aériens, terrestres et sous-marins) pénètrent systématiquement dans les domiciles pour capturer des images utiles aux interventions extrêmes et d’urgences à propos desquelles la capture ne saurait être "immédiatement interrompue" ni supprimées dans les "48 heures". Là encore, le texte du projet de loi est mal écrit et constitue un leurre au respect des droits fondamentaux classiques qui doivent êtres distingués de toutes situations dites d’urgence non clairement envisagées dans ledit projet de loi.
En conclusion, on ne pourra que constater avec regret que, fondamentalement, malgré l’évidence du temps écoulé et perdu, rien n’a véritablement changé depuis la décision du Conseil d’État du 18 mai 2020, les différents projets de loi, puis loi, puis à nouveau projet de loi n’auront été que des tentatives avortées de respect de la vie privée. Cela est sans nul doute dû au fait que les techniciens et professionnels du monde des drones civils ainsi que les véritables professionnels du droit (auxquels les avocats appartiennent) non que trop peu, voir, jamais, été consulté dans le sens des attentes et demandes du Conseil constitutionnel.
Cela changera t-il un jour ? Il est vraisemblable que l’on ne puisse répondre à cette question que par la négative compte tenu des enjeux de surveillance du territoire par le biais de drones à l’occasion des J.O. de Paris de 2024 !
16/10/2021