Que faut-il penser de l’interdiction faite, le 14/01/2021, par la CNIL, au Ministère de l’Intérieur, d’utiliser des drones capteurs d’images ?

19/01/2021 - 5 min. de lecture

Que faut-il penser de l’interdiction faite, le 14/01/2021, par la CNIL, au Ministère de l’Intérieur, d’utiliser des drones capteurs d’images ? - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Franck Richard est Avocat, Conseiller juridique et Délégué communication de la Fédération Professionnelle du Drone Civil (FPDC).

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Après l’avoir décidé en Commission restreinte, le 12/01/2021, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (dite, CNIL) a, finalement, officialisé sa sanction, le 14/01/2021, à l’encontre de l’État et, précisément, du Ministère de l’Intérieur, concernant l’utilisation, "estimée abusive", de drones équipés de caméras. Mais, pas d’inquiétudes… Ce rappel à l’ordre ne concerne que l’État et l’utilisation présumée abusive qu’il a continué de faire des drones capteurs d’images depuis et malgré l’ordonnance de référé du Conseil d’État du 18/05/2020 !

Pour rappel, cette ordonnance lui avait imposé "de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone, du respect, à Paris, des règles de sécurité sanitaire applicables à la période de déconfinement". Elle avait, clairement, indiqué que la notion de captations d’images constituait une atteinte grave au principe fondamental de "respect de la vie privée" et que, pour éviter de tomber dans ce travers, il y aurait lieu de se rapprocher des constructeurs afin que les aéronefs concernés par les prises de vues ne puissent procéder à des captations d’images ni à identification des personnes mais à de simples prises de vue instantanées, non enregistrées et transmises en directe pour alerter les forces de l’ordre de la commission de délits sur zones et, ainsi, permettre l’envoi rapide et approprié de patrouilles ou de brigades d’interventions. Cette ordonnance avait, également, imposé qu’un texte de loi, qui définirait toutes conditions d’utilisations de tels drones d’État, soit rapidement voté avant toute nouvelle utilisation, et ce en conformité avec la Loi Informatique et Liberté, nouvelle version.   

Cela n’a pourtant pas empêché l’État de continuer ses vols de drones capteurs d’images au prétexte que leur mise en conformité était en train de faire l’objet d’une proposition de loi n° 3452 dite de Sécurité Globale –  dont l’article 22 prévoit toutes conditions légales à priori conformes "au respect de la vie privée" liées à la "vidéoprotection et captation d’images" par voie aérienne. Cependant, cette proposition de loi n’est, actuellement, adoptée que par l’Assemblée Nationale et se trouve transmise au Sénat, donc en simple phase de va-et-vient, autrement appelée phase de "navette parlementaire", de sorte qu’elle n’est toujours pas adoptée par les deux assemblées !

On se retrouve, ainsi, dans une situation d’anticipation illégale de la part de l’État qui continue d’utiliser ses drones, désormais, de manière consciemment abusive, en violation, d’abord, d’une décision de justice (celle du Conseil d’État) et, ensuite, en dehors de tout texte de loi définitivement adopté conforme à la Loi Informatique et liberté. Il s’agit là d’un manquement grave qui met en évidence un conflit purement étatique puisque, désormais, initié, non plus par des associations (comme ce fut le cas jadis, à l’origine de l’ordonnance du 18/05/2020, de la part de deux d’entre elles, à savoir la Quadrature du Net et la Ligue des droits de l’homme) mais par un organisme public, la CNIL, Autorité Administrative Indépendante (AAI), laquelle agit au nom de l’État sans, pour autant, être placée sous l'autorité du gouvernement ou d'un ministre, et bénéficie du pouvoir d’effectuer des contrôles auprès de l’ensemble des organismes qui traitent des données à caractère personnel, y incluant tous "organismes publics".

C’est donc dans ce contexte particulier que des contrôles ont été diligentés par la CNIL auprès du Ministère de l’Intérieur et, précisément, au sein des services de la Police nationale et de Gendarmerie dans plusieurs villes ainsi qu’auprès de diverses communes dont les polices municipales utilisaient, également, des drones capteurs d’images. Mais, le comble demeure que, vis-à-vis de l’État, contrairement aux possibilités qui lui sont offertes à l’encontre d’autres entités juridiques, la CNIL n’a, à l’égard de l’État, pas de réel pouvoir. Elle ne peut, en effet, lui infliger aucune amende.

C’est pourquoi, elle se contente de diligenter des contrôles, dès-lors qu’on le lui permet, et de rendre publique ses sanctions lesquelles, au cas particulier qui nous occupe, prennent alors simplement la forme d’un simple rappel à l’ordre par injonction de "se mettre en conformité avec la Loi Informatique et Libertés" en cessant de porter atteinte "grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée", ni plus, ni moins ; et ça n’ira pas plus loin !

En fait, la CNIL souhaite fondamentalement protéger les citoyens des abus de l’État en obtenant de celui-ci qu’il respecte les principes posés par l’ordonnance de référé du Conseil d’État du 18/05/2020, lesquels ne pourront l’être que dans le cadre d’un texte de loi dûment adopté, ce qui n’est pas encore le cas puisque la proposition de loi Sécurité Globale en son article 22, laquelle constitue une avancée claire et importante en faveur de l’utilisation des drones pour sauvegarde de la sécurité globale, en est, encore et malheureusement, simplement, au stade de la seule navette parlementaire.  

Pire que cela, ladite proposition de loi a entendu faire fi des principes posés par ladite ordonnance de référé en préférant, pour le moment, consacrer le principe total de captations d’images avec possibilité d’enregistrement, de transmission mais également de conservation, durant minimum 30 jours, ce qui est très élargi et ne manquera pas de susciter, encore, de longs débats parlementaires avant son éventuelle adoption et celle de son article 22.

Nous sommes donc actuellement dans une situation de parfaite violation du sacro saint principe du "respect de la vie privée" de la part de l’État tandis que la CNIL fait son possible pour en alerter l’opinion public. Et, selon elle, "cela durera tant qu’aucun texte n’autorisera l’État, et précisément le Ministère de l’Intérieur, à recourir à des drones équipés de caméras captant des images sur lesquelles les personnes sont identifiables". Cela durera également tant qu’aucune analyse d’impact n’aura été transmise à la CNIL concernant l’utilisation des drones et que le public demeurera non informé de leur utilisation par les autorités de Police nationale, communale et de Gendarmerie, ni ne disposera d’un réel droit à opposition à la collecte de leurs données ! 

Décidément, sous le couvert de vouloir veiller à la "Sécurité globale", l’État ne cesse de violer celui "du respect de la vie privée" en y portant volontairement gravement atteinte par le biais de l’utilisation de nouvelles techniques de surveillances aériennes – par drones capteurs d’images – sans prendre le temps de faire adopter les mesures légales et respectueuses des droits de chacun et, surtout, hors texte légal définitivement adopté ; et cela ne saurait être acceptable ni accepté ! Si un organisme privé devait se comporter de la sorte, nul doute que la CNIL disposerait de moyens forts de sanctions financières par stricte application de l’article 83 du RGPD et autres à caractère pénal (tel l’article 40 du Code de procédure pénale) qu’elle ne peut, malheureusement, et en l’état du droit actuel adopté, pas opposer à l’État bien qu’étant une soi-disant autorité administrative indépendante non placée sous l'autorité du gouvernement ou d'un ministre ! 

En effet, l’article 83 stipule en son point 7 que "sans préjudice des pouvoirs dont les autorités de contrôle disposent en matière d'adoption de mesures correctrices en vertu de l'article 58, paragraphe 2, chaque État membre peut établir les règles déterminant si et dans quelle mesure des amendes administratives peuvent être imposées à des autorités publiques et à des organismes publics établis sur son territoire". Or, en France, aucune amende ne peut être prononcée par la CNIL à l’encontre de l’État !  

Un comble ! NON ?

Franck Richard

19/01/2021

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