Quelle police pour demain ?

02/02/2021 - 5 min. de lecture

Quelle police pour demain ? - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Thierry Novarese est Lieutenant-colonel dans la réserve opérationnelle de la Gendarmerie nationale, en charge de la DPCA à la Direction des Opérations et de l’Emploi. Docteur en Connaissances sociotechniques des systèmes et des réseaux (Sciences de l’Ingénieur et Sécurité Globale), Professeur de philosophie et Chercheur-associé à l’Université de Troyes.

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Rappelons que 78 policiers se sont suicidés l’an dernier, que ce sont 6000 policiers et gendarmes qui sont blessés chaque année dont 2000 en intervention, parmi eux 20 mourront dans l’exercice de leur métier et une vingtaine encore chaque année souffriront de séquelles graves. Police et gendarmerie, c’est encore 21 millions d’appels au 17 et 8 millions d’interventions par an réalisées par les forces de l’ordre. Le principal donneur d’ordre de la police c’est donc et d’abord le citoyen qui demande de l’aide. Avant d’être une police de souveraineté au service de l’État, la police est d’abord celle des "gardiens de la paix" au service des citoyens et ce, sans distinction sociale ou ethnique. Cette police du quotidien, les français lui font aujourd’hui majoritairement confiance. Elle est encore présente dans des endroits où, rappelons-le, les ambulances et les pompiers ne peuvent intervenir sans subir des violences. Elle y est souvent et malheureusement la dernière présence de l’État dans des quartiers abandonnés des services publics et pour certains livrés à la délinquance. Si nous devons dénoncer les violences, n’oublions pas une violence délinquante de plus en plus assumée, comme en attestent les récents affrontements très violents à Dijon entre des bandes tchétchènes et maghrébines et le meurtre d’un chauffeur de bus roué de coups pour avoir demandé à quatre jeunes de mettre un masque en montant dans son bus, symptôme d’une violence à l’œuvre dans la société tout entière et qui fait de la police le signe d’un malaise bien plus grand.

La police a l’exercice de la contrainte physique dans ses prérogatives. Elle en a la quasi-exclusivité dans nos démocraties. Mais il faut prendre garde à ne pas confondre force et violence. Tandis que la force représente un usage proportionné de la contrainte, la violence au contraire implique disproportion et gratuité. La police exerce donc, si la nécessité s’impose, une contrainte physique : elle est donc gardienne d’une force qui peut s’imposer jusqu’à la létalité dans le cas d’une menace criminelle. L’acte de violence, lui, est individuel et non collectif ou systémique – il nécessite bien investigation et condamnation. Rappelons que la police est l’institution la plus contrôlée avec 1000 sanctions administratives prononcées chaque année. Pour les condamnations pénales, celles-ci sont prononcées par la justice et n’engagent donc pas une critique de l’institution policière.

Alors, oui, bien sûr, nous devons faire des progrès – et nous devons faire que notre police républicaine le soit toujours davantage – comme notre société doit s’acheminer à l’être aussi.

Pour cela, plusieurs pistes sont présentes :

  1. Il existe un tiers invisible entre la population et la police qu’est la justice. Elle est en France sous dotée, avec un nombre de magistrats et de greffiers deux fois moins important en France que dans la moyenne européenne pour 100 000 habitants, ce qui engendre des retards importants dans le traitement des infractions. Il ne s’agit ni de laxisme ni d’une décision de justice mais l’individu interpellé en fragrant délit (petite et moyenne délinquance) se retrouve dans la rue où le policier l’a arrêté la veille – ce qui crée chez le policier un sentiment d’impuissance et l’idée d’une justice défaillante. Là réside une part importante du ressentiment des policiers envers la justice.
  2. L’univers carcéral dont on parle peu dans les questions de sécurité est aujourd’hui sinistré avec 1 surveillant pour 70 détenus en certains endroits. Rousseau disait des prisons, "j’écris ton nom liberté sur le fronton des prisons et sur les fers des condamnés", indiquant ici que le rôle de la prison est celui d’un retour futur dans la société civile et qu’elle doit donc réapprendre à l’inculpé cette liberté oubliée lors de la commission de l’infraction. Les prisons sont indispensables mais doivent permettre une réhabilitation sociale qui n’est pas possible dans les prisons françaises sans une modification importante de l’univers carcéral. Seule une augmentation significative des personnels et des locaux permettra de mener une politique cohérente de sécurité publique.
  3. La police se retrouve souvent seule dans les ZSP (zone de sécurité prioritaire) – quartiers créés au moment de l’essor de l’industrie accueillant les populations immigrées qui, dans les années 60-70, viennent principalement des pays du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Ces populations s’implantent au moment d’une récession économique qui viendra briser l’ascenseur social et sédimenter durablement ses habitants sur un territoire restreint et économiquement sinistré. Cette ghettoïsation crée en même temps des structures qui se pensent autonomes et en dehors du pacte républicain. La pauvreté fabrique de la délinquance et de la violence en même temps que de la misère. Aujourd’hui, le trafic de stupéfiants est intégré au PIB de la France et représente 1 %, soit près de 3 milliards d’euros. Or, intégrer ce chiffre, c’est donner un signe fort : les quartiers peuvent fonctionner dans une forme d’illégalité qui viendrait finalement subvenir aux besoins de sa population.
  4. Les jeunes policiers sans une connaissance suffisante du terrain sont affectés dans les zones les plus dégradées socialement et, souvent, y vivent en se cachant de ses habitants. Venant de province, ils acquièrent très vite une image négative des lieux et malheureusement des individus qui y vivent, n’étant en contact précisément qu’avec ceux qui sont dans une forme d’opposition sinon d’hostilité ainsi qu’avec une population délinquante.
  5. Le maintien de l’ordre, pour sa part, pourrait trouver une solution immédiate et rapide : redonnons la main aux forces de police et gendarmerie sur le terrain sans parasitage par une injonction de l’autorité préfectorale ou ministérielle. Rappelons que la gendarmerie mobile n’était pas favorable à l’usage du lanceur 40 lors des manifestations, celui-ci n’étant pas adapté aux protocoles de tenue à distance des manifestants et ainsi à la doctrine du maintien de l’ordre. Le politique doit intervenir en amont du rassemblement ou de la manifestation et laisser ensuite les forces de l’ordre opérer: CRS et gendarmes mobiles doivent rester maîtres du dispositif et de son évolution. Cela ne sera possible que si les effectifs de maintien de l’ordre sont augmentés – la théorie de la "désescalade" en Allemagne s’accompagne de forces de police souvent en nombre supérieur à celui des manifestants.
  6. Une double proposition enfin axée, premièrement, sur une civilianisation de la police par l’ajout massif de personnels civils permettant de libérer davantage les forces opérationnelles de l’acte administratif et, deuxièmement, par l’adoption d’une "tolérance partagée" qui engage une mutualisation de la sécurité sur un territoire donné quand cela s’avère possible. 

Finalement, nos interrogations portent davantage sur la société que sur la police, seule une réorganisation du vivre ensemble peut engager une réforme véritable de société, c’est-à-dire aussi de la police. Or, notre société est de plus en plus clivée avec des résurgences identitaires fortes qui durcissent les rapports et les positions. La police n’est qu’un thermomètre en même temps que l’effet ou le symptôme d’une violence sourde à l’œuvre dans la société.  

Thierry Novarese

02/02/2021

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