Résolution 1540 (2004) : un enjeu stratégique pour les entreprises
09/06/2025 - 8 min. de lecture

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Bernard Galéa est président fondateur d'AUMA Partners, une société spécialisée dans le conseil stratégique et l'assistance aux Organisations notamment en affaires publiques ou la sûreté. Il est également Senior Advisor chez ESL & Rivington, entreprise européenne en intelligence économique et diplomatie d’affaires. Il est conseiller pour le commerce extérieur de la France, membre du Cercle K2 et Officier de l’Ordre de la Légion d'honneur.
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Résolution 1540 (2004) : un enjeu stratégique pour les entreprises
Abstract : l’article aborde le rôle évolutif des entreprises privées, notamment celles impliquées dans les biens à double usage, dans la mise en œuvre des mesures du Conseil de sécurité de l'ONU, comme le contrôle des exportations et la sécurité aux frontières. Il met en lumière les défis liés à l'innovation technologique, comme l'impression 3D et l'intelligence artificielle, et souligne l'importance pour l'industrie de mieux comprendre et s'engager dans ces enjeux. Enfin, il invite le secteur privé à participer activement aux consultations ouvertes prévues pour 2027, afin de contribuer à un cadre réglementaire équilibré, qui protège la sécurité mondiale tout en facilitant le commerce légitime.
UNE APPROCHE JURIDIQUE INNOVANTE
Les technologies et matériaux à double usage, c’est-à-dire ceux qui peuvent avoir des applications tant civiles que militaires posent des défis particuliers en matière de règlementation et de sécurité tant aux États qu’aux acteurs non étatiques tels que les Entreprises.
Le Comité 1540, organe subsidiaire du Conseil de sécurité, créé sur la base de l’article 29 de la Charte des Nations unies, est chargé de mettre en œuvre la résolution 1540 du Conseil de sécurité du 28 avril 2004. Toutefois, contrairement à d’autres comités créés par le Conseil de sécurité, le Comité 1540 n’est pas un comité de sanction ni un comité de vérification ou d’investigation.
Cette résolution s’intéresse aux rapports qui peuvent exister entre acteurs non étatiques et prolifération des armes nucléaires, biologiques et chimiques (NBC) ainsi que de leurs vecteurs et leurs éléments connexes, considérés comme une menace pour la paix et la sécurité internationales.
Résolution 1540 et Comité 1540 : une approche unique dans la lutte internationale contre le détournement des armes NBC par des acteurs non étatiques.
Cette résolution charge les États d’une obligation de prendre des mesures internes afin de limiter la prolifération de ces armes par les acteurs non étatiques. Elle pallie également une carence du droit international qui ne reconnaît pas les acteurs non étatiques comme sujets de droit international et qui ne peuvent pas être pris en compte dans les traités de non-prolifération (TNP) des armes NBC. La résolution 1540 permet ainsi de compléter le régime de non-prolifération qui s’applique aux États via les textes conventionnels en incluant les acteurs non étatiques.
Cette obligation de légiférer est renforcée par celle d’établir en droit interne des mesures d’application, notamment des contrôles des exportations, des contrôles douaniers aux frontières et, plus généralement, des contrôles de police. Ce faisant, la résolution 1540 cherche à remédier à l’absence de régime international universel de contrôle des exportations.
Ces obligations ont des conséquences très pratiques pour les États membres. Le texte couvre la plupart des aspects de la non-prolifération et appelle l’ensemble des services publics et administrations nationales à agir, que ce soit au niveau des affaires étrangères, de la défense, des services de renseignement, des douanes, de la police, des juridictions pénales, des services de renseignement financier ou du commerce et de l’industrie.
La résolution 1540 n’est pas axée uniquement sur les groupes armés terroristes mais sur tous les types d’acteurs non étatiques.
Les menaces évoluant et les circuits de prolifération se diversifiant, le risque que des matières inscrites dans la résolution 1540 tombent dans les mains d’acteurs non étatiques reste, selon la Mission permanente de la France à l’ONU, élevé.
Le risque de bioterrorisme représente également une menace pour l’ensemble de la communauté internationale. Bien que peu nombreuses, ces attaques ont déjà fait des victimes, comme celles avec du bacille de charbon aux États-Unis en 2001.
De plus, ces dernières années, des attaques terroristes impliquant de la ricine ont été déjouées sur le continent européen. Si les acteurs non étatiques terroristes utilisent dans la majorité des cas des armes conventionnelles, la Global Terrorism Database recense depuis 1970 37 cas de terrorisme biologique (Ricin, Anthrax, Samonella, Botulinum, razor blades, HIV infected)
IMPLICATIONS POUR LES ENTREPRISES PRIVEES
Ainsi, si la résolution 1540 ne dispose pas de liste clairement établie d’entreprises susceptibles d’entrer dans le champ de son application, celle-ci se déduit facilement des dispositions de la résolution 1540 paragraphes 3a & b « control », c’est-à-dire « mise en sécurité » des biens à double usage dans le domaine NBC et des vecteurs. De même, les paragraphes c & d suivants « contrôle aux frontières et aux exportations » y compris pendant les transports, les transbordements maritimes, empêchent des activités de financement de la prolifération. Ce condensé des principaux points n'est pas exhaustif. Les biens à double usage sont compris au sens de la 1540 comme les matières, équipements et technologies pouvant servir à la prolifération.
Il y a donc de très nombreux secteurs industriels concernés. Par exemple, dans l’industrie agroalimentaire, la pharmacie, la cosmétique, les biotechnologies de manière générale, la chimie (celle qui utilise les matières listées dans la convention sur l’interdiction des armes chimiques entrée en vigueur le 29 avril 1997), les mines, toute l’industrie mécanique, et l’industrie nucléaire bien entendu. La résolution 1540 demande par ailleurs aux États, sans toutefois leur donner de périmètre précis, de prendre en compte les technologies émergentes. Aussi, certaines avancées scientifiques et technologiques constituent de nouveaux défis que la résolution 1540 doit prendre en compte comme l’usage de l’impression 3D, l’utilisation du dark net, le développement de capacités cyber, l’IA, les drones…ainsi que les cryptomonnaies pour les questions de financement ou les matériaux innovants tels que les nanotechnologies ou les composites avancés.
La question des vecteurs reste centrale dans la mise en œuvre de la résolution 1540 car peu de pays ont établi des dispositions dans ce domaine.
Si nous prenons par exemple les industries pharmaceutiques ou agroalimentaires, utilisant des pompes, de l’acier, des fermenteurs ou des centrifugeuses…ces matériels, selon leurs spécifications, peuvent constituer des biens à double-usage.
Bien que l’utilisation d’une centrifugeuse agroalimentaire dans le domaine nucléaire ne soit généralement pas appropriée en raison des différences fondamentales dans les exigences techniques, cela n’empêche pas les ingénieurs et chercheurs de certains pays sensibles d’être tentés de détourner à des fins militaires l’usage initial de ces biens.
Pour ce qui est des fermenteurs, si leurs applications civiles sont bien connues dans l’industrie agroalimentaire (produits laitiers : production de yaourt, de fromage…) et pharmaceutique (productions de médicaments : antibiotiques, vaccins, produits biopharmaceutiques, enzymes et protéines recombinantes), ils pourraient être détournés pour des applications militaires pour la fabrication d’agents pathogènes pour la guerre biologique. Les fermenteurs (Discontinus ou Batch, Semi-continus ou Fed-Batch, Continus) jouent un rôle crucial dans diverses industries en permettant la production efficace et contrôlée de substances biologiques. Leur capacité à maintenir des conditions optimales pour la croissance des micro-organismes en fait un outil indispensable dans la biotechnologie moderne.
Ainsi, les ferments et technologies à double usage représentent un défi complexe pour la sécurité internationale. Bien qu’ils offrent des avantages significatifs dans leurs applications civiles, leur potentiel de détournement à des fins militaires nécessite une vigilance constante et une coopération internationale pour garantir leur utilisation responsable et sécurisée. Les entreprises doivent être conscientes de ces risques et mettre en place des mesures appropriées pour se conformer aux réglementations et protéger leurs technologies. Une violation des obligations de la résolution 1540 peut gravement nuire à la réputation d’une entreprise. Peu d’entre elles, à l’exception de l’industrie de la défense, sont familières de cette résolution 1540.
C’est pourquoi, pour les entreprises, la résolution 1540 signifie qu’elles doivent se conformer à des règlementations nationales strictes concernant la manipulation et le commerce (achat, transport, vente…) de matériaux sensibles susceptibles de rentrer dans la liste des biens à double usage civil et militaire.
PARTENARIAT EFFICACE AVEC LA SOCIETE CIVILE : L’OPPORTUNITE DES CONSULTATIONS OUVERTES DE 2027.
La société civile et le secteur privé peuvent apporter d’importantes contributions à l’application de la résolution 1540 (2004). Le Bureau des affaires de désarmement (UNODA) encourage activement les partenariats avec la société civile, le secteur privé et l’industrie en vue d’apporter un appui aux efforts menés à l’échelon national et international afin d’atteindre les objectifs énoncés dans la résolution. En 2012, le Bureau des affaires de désarmement, en coopération avec l’Allemagne, a convoqué la première conférence des associations internationales, régionales et sous-régionales de l’industrie sur la résolution 1540 (2004), à laquelle ont participé les associations professionnelles de l’industrie et des entreprises privées des secteurs nucléaire, chimique, biologique, financier, des transports terrestre, aériens et maritimes, et aérospatial.
Tous les 5 ans environ, des consultations ouvertes sont organisées par l’UNODA et offrent ainsi aux membres de la société civile qualifiés sur le périmètre de la résolution (entreprises, associations professionnelles…), l’opportunité unique de s’exprimer et d’être force de proposition pour suggérer la mise en place de règles limitant l’impact sur le commerce tout en répondant aux exigences de la résolution 1540 (2004).
Ainsi, avant décembre 2027, comme stipulé dans la résolution 2663 de 2022, devrait se tenir une revue complète de la 1540 et offrir une formidable tribune pour les entreprises afin de démontrer leur engagement sur le sujet permettant de renforcer leur image et la confiance de leurs clients. Les consultations auprès de la société civile devraient prendre place en amont de cette revue, soit probablement vers mai, juin 2027. Cela est l’occasion pour les entreprises de s’enquérir plus activement du sujet, participer aux réflexions du Conseil de sécurité sur les enjeux et les complexités opérationnelles, faire des suggestions pour une mise en œuvre efficace de contrôles tout en minimisant l’impact sur leur Supply Chain.
Sources :
- Résolution 1540 (2004) du Conseil de Sécurité des Nations Unies, Bureau des Affaires de Désarmement (UNODA).
- Comité 1540 du Conseil de Sécurité établi en vertu de la résolution 1540 (2004).
- Réunion d’information du Comité 1540 (9-10 octobre 2024, Siège de l’ONU).
- https://www.un.org/en/sc/1540/faq.shtml#1
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Résolution_1540_du_Conseil_de_sécurité_des_Nations_unies
- Note de la FRS N°18/2021 « La résolution 1540 du Conseil de sécurité vingt ans après : bilan d’une politique de non-prolifération », Sophie Moreau-Brillatz, 28 juillet 2021.
- Recherches & Documents de la FRS N°04/2024 « The Australia Group and the prevention of the re-emergence of chemical and biological weapons », Jean Pascal Zanders, Elisande Nexon, Monica Chichilla, Esmée de Bruin, April 9, 2024.
- The American journal of emergency medecine, « Bioterrorism : an alaysis of biological agents used in terrorist events », Derrick Tin, Pardis Sabeti, Gregory R.Ciottone, 24 January 2022
- Compte rendu du Syndicat des Industries Exportatrices de Produits Stratégiques, réunion de Wiesbaden (Allemagne) du 23-24 novembre 2017
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