Se doter d’une veille stratégique est nécessaire. Bien l’utiliser, c’est encore mieux !

29/01/2024 - 10 min. de lecture

Se doter d’une veille stratégique est nécessaire. Bien l’utiliser, c’est encore mieux ! - Cercle K2

Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.

Christophe Rafenberg est Expert en sécurité économique & Chef de projet Sécurité économique et innovations.

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Se doter d’une veille stratégique est nécessaire. Bien l’utiliser, c’est encore mieux !

Si vous souhaitez animer un écosystème industriel, de R&D, commercial…, c’est vous placer dans une position de veilleur pour détecter et suivre les innovations montantes, les produits nouveaux, les risques émergeants qu’ils soient géopolitiques, économiques ou industriels. L’objectif peut-être de ressentir l’intérêt des médias et du public pour une nouveauté, protéger l’entreprise et ses marchés, son approvisionnement (supply chain), sa réputation et même, dans un objectif moins avouable, celui d’influencer les opinions, l’acte d’achat, ou désorienter des stratégies… Les objectifs et les besoins sont multiples et nombreux.

Parmi nos activités, nous produisons une veille et il me semble intéressant de partager avec vous cette expérience pour vous rappeler en quelques mots ce qu’est une veille et sa finalité.

 

Ce qu’est une veille ?

Selon votre champ de compétence et selon la demande initiale, en se basant sur une sélection de sources pertinentes, une veille réalise une collecte puis une analyse des informations, des tendances et des avancées technologiques, scientifiques, économiques ou politiques…. (Ces domaines peuvent être associés). Cette veille permet de rester informé, de suivre les sujets émergeants et par défaut d’identifier ceux qui ne le sont plus, d’identifier les événements clés liés et de façon générale de rester informé sur vos sujets au travers du prisme vos sources ou au travers de l’opinion publique.

Par conception de base, une veille doit être objective et impartiale. Elle doit fournir une analyse basée sur des informations de sources reconnues et éviter les biais politiques ou émotionnels, afin de garantir une perspective équilibrée.

Il est envisageable d'utiliser des sources qui pourraient être initialement considérées comme moins objectives ou connotées mais qui restent exploitables à condition d'en reconnaître la nature. L'utilisation de médias tels que RT, Spoutnik ou Xinhua pour appréhender les positions étrangères russes ou chinoises est envisageable, à condition de les considérer comme partiales, avec un point de vue orienté. Ces sources spécifiques, une fois identifiées comme telles, peuvent être utiles pour comprendre les stratégies et les dynamiques contextuelles liées à certains sujets.

Une veille doit être adaptative, c’est-à-dire qu’elle doit être capable de s'adapter aux changements rapides du contexte dans laquelle elle s’inscrit. Cela implique de surveiller constamment de nouvelles sources d'information et de réagir rapidement aux évolutions politiques, économiques…

La veille doit cibler des domaines spécifiques qui sont pertinents pour l'entreprise ou l'individu effectuant la veille. Elle doit se concentrer sur les sujets qui ont un impact direct sur les objectifs de l'utilisateur.

L’utilisateur, le lecteur, doit aussi être identifié et qualifié. S’agit-il d’un expert capable de relire avec un esprit critique et de commenter pas à pas un article ou d’un profane qui prendra pour argent comptant les informations contenues dans cet article ? Selon son profil, la veille ne s’appuiera pas sur les mêmes ressources ou pourrait ne pas avoir les mêmes objectifs.

Enfin, une veille média ne consiste pas seulement à recueillir des informations, mais aussi à les analyser pour en tirer des aperçus utiles. Au final, elle doit permettre de prendre des décisions éclairées.

 

Ce que n’est pas une veille ?

Une veille ne devrait pas être un outil de communication et encore moins un outil d’influence voire de propagande… sauf si tel est votre objectif et que vous en avez décidé ainsi dès le départ. Dans ce cas, la veille peut servir à influencer dès lors qu’elle oriente la lecture de l’utilisateur "naïf" ou pour le moins profane qui ne prendrait pas la peine d’approfondir son sujet. Nombreux sont les fils d’informations qui se présentent comme des veilles « objectives » mais qui en réalité dissimulent une démarche d’influence.

Mais, attention, car la manœuvre peut être rapidement démontée par l’examen de la production des sources que tout un chacun peut faire lorsqu’elles sont en source ouverte, et si le lecteur dispose d’un peu d’expertise.

Ainsi, orienter la veille en ajoutant, retranchant ou limitant des articles ne permet pas de se faire une bonne image du sujet veillé. Typiquement, certaines périodes sont génératrices d’une grande production d’articles qui reflètent simplement l’intérêt des médias et du public pour les sujets du moment. Par exemple le salon de l’auto produit beaucoup de publications sur les véhicules, le blocage du trafic maritime au large du Yémen génère du bruit médiatique sur l’économie, le fret et la logistique. Il n’y a donc rien d’étonnant à produire une veille un peu plus riche sur les sujets du moment et en faire une analyse plus poussée. Mauvaise idée aussi que celle qui consiste à retirer un article sur un sujet qui rebondit dans les médias pour le remplacer par un article qui répond à une commande de diverses autorités. Là aussi, la supercherie peut-être rapidement démontée par un lectorat averti, même si cette dérive est difficilement détectée par un lectorat profane.

Inversement, un produit brut (sans épurer la collecte) est polluant par la quantité d’informations fournies (trop d’information tue l’information). Il faut donc un juste milieu qui accepte parfois un peu plus de matière dans un domaine ou un autre en fonction de l’actualité.

 

Comment produit-on une veille ?

Il est difficile d’expliquer en quelques lignes la construction d’une veille mais il est possible d’en expliquer les grands principes.

Dans le contexte d'une veille, un "thème" fait référence à un axe de veille, une catégorie ou une idée centrale autour de laquelle des informations sont agrégées, analysées et surveillées. Les thèmes définissent les domaines d'intérêt pour le veilleur qui peuvent être larges ou spécifiques en fonction des objectifs de veille. Organiser les thèmes dans une veille est essentiel pour assurer une surveillance efficace et une compréhension claire des tendances. Par exemple, le thème "Technologies pour les véhicules électriques" capte toutes les technologies utilisées pour une voiture électrique, du moteur à la borne de recharge en passant par la batterie, mais un thème "Batterie électrique pour véhicule" sera plus performant en matière de veille pour le sujet primordial de l’énergie embarquée sur un véhicule électrique.

Une fois ces thématiques établies, il faut leurs associer des champs lexicaux. Un champ lexical est un ensemble de termes, de mots-clés, d’expressions, de concepts étroitement liés au thème et utilisés pour collecter les publications.

Au cours de la veille, un groupe de mots est surveillé ou recherché pour obtenir des informations pertinentes sur un domaine donné. Par exemple, dans le cas des énergies de mobilité, le champ lexical pourrait inclure des termes comme voiture électrique, batterie, borne de recharges, carburant, hydrogène etc. Ces champs aident à structurer et à cibler la collecte d'informations dans un domaine précis.

Ces champs lexicaux seront recherchés dans les médias avec des opérateurs logiques "Et" et "Ou" et "Sauf". Par exemple, on peut imaginer que la veille d’un industriel de l’armement comportera le champ "armement" associé ("ET") aux champs "armée défense militaire" pour éviter toutes les publications qui parlent de chalutiers de pêche, des porte-containeurs ou de plaisanciers qui utilisent aussi la notion d’armement dans un tout autre contexte.

Plus un domaine de veille est vaste (l’aérospatial, l’agroalimentaire, etc.), plus il donnera naissance à un grand nombre de champs lexicaux.

Des champs lexicaux restreints peuvent entraîner des lacunes dans la couverture des sujets, des biais cognitifs (opérateur dépendant), un manque de profondeur dans l'analyse et une vision incomplète des tendances émergentes.

Un excès de champs lexicaux peut entraîner une surcharge informationnelle, une perte de focalisation, une analyse superficielle et une difficulté à identifier les informations cruciales parmi le flux constant.

Pour une veille de qualité, il est crucial de trouver un équilibre en sélectionnant les champs lexicaux les plus pertinents pour vos besoins, sans trop disperser les ressources et l'attention.

Une veille bien organisée et circonscrite aux champs lexicaux pertinents produira un corpus bien fourni avec peu de bruit de fond. Cette réflexion préalable nécessite de reprendre très régulièrement la veille pour l’améliorer en modifiant, retranchant ou en introduisant des notions et des champs lexicaux nouveaux.

Enfin, il convient de sélectionner les sources qualifiées pertinentes, telles que les sites d'actualités spécialisés, les blogs et les revues professionnelles, les rapports d'analystes, les communiqués de presse des entreprises, parfois les réseaux sociaux…

Il faut sélectionner des sources mises à jour régulièrement, privilégier la qualité sur la rapidité de publication, utiliser des outils d'agrégation et des alertes personnalisées, surveiller la qualité et la pertinence des sources. Autant prioriser les publications ou les sites établis et reconnus plutôt que les communications peu objectives des influenceurs suivis par millions de followers… sauf dans deux cas : en premier, si ces sources spécifiques se révèlent intéressantes pour certaines formes de veille, notamment dans le domaine de l'innovation, lorsqu’elles contribuent à façonner les opinions et parfois les tendances. Leur utilité se manifeste surtout lors de la phase d'analyse. Dans ce cas, l'essentiel est de bien reconnaître leur influence et de les identifier en conséquence, surtout vis-à-vis du lecteur. Et, dans le second cas, si votre stratégie est de produire une veille d’influence orientée vers vos objectifs.

Il faut rester agile et ajuster les sources en évaluant constamment la pertinence de la veille.

À ce stade, il est nécessaire de se doter d’un logiciel ou d’une IA capable de scanner et de contextualiser les publications pour les sélectionner et les rapprocher des grandes thématiques définies au préalable. Sélectionner chaque mois plusieurs milliers d’articles à l’aide de milliers de sources différentes est impossible sans l’aide d’un processus automatisé, à moins de disposer de disposer de ressources humaines considérables, ce qui semble inconcevable en plein développement des IA et autres logiciels de tris et de recherches qui se généralisent et se démocratisent.

 

Une veille devrait toujours faire l’objet d’une analyse.

Une fois le produit de la veille recueilli, il est essentiel d'analyser et d'interpréter les données afin d'en extraire les tendances, les opportunités et les menaces...

Sans analyse, les données de veille restent des informations brutes, difficiles à interpréter et à utiliser de manière efficace. L'analyse ajoute de la valeur en transformant ces données en résumés exploitables qui offrent une vision claire et approfondie du paysage surveillé. Cela permet une prise de décision plus éclairée et stratégique.

Cette analyse peut inclure la recherche de schémas récurrents, l'identification des acteurs clés, l'évaluation de l'impact potentiel sur l'industrie, l'anticipation des évolutions réglementaires, l'évaluation des forces concurrentielles et des stratégies des entreprises du secteur…

 

La diffusion est-elle la meilleure forme de valorisation ?

Dans certains cas, la diffusion des informations pertinentes et des analyses réalisées constitue une étape cruciale de la veille. Sous la forme de rapports périodiques, de bulletins d'information, de présentations ou de discussions internes au sein d'une organisation, la diffusion permet de sensibiliser les parties prenantes, de favoriser les échanges et les débats, et d'orienter les prises de décision stratégiques.

Attention toutefois, ce qui est valable pour les uns n’est pas forcément valable pour d’autres.

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles il peut être préférable de ne pas diffuser une veille : la décision de diffuser ou de retenir la diffusion d'une veille dépend des informations collectées, de leur sensibilité, de leur nature confidentielle, de la conformité légale, et de l'impact potentiel sur les intérêts individuels ou organisationnels. Dans certains cas, il peut être plus judicieux de restreindre la diffusion pour des raisons de confidentialité, de protection des données, pour ne pas renseigner les concurrents en réalisant le travail qu’ils ne font pas ou pour respecter des réglementations.

 

Une veille est un objet itératif

L'itération dans la veille permet de maintenir sa pertinence et sa valeur dans un paysage d'informations constamment changeant. Cela implique une adaptation continue, des ajustements basés sur l'apprentissage et une recherche constante d'amélioration pour répondre aux besoins eux aussi changeants et finalement offrir des aperçus pertinents et actuels.

Il est nécessaire de se (re)poser régulièrement les questions des domaines à surveiller (nouvelles applications), de la pertinence des champs lexicaux (nouveaux produits, nouveaux noms). Il faut donc réévaluer la veille de façon régulière pour rester pertinent et ne pas dériver par rapport aux objectifs que l’on s’était fixés.

 

Mes conseils

La veille n’est pas une activité accessoire, c’est une activité stratégique pour une organisation, une activité continue. Elle nécessite un investissement important en temps et en ressources humaines, puis un suivi tout aussi important lorsqu’il faut l’analyser, la diffuser ou la maintenir à niveau. Idéalement, plusieurs acteurs doivent s’en occuper afin de pallier l’absence de l’un ou l’autre et surtout de croiser leurs visions car la veille est "opérateur dépendant" parce que ceux-ci définissent les thématiques et les champs lexicaux. Ne sous-estimez pas cette dimension qui est primordiale pour la pérennité.

Ne tentez pas de mélanger communication et veille qui sont deux produits qui n’habitent pas sous le même toit. Tous deux sont des moyens au service d’une stratégie, mais deux moyens distincts, même si la veille est une formidable ressource pour la communication.

Si malgré cette description peu attractive et pleine d’avertissements vous souhaitez vous lancer dans une veille, prenez le temps de la réflexion, de bien identifier vos attentes et vos objectifs et d’emporter avec vous les experts des différents domaines à veiller, les seuls à disposer d’une expertise nécessaire pour définir les thématiques, les champs lexicaux et surtout capable de réaliser l’analyse post veille. Vous pourrez ensuite vous lancer avec des outils en accès libre ou plus conséquents et plus couteux. Une veille peut être un formidable outil de connaissance et même un beau projet d’entreprise qui associera veilleurs, experts et acteurs dans une démarche de performance.

Christophe Rafenberg

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Remerciements : Alberto Costa et Elanor Leblanc pour leur relecture experte.

29/01/2024

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