Se réinventer et revenir à l'essentiel : une nécessité pour l’industrie pharmaceutique

27/05/2023 - 22 min. de lecture

Se réinventer et revenir à l'essentiel : une nécessité pour l’industrie pharmaceutique - Cercle K2

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Philippe Mourouga est VP International Partner Markets, Biogen Intercontinental Region.

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Se réinventer et revenir à l'essentiel : une nécessité pour l’industrie pharmaceutique

 

Depuis 2019, le Comité de surveillance et de réforme de la Chambre des représentants a lancé une enquête approfondie sur les prix des produits pharmaceutiques et les pratiques commerciales de l’industrie pharmaceutique; 7 rapports ont été publiés à ce jour, le 7ème rapport analyse les données financières des 14 plus grandes sociétés pharmaceutiques du monde. Ce rapport met en évidence le déséquilibre entre les investissements dans la recherche et la rémunération attribuée aux actionnaires. Les travaux de la commission sur les pratiques de l'industrie pharmaceutique démontrent clairement l'existence d'une dérive de la mission de recherche et de développement de l'industrie en faveur d‘une recherche de maximisation du profit. Malheureusement, ces pratiques semblent être communes à toutes les entreprises étudiées. Une explication classique de cette dérive réside dans la nécessité pour les entreprises pharmaceutiques de satisfaire leurs actionnaires. En effet, le droit des sociétés met au premier plan la primauté de l'actionnaire, c'est-à-dire la nécessité pour les entreprises d’être au service des actionnaires, la raison d’être du modèle d'entreprise actuel. Cet argument est souvent utilisé pour exonérer les entreprises de leurs devoirs envers le reste de la société. Cependant, depuis quelques années, une nouvelle vision a émergé : les entreprises doivent se soucier de et mettre au premier plan leur impact sociétal. Par conséquent, une plus grande attention a été apporté à développer une croissance économique durable plutôt qu'une approche purement financière de l’entreprise. En effet, il est désormais largement admis que la valeur actionnariale de l’entreprise doit être le résultat d'une action de cette même entreprise vers ses clients, ses employés et les communautés dans lesquelles elle opère.

"Les actionnaires ne sont pas propriétaires des sociétés. Contrairement à l'idée reçue, les entreprises ont une personnalité juridique et ne sont pas la propriété de leurs investisseurs. La position des actionnaires s'apparente à celle des détenteurs d'obligations, des créanciers et des employés, qui ont tous des relations contractuelles avec les entreprises mais ne les possèdent pas" (Tunjic, 2017).

Dans le cas de l'industrie pharmaceutique, outre cette dimension de culture d'entreprise, la conviction commune que la santé est un droit de l'homme inaliénable qui n’est en aucun cas lié à une attitude de consommation détermine l’approche morale que l’entreprise se doit d’adopter : les médicaments ne sont pas des biens de consommation et ne peuvent donc suivre une approche classique de vente. L'une des principales conséquences pour l'industrie pharmaceutique est le devoir de faire progresser la santé en développant des médicaments innovants et efficaces, le meilleur indicateur financier de cet engagement étant représenté par les ressources consacrées au financement de la recherche et du développement. Dans le travail actuel, nous avons constaté qu'en moyenne 20 % des résultats des ventes sont allouées au financement de la recherche et du développement, contre 25 % aux frais généraux et administratifs. Cette répartition déséquilibrée suscite des inquiétudes et des questions de la part de nombreuses parties prenantes quant à la capacité du modèle classique de marketing et de vente à soutenir efficacement l'innovation en santé. En d'autres termes, quelle part une entreprise doit-elle allouer aux ventes et au marketing par rapport à la recherche médicale ou à la recherche ? Un modèle basé sur la promotion des produits à travers le prisme du consommateur semble générer des coûts indus, car il ne tient pas compte de la valeur réelle du médicament, mais de la capacité de l'entreprise à déclencher des ventes par le biais de techniques de marketing. Cette approche ne fait pas la différence entre les entreprises innovantes et les entreprises « copiant l’innovation » et introduit un biais sur le marché en poussant les investisseurs à se concentrer uniquement sur le chiffre d'affaires : "L'argent est roi" pourrait devenir une devise mortelle pour l'industrie pharmaceutique. En outre, nous constatons que la plupart des entreprises pharmaceutiques modifient lentement leur modèle pour établir des partenariats solides avec les associations de patients, les sociétés médicales et tentent de nouer des partenariats avec les gouvernements.

Cette nouvelle typologie de modèles d'entreprise émerge dans le monde de la biotechnologie afin de répondre à l'évolution rapide de la recherche. L'innovation « ouverte » consiste en un changement de paradigme du processus d'innovation en ouvrant la voie à un modèle d'entreprise reposant sur des partenariats tant du côté de la recherche que du côté commercial dans l’optique d’optimiser les coûts de recherche et de développement. Ces modèles de R&D reposant sur l'innovation ouverte et les modèles d'entreprise en réseau sont considérés comme la nouvelle norme dans le domaine de la biotechnologie. Enfin, les collaborations noués avec les associations de patient sont un élément essentiel de ces nouvelles approches. Dans le même temps, la capacité technologique à exploiter les données de santé générées en vie réelle permet de prendre des décisions thérapeutiques plus éclairées, ce qui accélère ll’adoption de nouvelles mesures thérapeutiques : Le terme "ancien" se compte aujourd'hui en mois. L’adoption en santé de solutions thérapeutiques basées sur les ARNm et les ARNs est un bon exemple de ce nouveau paradigme. Ces nouveaux modèles impliquent le passage d'une approche commerciale axée sur le produit à une approche centrée sur le système de soins et le patient, avec un nouveau continuum dans le mode de collaboration entre les acteurs de santé : crow-funding, partenariats de recherche, programmes de co-conception, collaboration avec les communautés de patients et groupes de discussion. La maladie d'Alzheimer est un parfait exemple de cette complexité : le patient (et sa famille) n'est plus un consommateur, mais un co-développeur et un acteur de sa propre santé.

Un modèle basé sur le partage d'informations et le partenariat avec les parties prenantes nécessite des investissements ; soutenir à la fois le modèle de promotion classique et ce modèle de partenariat est à la fois discutable d'un point de vue éthique et trop contraignant financièrement. Les analystes et les investisseurs pourraient demander plus de clarté sur l'affectation des dépenses avec la définition de seuil selon les postes de dépenses afin de s’assurer que les frais de vente et marketing sont en phase avec cette nouvelle philosophie. Dans le même esprit, l'investissement socialement responsable (ESG) a un impact sur le comportement d'investissement en créant une approche d'investissement liée à une mission permettant d'équilibrer les intérêts des actionnaires avec les préoccupations des parties prenantes. Les investisseurs ESG ont tendance à être des investisseurs plus activistes, se tournant vers des fonds négociés en bourse (ETF) axés sur l'ESG et examinant des indicateurs spécifiques tels que décrits ci- dessus. Les détracteurs de la tendance à l'investissement socialement responsable considèrent qu'elle nuit à la rentabilité des investissements et rend le fonctionnement des entreprises et des marchés financiers moins efficace. Par exemple, Friedman a soutenu que l'évaluation d'une entreprise doit se concentrer sur la valeur financière de l'entreprise et sur ses bénéfices nets et que les dépenses des entreprises socialement responsables sont presque toujours des "dépenses non essentielles" qui érodent les bénéfices de l'entreprise et des actionnaires. Toutefois, en ce qui concerne l'industrie pharmaceutique, nous pourrions considérer que l'investissement dans la R&D et la mise en place de ce modèle de partenariat constituent une "dépense essentielle" soutenant à la fois l'innovation et le contrat social entre l'industrie pharmaceutique et ses parties prenantes. Cela devrait être considéré comme "la bonne chose à faire" et, à long terme, comme le meilleur retour sur investissement.

Dans quelle mesure la direction générale et le conseil d'administration prennent-ils en compte les intérêts des différents acteurs de l'entreprise et des parties prenantes : employés, actionnaires et clients ? L'entreprise rend-elle à la communauté où elle est implantée ce qu'elle lui a donné ? Ces deux questions sont au cœur de toute transformation de l'industrie pharmaceutique et l'équilibre entre l'intérêt de l'investisseur et l'innovation médicale transformant le bien- être de la communauté est le socle de cette approche. Dès que le marché récompense une entreprise non innovante ou une entreprise aux pratiques mercantiles dédiées uniquement à la création de profit dans une logique purement commerciale, le contrat moral et social entre les entreprises pharmaceutiques et la société est rompu. Les médicaments et la santé ne peuvent pas être considérés uniquement comme des biens marchands dans la mesure où ils ont également une dimension de biens communs en raison de leur potentiel de transformation de la santé de la communauté mondiale. Les investisseurs doivent être conscients de cette dimension et soutenir les entreprises qui ont des objectifs durables clairs.

 

Le nouveau monde : tirer parti de la RSE pour maintenir l'avance de l'industrie pharmaceutique en matière d'innovation

Les investisseurs et les actionnaires ont une responsabilité morale claire à l'égard de la société, celle de soutenir, d'encourager et de faire évoluer le modèle commercial actuel de l'industrie pharmaceutique. En permettant une distinction claire entre les entreprises pharmaceutiques centrées sur la recherche et les entreprises pharmaceutiques uniquement soucieuse de générer du bénéfice dans une approche de pure consommation, les investisseurs initieront ce changement de paradigme. La devise "l'argent est roi" pourrait évoluer vers "l'innovation est reine" : les capitaux devraient être redirigés vers les sociétés ayant une signature innovante claire, un pipeline différencié et un fort réinvestissement dans la R&D.

Différents mécanismes pourraient contribuer à la mise en œuvre de ce changement :

1. En disposant d'une analyse détaillée du SG&A, les actionnaires pourraient optimiser le rendement global pour toutes les parties prenantes ; en effet, une diminution des SG&A au profit des dépenses de recherche et médicales permettra la transformation de ce modèle.L'impact sur le chiffre d'affaires d’une telle transformation reste à déterminer; cependant, on peut envisager que ce "nouveau" modèle pourrait en même temps :

(a) protéger la rentabilité globale de l'entreprise en réduisant les coûts et en optimisant les profits,

(b) augmenter les dépenses relatives en R&D pour maintenir les dépenses absolues en R&D constantes ou même en les augmentant,

(c) réduire l'impact budgétaire sur le système de santé en apportant une plus grande valeur ajoutée à la société grâce au développement de partenariats non commerciaux.

Actuellement, le marketing et les ventes se taillent la part du lion dans les dépenses globales de la plupart des entreprises, comme le montre le présent travail. Cependant, les pure players, c'est-à-dire ceux qui se concentrent sur la production pharmaceutique, pourraient certainement conserver un avantage concurrentiel en mettant sur le marché des médicaments innovants dont le prix pourrait être fixé en fonction de leur valeur ajoutée pour le système de santé et de leur potentiel à guérir de plus en plus de maladies. Ces médicaments n'auront pas besoin d'être fortement soutenus par des techniques de marketing et de vente agressives, car ils apporteront l'innovation médicale attendue par les professionnels de la santé, les patients et les responsables de santé. Le récent débat sur la maladie d'Alzheimer a clairement démontré que la compréhension de la véritable valeur clinique d'un médicament est essentielle à l'acceptation par toutes les parties prenantes et qu'elle ne peut être compensée par des approches marketing ou commerciale. Un développement médiocre conduit à une évaluation médiocre qui compromet ensuite l'accès, ce qui fait de la commercialisation un rêve. À l'inverse, un récit médical clair basé sur des données cliniques solides soutient la revendication d'une innovation sans nécessité de lourds investissements commerciaux. : la pratique médicale évolue avec toute véritable innovation et l’industrie pharmaceutique a un rôle à jouer dans cette évolution.

2. L'approche ESR a contribué à orienter le marché vers l'investissement durable. De simples modifications des critères d'évaluation actuels de l'ESR pourraient accélérer cette évolution :

  • une plus grande attention portée aux dépenses de SG&A, avec le souci de différencier les investissements dans le domaine médical ou en partenariat avec les autorités sanitaires, des investissements dans les techniques de vente et de marketing,
  • un poids important accordé à la rNPV afin de valoriser le pipeline et l'innovation plus que les performances financières à court terme,
  • la définition d'un panier d'entreprises mettant l'accent sur l'innovation lors des comparaisons entre pairs. Cela permettra de faire la distinction entre les entreprises réellement innovantes et les entreprises non innovantes,
  • enfin, la promotion de l'accès aux médicaments par le biais de mécanismes tels que la Communauté de brevets sur les médicaments à but non lucratif (Medicines Patent Pool) devrait être récompensée et incluse dans les critères de l'ESR.

En déplaçant le poids accordé aux performances financières à court terme vers une approche plus durable pour toutes les parties prenantes, le marché soutiendra le développement d'un modèle d'entreprise pharmaceutique durable. Les gouvernements pourraient travailler aux côtés des investisseurs en mettant en œuvre de nouvelles mesures juridiques et réglementaires pour permettre l'émergence d'un modèle médical centré sur le patient. La nécessité pour l'industrie de lever d'énormes sommes d'argent pour financer sa recherche et développer des médicaments est une question financière primordiale. Mais au-delà de cette question, les percées scientifiques joueront un rôle majeur dans l'élaboration du modèle commercial de l'industrie : l'argent doit financer la transformation de la science, il n'y a pas de place pour les médicaments de type « me too ». D'une manière générale, le message de la société envers l’industrie pharmaceutique est ce besoin impérieux de redécouvrir ses vraies valeurs avec un objectif scientifique et social clairement défini et assumé.

Il a par ailleurs été prouvé dans de nombreux domaines qu'une bonne gouvernance peut être un facteur clé de succès financier : il existe un lien étroit entre la réputation d’une entreprise et son résultat net.

De nombreux travaux ont mis en évidence six enjeux de réputation pour une entreprise : l'éthique, l'innovation, la sécurité, la durabilité, la qualité et la sûreté. Si une entreprise ne tient pas ses promesses dans ces domaines, elle ne peut maintenir sa réputation et s’aliène ainsi le marché entraînant des pertes économiques doublé d’un impact politique et sociétal. L’industrie pharmaceutique l’a bien compris et s'intéresse de plus en plus aux questions de réputation, avec cependant une tendance à confondre marketing et relations publiques.

En conclusion, il semble, de plus en plus, que les entreprises soucieuses de porter au niveau du conseil d’administration les questions d’équité d’accès et de prix "juste" couplés aux développement d’innovations de rupture, sont les entreprises qui survivront à ce changement de paradigme :

"Nous constatons que de nombreux investisseurs et parties intéressées ont désormais tendance à parler de la licence d'exploitation et de l'importance pour les entreprises pharmaceutiques de maintenir ce contrat sociétal afin que leur activité soit bénéfique pour les deux parties", Access to Medicines Foundation.

 

Fixer un prix efficace en combinant une approche de marché favorisant la concurrence et une perspective de "bien commun" pour les médicaments non innovants

Quelles sont les questions qui façonneront l'avenir immédiat de l'industrie pharmaceutique ? Une seule chose semble certaine : les pressions sur l’industrie de la part de gouvernement sous tension financière ne feront que s’intensifier au cours des trois à cinq prochaines années. Des politiques de prix équitables seront cruciales, à la fois pour continuer de garantir l’accès aux médicaments pour tous et pour s’assurer que les entreprises puissent continuer de se développer.

Cependant, le marché pharmaceutique est connu pour la forte volatilité des prix des médicaments innovants. C'est la conséquence d'un paysage économique complexe dans lequel les facteurs de l'offre et de la demande, les incitations financières et la législation jouent un rôle. L'engagement de l'entreprise à réinvestir les liquidités dans la R&D, la vente et le marketing plutôt que de les distribuer aux actionnaires a des implications directes sur la volonté des gouvernements d'accepter une telle volatilité des prix et/ou des prix élevés. En ce qui concerne la santé, une approche purement concurrentielle des prix du marché semble conduire à l’idée reçue selon laquelle les prix sont trop élevés en raison d'une forme de monopole exercé par les sociétés pharmaceutiques. En dehors des États-Unis, et maintenant de plus en plus aux États-Unis, le concept selon lequel le contrôle des prix améliore le bien-être social et devrait éclipser les considérations commerciales pour aboutir à un processus de détermination des prix plus inclusif et plus humaniste, devient le concept dominant. Toutefois, cela ne devrait pas menacer l'industrie de gagner ou d'obtenir des prix élevés pour les médicaments révolutionnaires. La question du prix "approprié" ou "juste" est au cœur de ce débat. Toutes les parties prenantes s'accordent à dire que ce prix devrait permettre d'investir correctement dans la recherche afin de développer des innovations de pointe et d'assurer un rendement adéquat pour les actionnaires. Un autre problème est lié au modèle commercial équitable qui soutient cette croissance : les ventes soutiennent le réinvestissement dans la recherche pour la prochaine génération d'innovations ; mais comment une société pharmaceutique peut-elle soutenir la croissance des ventes ? Le modèle pharmaceutique est-il un modèle de consommation et, en tant que tel, un modèle pour lequel les ventes sont stimulées par la promotion ? Actuellement, la promotion des médicaments joue un rôle clé dans l'optimisation des ventes et l'industrie pharmaceutique a fait l'objet de nombreuses critiques pour ses pratiques promotionnelles. La sensibilisation des professionnels de la santé et l'actualisation de leurs connaissances sur les avancées récentes en matière de traitement sont deux conséquences importantes d'une approche promotionnelle appropriée telle que souhaitée par les autorités. Toutefois, de nombreuses parties prenantes se sont inquiétées du fait que la promotion des médicaments avait progressivement évolué pour englober des stratégies de marketing agressives et des pratiques commerciales et scientifiques parfois contraires à l'éthique, où la nécessité de réaliser des profits éclipse l'engagement en faveur des soins aux patients et de l'exploration scientifique. Cette évolution est en grande partie responsable de la mauvaise réputation de l'industrie pharmaceutique au cours des dernières années et a eu un impact certain sur le coût des médicaments en augmentant le prix de gros moyen, alors qu'il est prouvé que les techniques de marketing agressives induisent une surconsommation et un surtraitement, créant ainsi une expansion artificielle du marché.

Cette période est désormais révolue et il a été clairement compris que l'industrie pharmaceutique allait devoir modifier son mode de fonctionnement.

Le modèle de promotion doit être modifié en soutenant davantage les programmes de formation médicale gérés par les instituts universitaires, en gérant un réseau d'alliances externes et en dialoguant avec les gouvernements et les assureurs de santé. Le tournant vers des pathologies rares ou orphelines et le lien avec les associations de patients contribuera à modifier radicalement ce modèle de promotion avec la création d’un processus dans lequel l'information sera continuellement diffusée dans une série d'interactions non controversées. Cette nouvelle approche sera la clé permettant de changer la réputation de l'industrie pharmaceutique en permettant que tous les partenaires soutiennent réellement son modèle d'entreprise. Ce changement de modèle aura un impact direct sur la manière dont les investisseurs pourraient évaluer les principaux groupes pharmaceutiques et les valoriser sur le marché.

Un thème commun émerge : le nouveau modèle d'entreprise reliera dans un triangle "le monde académique, les gouvernements et l'industrie". Les gouvernements ne peuvent plus se contenter d'être des organismes de financement, les centres de recherche doivent se rassembler pour concentrer leurs efforts, l'industrie doit canaliser ses efforts dans des trajectoires de développement à long terme. L'époque de la concurrence dérivée de l'idéologie classique du marché de consommation est révolue, en raison des besoins accrus en matière de santé. L’essor de découvertes révolutionnaires dans le domaine de la recherche, qui demande des investissements de plus en plus grands, augmente la pression économique sur les systèmes de santé et la rend difficilement supportable. Dans le même temps, l‘apparition d’un monde où l'innovation ouverte devient la norme, l’importance croissante des marchés émergents et le renouvellement constant des thérapies offrent un environnement favorable au partage d’information sur des plates-formes technologiques hautement spécialisées permettant un développement rapide de l'innovation avec des retours équitables pour toutes les parties.

Le partage des risques et des connaissances aura un impact certain sur le mode de fixation des prix des médicaments dans la mesure où la valeur pour le système de santé a été codéveloppé : le concept de tarification fondée sur la valeur (VBP) devient alors central. Ce concept implique que les prix sont principalement déterminés par la valeur d'un médicament (rapport qualité-prix) et que l'impact sur le budget (durabilité) est considéré comme secondaire par rapport à cette valeur. La VBP a été appliquée selon deux modèles :

  • des modèles directs dans lesquels le rapport coût-efficacité est un facteur déterminant,
  • des modèles indirects ou des modèles multi-attributs caractérisés par un poids plus grand porté sur les liens entre les différents éléments de valeur permettant une évaluation plus cohérente entre coûts et valeur. Dans ces modèles, le rapport coût-efficacité n'est pas un facteur déterminant.

Le VBP permet d’établir :

  • un lien clair et prédéfini entre la valeur ajoutée et le prix proposé,
  • plus de transparence entre valeur ajoutée et prix,
  • des résultats mesurables : la valeur ne peut être calculée que s'il existe des résultats mesurables pour la population traitée, avec une corrélation significative avec l'utilisation du produit.

L'absence d'alternatives génériques est cependant une nécessité ; en effet, s'il existe des versions génériques du produit déjà sur le marché - ou qui le seront bientôt - le médicament est en concurrence avec d'autres produits sur les coûts plutôt que sur les résultats, ce qui réduit la pertinence du concept de valeur.

D'autres conditions "souhaitables" ont été décrites pour permettre l'utilisation de la VBP :

  • Lorsque les cliniciens et/ou les payeurs s'interrogent sur l'efficacité et/ou l'utilisation appropriée du produit : dans de telles circonstances, le VBP permet aux entreprises pharmaceutiques de montrer leur engagement en démontrant leur confiance dans l'efficacité du médicament dans un contexte réel. Il s'agit également d'une excellente occasion de recueillir des preuves cliniques et de répondre à d'éventuelles préoccupations en matière d'efficacité.
  • Lorsque le marché du médicament est très concurrentiel : Le VBP donne aux entreprises pharmaceutiques la possibilité de différencier leurs thérapies et de gagner des parts de marché, grâce à un statut privilégié ou exclusif sur la liste des médicaments.
  • Lorsque les volumes de vente réels ou potentiels sont importants : le coût de mise en place du VBP est contrebalancé par la génération de recettes élevées pour l’industriel.

La VBP est essentiellement une approche qui récompense les entreprises sur la base de leurs promesses et leur permet de respecter leur engagement envers la société. En maintenant des prix élevés pour les médicaments innovants, elle contribue à remplir l'engagement pris par les entreprises vis-à-vis du marché, à savoir que des risques élevés seront compensés par des récompenses élevées.

Comme décrit dans ce travail, peu de pays adoptent cette approche et même si c'est le cas, la plupart des premiers adoptants sont confrontés à des problèmes méthodologiques :

  • le manque de données appropriées,
  • les difficultés à s'entendre sur une définition commune de la valeur : clinique, sociétale, centrée sur le patient, etc.,
  • la crainte d'accroître le déficit budgétaire lorsqu'on passe d'une perspective purement commerciale à une définition plus holistique de la valeur,
  • la nécessité de surmonter les limitations réglementaires et légales.

Une autre discussion brûlante concerne le "monopole temporaire" sur les ventes accordé aux sociétés pharmaceutiques en vertu de leurs droits au brevet, moyen octroyé par la société pour aider à financer le développement de nouveaux médicaments. Dans un article publié en 2011des chercheurs ont établi qu'aux États-Unis, la période d'exclusivité du marché était en moyenne de 12,5 ans, avec une érosion rapide de la part de marché dès que des génériques sont disponibles. Les économies liées à l'arrivée des génériques sur le marché américain ont été estimées à 313 milliards de dollars en 2019 ; sur la période 2010 - 2019, les États-Unis ont économisé 2200 milliards de dollars grâce aux médicaments génériques. En Europe, la situation est plus contrastée avec une pénétration plus faible des génériques dans la plupart des pays européens par rapport aux États-Unis. Il est communément admis qu'il existe des possibilités d'économies sur les marchés des médicaments hors brevet en Europe et aux États-Unis grâce à la réduction des délais de mise à disposition des génériques, à la stimulation de la concurrence par les prix et à l'augmentation de l'utilisation des médicaments génériques. Cependant, le système actuel montre ses limites avec certains outils utilisés par l'industrie pharmaceutique, tels que les brevets secondaires et divisionnaires, les réseaux de brevets et les liens entre brevets, pour retarder l'entrée sur le marché de nouveaux médicaments génériques et biosimilaires. Cela appelle à une nouvelle ère de collaboration entre les entreprises pharmaceutiques et les gouvernements.

L'organisation à but non lucratif, Medicines Patent Pool (MPP), est un exemple de collaboration autour des brevets. Le MPP est une organisation internationale soutenue par Unitaid et fondée en juillet 2010. Elle a été créée pour faire baisser les prix des médicaments contre le VIH, la tuberculose et l'hépatite C grâce à des licences volontaires et à la mise en commun des brevets : le MPP négocie des licences axées sur la santé publique avec les détenteurs de brevets, et des sous-licences avec les fabricants de génériques. Cette initiative visait à soutenir une approche plus inclusive de la lutte contre le VIH, la tuberculose et l'hépatite C dans le monde et a été élargie pour soutenir la lutte contre le Covid 19. Cette alliance entre organisation internationale et entreprises pharmaceutiques a bien fonctionné avec la signature de nombreux accords avec le MPP. Cela a clairement démontré qu'en cas de besoin, un consensus peut être trouvé pour préserver les entreprises tout en équilibrant les coûts pour les systèmes de santé.

Un autre débat intéressant a eu lieu à la fin de l'année 2021, lorsque Novartis a annoncé qu'il cherchait à se défaire de sa filiale de médicaments génériques Sandoz. Suite à cette annonce, le vice-président du Parti socialiste suisse, Samuel Bendahan, a déposé une motion demandant au gouvernement suisse d'acquérir Sandoz. Il a fait valoir que l'acquisition de Sandoz serait à la fois une question d'importance critique pour la refonte de la stratégie du gouvernement suisse en matière de santé et la garantie d'une source sûre et fiable d’approvisionnement. En effet, la perspective de rentabilité d'une institution publique est assez différente de celle de l'industrie pharmaceutique avec un financement effectué par le biais de partenariats et de stratégies de financement différenciées. L'idée centrale de cette proposition reposait sur une question de sécurité d'approvisionnement et de qualité des soins ; la proposition n'a pas été acceptée au final mais a eu le mérite de relancer le débat portant sur les questions de financement du médicament.

Ces deux exemples pourraient être considérés comme une tentative de considérer les médicaments, lorsque les brevets ne sont plus en vigueur ou dans une situation d'urgence, comme des "biens publics mondiaux". Le concept de biens publics mondiaux fait référence aux "programmes, politiques et services qui ont un impact véritablement mondial sur la santé". Nous pourrions affirmer que les médicaments entreraient dans cette catégorie après leur phase initiale d'innovation si un accord commun était trouvé pour définir les médicaments non brevetés comme étant des biens non rivaux et non exclusifs. Cela entraînera certainement un débat car les médicaments seront considérés comme des biens privés clairs au départ (c'est-à-dire au stade du brevet) mais, au stade postérieur au brevet, ils pourraient devenir des biens publics impurs ou des biens de mérite grâce à la création de nouvelles politiques en matière de médicaments. Un exemple de cette approche est l'idée proposée par Suerie Moon et al. lorsqu'ils ont proposé un traité de R&D comme outil efficace pour générer de la R&D médicale en tant que bien public mondial, arguant qu'une telle approche instituera un partage équitable des bénéfices pour tous. La proposition actuelle est moins ambitieuse, mais elle constituera sans aucun doute une bonne étape vers un domaine plus collaboratif. Nous pouvons donc espérer que le rêve d'un nouveau contrat social entre les entreprises pharmaceutiques et toutes les parties prenantes deviendra réalité.

Philippe Mourouga

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Bibliographie

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18. Biens publics mondiaux pour la santé, Rapport du groupe de travail 2 de la Commission Macroéconomie et Santé, août 2002, OMS.

19. Les biens d'intérêt général sont des biens auxquels les gens devraient avoir accès, indépendamment de leur capacité ou de leur volonté de payer, parce que les biens présentent d'importantes externalités d'intérêt public (telles que la santé dans notre situation).

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