Si le mot résilience vous agace, vous n’avez pas fini d’en entendre parler et voici pourquoi…
05/11/2021 - 6 min. de lecture
Le Cercle K2 n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les publications (écrites et vidéos) qui restent propres à leur auteur.
Christian Sommade est Délégué général du Haut comité français pour la résilience nationale.
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La résilience est mise à toutes les sauces aujourd’hui et surtout depuis la crise Covid. Mais personne ne comprend vraiment la même chose lorsque ce mot est employé… et le mot résilience est-il vraiment et spécifiquement utile dans le vocabulaire de notre époque ?
Personnellement, je pense que oui, et je vais essayer à la fois d’expliciter le sens du mot dans ses différents usages et applications, mais surtout de démontrer pourquoi il est utile et spécifique au regard d’autres appellations.
L’approche de la notion de résilience nécessite d’en définir les champs d’application, les différentes formes qu’elle peut prendre, et les valeurs qu’elle porte afin d’envisager le rapport coût-bénéfice de la démarche, et pourquoi celle-ci se justifie particulièrement dans notre monde actuel et futur.
Le champ de la résilience s’applique autant à l’individu qu’à la collectivité, quelle qu’elle soit.
La résilience individuelle se centre autant sur l’individu que sur la famille proche (le ménage).
La résilience collective couvre toutes les organisations qui entourent l’individu, qu’elles soient d’ordre privé ou public : la famille élargie, les affiliations (associations, etc.), l’entreprise ou l’organisation dans laquelle nous travaillons ou parfois nous vivons (maison de retraite, corps collectif - militaire par exemple - etc.), la commune dans laquelle nous résidons, puis le département, la région, la nation, l’Europe. Sans oublier qu’au final, nous sommes tous citoyens du monde, face à certains risques planétaires ou à certaines valeurs universelles.
Nous constatons ainsi l’emboitement en poupées russes de nos affiliations et interconnexions sociétales, qui sont mesurables à l’aune de nos interdépendances locales, régionales, nationales, européennes et internationales. Ce qu’a démontré la crise Covid, c’est l’hyper complexité de l’interdépendance et la fragilité des liens entre nations et continents dès qu’une situation se tend. La mondialisation est fragile de par sa complexité et ses interdépendances, mais aussi par ses modèles politiques, sociaux et économiques. Les tensions géopolitiques des blocs et des nations ne manquent pas de resurgir dès que la machine économique ou sécuritaire se grippe, rajoutant incertitudes et tensions à des situations complexes où les égoïsmes sont souvent présents.
Comment aborder la résilience face aux enjeux que sont l’absorption des chocs, violents ou extrêmes tant aux plans local, régional, national, continental que mondial ? Et comment faire en sorte que cette résilience soit portée sur le long terme dans un contexte écologique, sécuritaire et social tendu ou inconnu ?
La résilience se décline, tant au plan personnel que collectif, via deux approches : la résilience organisationnelle et la résilience structurelle.
La résilience organisationnelle est connue depuis très longtemps : ce sont toutes les mesures qu’une organisation ou un individu peut prendre pour réduire l’impact d’un choc. Professionnellement, ce sont les actions suivantes : l’analyse des risques et menaces auxquels on est exposé, la planification, la prévention, la préparation (test, exercice), la veille, l’alerte, la gestion de "crise", la continuité d’activité ou de services, les actions post-crise, le Retex. Tout cela est archiconnu, mais souvent peu réalisé ou réalisé au "rabais", ce qui donne des résultats "au rabais" lorsque survient la crise.
La résilience structurelle prend en compte l’anticipation et la prospective des scénarios (effets cascades et parfois systémiques), mais surtout la réduction des vulnérabilités par de nombreuses actions tant structurelles par essence (construction, renforcement, etc.), qu’organisationnelles ou comportementales. Mais c’est aussi l’adaptation dynamique aux changements environnementaux (climatique, biodiversité, etc.), technologiques et sociétaux. En effet, notre monde change en permanence et nous ne pouvons penser développer pour demain sans penser au monde de demain, tel qu’il sera ou risque d’être, et dimensionner nos actions de "résilience" en concordance, faute de quoi nous aurons toujours une guerre de retard. Il s’agit ici de planification et résilience que je qualifierai de "dynamiques". Cela s’applique à un nombre de décisions considérables à tous les niveaux de la société, d’où la nécessité de prendre en compte ce mot "dès la naissance d’une idée ou d’une décision". C’est la notion de "décision résiliente" qu’il convient de développer.
Mais il existe aussi de nombreuses résiliences plus "techniques" selon le champ d’application : la résilience psychique et psychologique, la résilience des matériaux, la résilience des systèmes écologiques (écosystèmes), la résilience des réseaux (d'infrastructures), la résilience des systèmes d'information, la résilience de la supply-chain, la résilience urbaine, la résilience alimentaire… pour ne citer que celles-là, mais il existe encore beaucoup d’autres "résiliences techniques ou sectorielles". Toutes ces résiliences ont deux objets principaux : étudier les ruptures et fragilités avérées ou potentielles, trouver des solutions d’évitement, de protection ou de recouvrement, et toujours se préparer...
Pour "faire de la résilience", il faut mettre en œuvre des méthodes et des techniques, mais aussi promouvoir des valeurs. Ces valeurs de la résilience sont de deux natures : des valeurs humaines intrinsèques à la démarche et à la forme de décision, et des valeurs objectives de retour sur investissement, dites stratégiques, dont certaines sont promues par l’ONU.
Les valeurs humaines intrinsèques de la démarche de résilience sont principalement la conscience et la vision de la société dans son environnement actuel et futur (tel que la science peut l’approcher), les approches de robustesse (redondance), de durcissement, les technologies de solutions disruptives, l’adaptation régulière, le sens de l’intérêt général, la solidarité, l’honnêteté, l’humilité, la transparence, la stabilité et, par-dessus tout, la volonté politique et sociale de la démarche dans le temps long.
Les valeurs objectives, stratégiques visées par la démarche sont tout d’abord la réduction de l’impact humain des désastres, la réduction des coûts des catastrophes (valeurs prônées par l’ONU), mais aussi la réduction des stress sur les organisations et les populations, la réduction des désordres sociétaux, mais aussi une certaine garantie face à la complexité et aux situations extrêmes, dans la dynamique de progrès que va connaître le monde dans le siècle à venir. La résilience devra faire partie du modèle politique futur pour associer sécurité, productivité et préservation.
Une fois que nous avons cerné tous les champs de la résilience, les méthodes d’application et les valeurs attachées à ce concept, il convient d’examiner ce qu’amène cette démarche et quel est son coût par rapport aux démarches traditionnelles de gestion ou de développement.
La résilience a un coût. Ce coût est à deux niveaux : un coût de gestion et un coût d’investissement. Peu de recherches ont été faites au niveau macro-économique du coût d’une société globalement résiliente, que certains estiment de 0,5 à 1 % du PIB. Au plan plus micro-économique, si les coûts de management sont relativement faibles, les coûts d’investissement peuvent être non négligeables. Les politiques de résilience dans les organisations augmentent les coûts d’investissement des projets, en général dans une tranche de 1 à 30 % suivant la criticité, les secteurs et les contextes. Si la solution n’est qu’organisationnelle, le coût sera faible et principalement de fonctionnement ; si la solution est "matérielle", ce qui sera souvent le cas, les coûts d’investissement seront plus importants mais ils apporteront, tant aux investisseurs qu’aux utilisateurs, une sécurité et une "confiance", la démarche "positivant" des valeurs ayant aussi des attraits de communication et de marketing.
Il faut comprendre que la résilience est un investissement et qu’à ce titre, en regard des secteurs plus ou moins "critiques" de la société, il doit pouvoir s’amortir sur le long terme, voire pour certaines démarches de très long terme (30 ans), et bénéficier de financements spéciaux pour certaines réalisations "marquantes" ayant trait à des mégachocs potentiels, aux coûts économiques de 100 milliards ou plus. Selon les Nations-Unies, améliorer la résilience des infrastructures face au changement climatique (le concept de prévention et de préparation seulement) aurait un rapport financier de 6 à 1.1 € investi évite de dépenser 6 € si la catastrophe survient. Dans le champ global de la résilience, le rapport doit être encore plus bénéfique, mais il n’est pas assez étudié. Il est certain qu’une excellente préparation face au Covid aurait permis de réduire la facture de l’ordre de 30 %.
Finalement, les politiques de résilience doivent s’appliquer à tous les niveaux pour être capables de faire face à des difficultés graves, passagères, parfois chroniques, des hommes, de l’environnement et de la société. Car les risques et menaces qui sont devant nous méritent, compte tenu des enjeux, une révision, voire une création de politiques de résilience en s’attachant, d’une part, aux très grands risques que j’appelle les "mégachocs", qui sont de la responsabilité des États et des organisations supranationales et, d’autre part, aux chocs plus modestes, mais parfois plus fréquents, qui doivent mobiliser toutes les organisations et toutes les couches de la société.
Bref, la résilience globale a heureusement ou malheureusement encore de beaux jours devant elle…
05/11/2021