Spoiler alert : la russie n'envahira pas l'Ukraine. Ce billet tentera, entre autres, de vous en convaincre
23/02/2022 - 3 min. de lecture
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Serge Delwasse est P-DG de CetraC.io.
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Spoiler alert : la Russie n'envahira pas l'Ukraine. Ce billet tentera, entre autres, de vous en convaincre.
"Tsar et autocrate de toutes les Russies" était le titre officiel des empereurs russes. Je vous propose de commencer par une analyse, mot par mot :
* Tsar : comme dit plus haut, le tsar est un empereur. Ce n'est pas roi (король), c'est bien l'empereur, le César romain. La filiation est d'ailleurs intéressante. Nous y reviendrons.
J'ai écrit à plusieurs reprises que Vladimir Poutine était une synthèse de Staline, Lenine et les tsars. Sans omettre la cruauté (Staline), ni l'internationalisme (Lenine), force est de constater que Poutine s'est aujourd'hui installé dans le trône de Pierre Le Grand. Le décorum du Kremlin - table blanche majestueuse comprise - en est une illustration parfaite. Cela veut dire deux choses : qu'il restera au pouvoir aussi longtemps qu'il le souhaitera. J'écrivais, il y a 18 mois, dans un grand quotidien économique : "il faut apprendre à vivre avec le Covid". Aujourd'hui, j'écris : "il faut apprendre à faire avec Poutine". Comme tout empereur, il construit donc un... empire ! Et, dans un empire, on construit des routes ! Le IIIème Reich allemand a créé le réseau autoroutier allemand. Et plus loin, l'Empire Romain (tiens tiens...) a répandu ses voies romaines en Europe, le fameux "tous les chemins mènent à Rome". La Russie est un des rares pays que j'ai visités récemment qui construise des routes. Elle le fait en Sibérie.
* Autocrate : Poutine n'a pas d'opposition et n'a aucune raison d'accepter une quelconque contradiction. Il n'est donc pas besoin de me reprocher d'être "pour Poutine" ou de tenter de m'expliquer que je suis sous influence. C'est simplement un fait. Le tsar Poutine fait ce que bon lui plaît, comme le faisaient Louis XIV, Pierre le Grand, Napoléon, etc.
* Russie : Vladimir Poutine est profondément russe. Son nationalisme est un nationalisme russe. Il a lu Hélène Carrère d'Encausse. En fait, non. Il ne l'a probablement pas lu, mais il connaît des gens qui l'ont lu et, puis, de toutes façons, il n'a pas besoin de lire, il a compris sans avoir lu. Il sait que la pression démographique est irrésistible. Il ne veut donc que des Russes au sein de la Fédération de Russie.
* de Toutes les (Russies) : il ne veut que des Russes, mais il veut tous les Russes. C'est pour cela qu'il ne lâchera pas la Crimée, le Donbass, la Transnistrie. C'est pour cela qu'il maintient la Biélorussie "rênes courtes" et qu'il l'annexera à la première occasion. Mais c'est également pour ça qu'il n'envahira pas l'Ukraine. Il y a trop d'Ukrainiens en Ukraine, comme il y a trop d'Arméniens en Arménie ou trop de Géorgiens en Géorgie...
Alors, comment la crise actuelle va-t-elle se régler ? Mon sentiment est que Poutine va jouer l'accord suivant :
- la reconaissance internationale de l'annexion du Donbass et de la Crimée ;
- le renoncement de l'OTAN à l'intégration de l'Ukraine, brique importante dans la construction de la zone tampon, les marches de l'Empire, autour de la Russie ;
- En échange de
- la désescalade et le retour à la paix ;
- eventuellement, la fin des sanctions, un accord - un de plus - sur les gazoducs...
Ceci dit, il me semble ici légitime de se demander pourquoi cet aveuglement de l'Occident vis-à-vis de ce joueur d'échecs. Mon sentiment est que la plupart des chefs d'État - Joe Biden en tête -, sont des hommes de la Guerre froide, pour lesquels la Russie - l'URSS - est l'Ennemi. Nous raisonnons encore avec deux blocs : le bloc "Occidental" d'un côté (bloc comprenant, grosso modo, l'ensemble des pays de l'OTAN) et le Bloc dit "ex-soviétique".
C'est, me semble-il, une erreur de lecture. Deux faits sont indéniables :
- Pour être puissant, il faut être gros. Les GAFAM l'ont compris. Les constructeurs automobiles l'ont compris. Seuls les États européens - au premiers rangs desquels la France - ne l'ont pas compris. L'Europe ayant malheureusement, semble-t-il, renoncé à une réelle politique de défense commune, il nous faut trouver des alliés, et cet allié ne peut être les États-Unis. Ce pour une raison simple, le second fait.
- La Chine. Je n'ai pas besoin, me semble-t-il d'en dire plus. L'affaire AUKUS, dite des "sous-marins australiens", l'a montré : les États-Unis ont leur regard et leurs angoisses tournés vers l'ouest (leur Ouest à eux) et la Chine est un danger pour la Russie. Un danger parce qu'ils ont une frontière commune de plus de 4000 km, un danger parce que la pression démographique en Sibérie (le rapport des densités de population y est de près de 1 à 10) représente, sur le long terme, une réelle menace pour la Russie.
Il convient ici de rappeler que Vladimir Poutine est, lui également et surtout, un enfant de la Guerre froide et de l'Union soviétique. Il se souvient des rapports pour le moins complexes entre l'URSS et la Chine Populaire. Le fait que la Chine est dirigée par les héritiers de Mao qui, même s'ils ne sont plus communistes du tout (l'ont-ils jamais été ?), ne peuvent avoir, eux non plus, oublié ces mêmes rapports.
Un adversaire commun, des intérêts communs, une histoire commune (l'Alliance franco-russe de 1892), pourquoi ne pas se rapprocher de la Russie ?
La plus grande partie de la Russie, la Sibérie, est située en Asie. C'est le principal contre-argument qui reste. J'ai d'avance balayé les précédents. Certes, mais :
- La Nouvelle-Calédonie, pas plus que la Réunion, et tous les autres Outre-mers, ne sont pas en Europe non plus.
- La population asiatique russe ne représente que 25 % de la population russe.
- Il n'est pas contestable que la culture russe est profondément européenne.
Le Général de Gaulle avait évoqué une Europe "de l'Atlantique à Oural". On peut se demander, si finalement, le grand homme n'avait pas raison...
23/02/2022