Covid-19, santé et territoires

17/03/2020 - 6 min. de lecture

Covid-19, santé et territoires - Cercle K2

Cercle K2 neither approves or disapproves of the opinions expressed in the articles. Their authors are exclusively responsible for their content.

Pr. Brigitte CHABROL
Professeur de Pédiatrie à Aix-Marseille Université
Cheffe de service de pédiatrie spécialisée à la Timone (AP-HM)
Présidente du Conseil National Professionnel de Pédiatrie Responsable des centre de Référence maladies rares pour les Maladies Héréditaires du Métabolisme, les Maladies Mitochondriales, les Maladies Neuromusculaires de l'Enfant
Présidente du Centre Régional de Dépistage Néonatal PACA/CORSE

 

Pr. Michel TSIMARATOS
Professeur de Pédiatrie à Aix-Marseille Université
Chef du service de Pédiatrie Multidisciplinaire Timone (AP-HM)
Président de la Société de Néphrologie Pédiatrique

---

Au début de l’année 2020 une infection virale épidémique s’est rapidement propagée sur le globe, en se manifestant d’abord en Chine. La survenue des premiers cas en France s’est accompagnée d’une réponse rapide des autorités pour lutter contre l’épidémie. Malgré les mesures prises, l’accélération brutale du nombre de cas a amené, le Premier Ministre à proposer de fermer, dès le 14 mars 2020, tous les lieux recevant du public qui ne sont pas indispensables à la vie du pays. L’idée était de limiter les réunions de personnes. Le premier tour des élections municipales du 16 mars 2020 s’est déroulé dans ce climat inédit. Elles ont été marquées par une forte abstention. Le Président de la République a ensuite reporté le deuxième tour et déclaré un confinement pour 15 jours. Un scénario d’une pandémie non maitrisée qui paralyse les états et met à genoux l’économie mondiale.

Le responsable de cet enchainement dramatique n’est pas inconnu. Il s’agit d’un virus de la famille des Coronavirus, qui provoque régulièrement des maladies saisonnières allant d’un simple rhume à des pathologies pulmonaires plus sévères. L’agent pathogène identifié en Chine au début de l’épidémie est un nouveau Coronavirus. La maladie provoquée par ce nouveau virus a été appelée Covid-19 par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). En mars 2020, en raison du mode de propagation rapide du virus, l’épidémie touche 137 pays sur une zone étendue. L’OMS parle de pandémie[1].

Les pays touchés s’organisent et plusieurs stades vont être rencontrés successivement. Le premier stade est une mise en alerte du système de santé qui vise à freiner l’introduction du virus sur le territoire. Les médecins doivent détecter et identifier rapidement les cas contact, et isoler les malades pour les prendre en charge rapidement. Lorsque le nombre de malades augmente, le stade 2 veut freiner la propagation du virus pour retarder aussi longtemps que possible le stade épidémique qui mettra en tension les capacités du système de santé. Au troisième stade, le virus circule activement dans la population. Tout le système de santé est mobilisé pour protéger les plus fragiles, prendre en charge les patients qui ne présentent pas de signes de gravité en ambulatoire, et accueillir ceux qui en besoin à l’hôpital. L’idée est d’atténuer les effets de l’épidémie et de mobiliser tous les acteurs publics et privés de la filière. C’est le stade le plus élevé, et seule la fin de l’épidémie permet le retour à la normale.

Nous avons tous vécu l’arrivée rapide, brutale du Coronavirus. En quelques jours, notre système de santé a été mis en tension maximale, parfois localement submergé. Au début, les citoyens sont divisés. Certains sont inquiets et veulent anticiper, d’autres se sentent moins concernés et semblent désinvoltes. La "distanciation sociale" fait son apparition dans le vocabulaire de la vie quotidienne. Être utile en aidant à respecter les consignes de confinement, c’est faire le tri dans les informations parfois contradictoires, prendre la parole sur les réseaux sociaux, ou parfois simplement s’abstenir de le faire.

Demain s’éloigne et aujourd’hui s’éternise, les soignants épuisés font craindre l’effondrement. Les responsables politiques et les chefs d’entreprise entreprise ont de nouvelles responsabilités communes pour aider chacun à rester chez soi. Eviter le pire, c’est être utile au plus grand nombre[2].

Les soins optimaux reposent sur une infrastructure et du savoir-faire, mais cela n’est pas suffisant. L’OMS affirme que la démarche qualité, pour des soins efficaces et des systèmes équitables, c’est le bon usage au bon moment, pour la bonne personne. Les soins de qualité augmentent les chances des patients. La mise en oeuvre de politiques et de stratégies nationales de la qualité sont probablement plus de nature à améliorer les choses pour les patients que la recherche systématique des gains de performances pour les systèmes de santé[3]. En France, et bien que les acteurs du public et du privé partagent un sentiment diffus de souffrance et de manque de considération, le système de santé est solide et reste dans le peloton de tête selon l’OMS[4]. Cette reconnaissance est le fruit du savoir-faire des acteurs adossé à un robuste système d’assurance maladie basé en grande partie sur la solidarité, parce que la santé ce n’est pas tellement l’absence de maladie ou d'infirmité, mais plutôt la satisfaction des besoins fondamentaux de la personne[5].

Aujourd’hui, alors que la progression de l’épidémie de Covid-19 passe au stade 3, tous les responsables politiques attendent une mobilisation sans précédent. Le stade 3 correspond au passage d’une logique de détection et de prise en charge individuelle à une logique d’action collective. Il repose sur une mobilisation massive du système de santé et de la population[6]. Une mobilisation qui est au rendez-vous grâce à la vocation et à l’engagement des agents. Des professionnels qui répondent efficacement, sur tout le territoire, aux recommandations d’organisation des soins, une mobilisation ultrarapide, partout, qui rappelle que les inégalités territoriales ne se limitent pas au chômage, à l’accès aux services publics, ou au manque d’attractivité.

Chaque territoire crée les conditions de l’avenir, de l’estime de soi, et de la réponse collective à une agression extérieure imprévue[7],le confinement qui ferme la porte au virus. On ne va pas à l'école. Quand on peut, on ne va pas au bureau, les rendez-vous sont annulés et les réunions reportées. On se voit moins, on reste à la maison, mais ce ne sont pas des vacances. C'est comme si la vie s'arrête un instant, fait une pause.

Un bourdonnement répond au silence qui s'entend dans les rues, au vide qui remplit les écoles, les universités, les stades, les gares et les aéroports. Un bourdonnement fait de bips et d'alarmes, d'ordres techniques et de réponses masquées, mais aussi de chuchotements, de pleurs et de cris.

D'abord peu audible, ce bourdonnement vient de l'hôpital, relayé de façon un peu hystérique par les media qui révèlent la mobilisation de la filière santé. Une filière santé qui se montre pour la première fois au coeur d'un processus intégré de civilisation sur la planète entière, ciment de l'économie, structure de la politique, garante de la vie, un fil visible par tous, un lien pour les humains. Rarement l'illustration aura été aussi éloquente. La richesse de la filière santé, ce sont des hommes et des femmes, et les crises qu'elle traverse sont autant de raisons de la préserver et de lui donner la place centrale qu'elle doit avoir dans nos organisations.

Le confinement laisse croire que la vie s'arrête un instant, mais c'est l'inverse. Le silence et le vide sont le bruit audible d'une pause, qui permet à la vie de continuer pour le plus grand nombre.

Dans chaque territoire, dans chaque commune, dans chaque maison, Covid-19 transforme aussi les consciences et change le regard que l'on porte sur notre société. Dans ces moments de tension, les choix médicaux difficiles sont aussi guidés par une réflexion éthique, qui prend en compte le respect de la dignité des personnes et le principe d’équité.

Lorsque l’engagement de la population et des acteurs, en réponse aux mesures gouvernementales, permet de freiner l’ascension du nombre de contaminations, notre système de santé peut accueillir plus largement, traiter plus efficacement, et réduire le taux de mortalité, le tout sans renoncer à l’éthique, et sans réduire la dignité des personnes à leur "utilité sociale". Dans chaque territoire, dans chaque cabinet, dans chaque hôpital, en réponse à la porte fermée du confinement, qui est la condition du succès, les bras ouverts des soignants (masqués et gantés) pour ceux qui souffrent.

La vie numérique et le développement des stratégies de télémédecine, la réorganisation des soins doivent contribuer à diminuer la grande anxiété, alors que nous allons continuer a accueillir toutes les urgences habituelles : AVC, infarctus, traumato, dépression, etc.

Un double défi pour répondre par tous les moyens modernes à cette épidémie inédite sans laisser sur le bord du chemin tous les malades chroniques, les maladies complexes, les personnes handicapées, les plus précaires, comme ceux qui n’ont pas de "chez soi" pour y rester.

La sophistication de la médecine du XXIème siècle ne nous fait pas oublier que la première mesure est une mesure connue depuis longtemps, la quarantaine dont parlaient Hergé dans "le temple du soleil", Camus dans "La peste" et Ionesco dans "Jeux de massacre". À relire pendant le confinement !

Michel TSIMARATOS & Brigitte CHABROL

---

[1] https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus

[2] https://medium.com/tomas-pueyo/coronavirus-agissez-aujourdhui-2bd1dc7838f6

[3] https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/324737/9789242513905-fre.pdf

[4] http://apps.who.int/gho/data/view.main.HS07v

[5] Préambule adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946, signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 États. 1946 (Actes officiels de l'Organisation mondiale de la Santé, n° 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948. à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé.

[6] https://www.ccne-ethique.fr/fr/actualites/la-contribution-du-ccne-la-lutte-contre-covid-19-enjeux-ethiques-face-une-pandemie 

[7] https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/03/cynthia-fleury-les-inegalites-territoriales-c-est-une-interiorisation-forte-du-sentiment-d-echec_6031620_3234.html 

17/03/2020

Últimas Publicações