De l’électron à la molécule du futur

19/02/2024 - 6 min. de lecture

De l’électron à la molécule du futur - Cercle K2

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Directeur d’usine Seveso au début des années 2000, puis Directeur Général Délégué de l’ingénierie du cycle du combustible nucléaire d’Areva (désormais Orano) et ancien Directeur de la Business Unit de Technip Energies en charge des activités Nucléaire, Life Sciences, Mines & Métaux et Aerospace, Nicolas Siwertz est un dirigeant industriel sensible aux enjeux de souveraineté, de maîtrise technologique et de transition énergétique.

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RTE (Réseau de Transport d’Electricité), a présenté en 2023 une actualisation des prévisions de consommation et de production d’électricité en France à l’horizon 2035 : Il en ressort que nos besoins nationaux, bouleversés par les impératifs de décarbonation et de réindustrialisation, imposent une électrification accélérée (avec consommations comprises entre 580 à 640 TWh à cette échéance vs 460 TWh pour 2022). La transition écologique va donc se doubler d’une véritable transition industrielle nécessitant l’établissement de nouvelles filières et de nouvelles capacités de production d’énergie. Un enjeu de souveraineté dont les acteurs publics et privés doivent s’emparer, notamment dans la perspective offerte par le plan France 2030 et, en particulier, les appels à projets «Réacteurs Nucléaires Innovants» et «Métaux Critiques».

Métaux critiques

«Dans les 30 prochaines années, nous extrairons autant que depuis le début de l’humanité !» annonce Philippe Varin dans son rapport sur la sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales. Ainsi cette transition est aujourd’hui menacée par notre capacité à accéder de façon responsable, décarbonnée et durable à certaines ressources stratégiques : Aluminium, Nickel, Cuivre, Terres Rares (qui ne sont pas aussi rares d’ailleurs) et celle qui occupe le devant de la scène, ce métal placé dans la table de Mendeleïev juste sous le tout aussi médiatique Hydrogène, à savoir le Lithium. Ces éléments entrent dans la composition des batteries pour les véhicules électriques mais aussi pour les aimants permanents des moteurs ou encore les câblages et l’éolien offshore.

Depuis des dizaines d’années la Chine, grâce à une politique volontariste d’investissements directs, de prises de participations ou de prêts, a progressivement acquis une position dominante dans l’importation des ressources minérales, leur raffinage et la production d’équipements clefs pour les énergies nouvelles comme les panneaux solaires ou les batteries électriques. Il faut comprendre que, sans réaction, certaines orientations politiques (comme l’interdiction européenne de vente de véhicules thermiques en 2035) ne feront que favoriser les ventes de véhicules électriques chinois à faible coût au dépend d’industriels occidentaux qui ont mis trop de temps pour s’adapter et mettre des véhicules compétitifs sur le marché.

Aujourd’hui, les constructeurs automobiles français et européens fondent de grands espoirs dans une filière nouvelle qui, soutenue en France par l’appel à projets «Métaux Critiques» de France 2030, s’organise pour relocaliser ses ressources autour de start-up innovantes développant des technologies d’extraction respectueuses de l’environnement (comme Adionics), des projets d’extraction (portés par des leader mondiaux comme Imerys ou des acteurs émergeants comme Lithium de France), de raffinage de Lithium à faible impact CO2 (à l’instar de Viridian Lithium en Alsace) ou enfin d’économie circulaire : concept de « urban mining » visant à recycler les métaux de nos batteries usagées pour en produire de nouvelles (dévelopé par exemple par Orano). Nos industriels s’emploient aussi à sécuriser l’approvisionnement de leurs capacités de production via des partenariats extractifs plus équilibrés avec certains pays étrangers (comme UMS/Altéo Aluminium, en Guinée Conakry). C’est au prix de cet effort prolongé dans le temps que nos producteurs de ressources pourront alimenter transports et industries sans être tributaire de puissances étrangères.

Production d’énergie décarbonée

Il existe plusieurs sources d’énergie décarbonée : Solaire, éolien, hydraulique, marine, géothermale pour celles dites renouvelables qui utilisent des ressources naturelles disponibles et inépuisables à l’échelle humaine. Le cas du nucléaire fait l’objet de controverses : si les réacteurs actuels n’émettent que très peu de CO2 (y compris en intégrant au bilan les émissions associées à leur construction), ils utilisent une ressource fossile qu’on ne peut qualifier d’inépuisable, l’Uranium.

En l’espèce, les réacteurs de Génération IV et notamment les « Small Modular Reactors » (SMR) prévus d’entrer en service à l’horizon 2035 ambitionnent de significativement améliorer la fermeture du cycle du combustible nucléaire, certains permettant en particulier de brûler des déchets ou de valoriser d’autres matières nucléaires largement plus abondantes. C’est le cas des réacteurs « à neutrons rapides » pouvant fonctionner à l’Uranium appauvri, dont la France dispose de réserves accumulées permettant de fournir l’équivalent de plusieurs milliers d’années de consommation actuelle.

En France, un programme d’appel à projets «Réacteurs Nucléaires Innovants», doté de 500 millions d’euros, permettra de soutenir de nouveaux concepts complets de ce genre de réacteurs. D’autres initiatives similaires ont été lancées à l’étranger (par exemple aux USA sous l’égide du Department of Energy). La plupart de ces SMR (à l’image des start-up Stellaria, Hexana ou encore Newcleo) ont aussi la particularité de fonctionner à très haute température offrant donc la possibilité de produire de façon concomitante et en grande quantité à la fois de l’électricité et de la chaleur, deux « commodités » critiques pour nombre d’industriels électro intensifs (cimenteries, aciéristes, verriers…).

L’implantation de ces nouveaux types de réacteurs soulève plusieurs questions: comment doit-on adapter les processus d’autorisation d’installation de ces SMR, quel regard du public sur la dissémination de telles installations dans les territoires, ou encore comment s’assurer de la meilleure intégration technique et économique avec les sites industriels appelés à consommer ces énergies ? Sur ce dernier point, certains projets font le choix d’intégrer un stockage tampon d’énergie qui permet au réacteur de maintenir une puissance nominale pour le réacteur et offre une solution de découplage des différents usages en aval selon les besoins des utilisateurs.

Molécules du futur

Lutter contre le changement climatique nécessitera d’aller plus loin que la décarbonation et de s’affranchir des ressources fossiles dans les différents processus industriels. En effet la décarbonation a ses limites. Si l’utilisation directe de ressources fossiles pour produire de l‘énergie laissera nécessairement la place à ces énergies décarbonées, certaines applications nécessiteront toujours l’emploi d’hydrocarbures, soit parce qu’ils en sont un composant irremplaçable soit parce que les alternatives ne sont pas techniquement viables.  La restriction à ces usages des ressources fossiles peut être une solution temporaire (dans la mesure où des moyens alternatifs de production d’énergie sont disponibles) mais d’autres solutions sont désormais envisageables grâce aux progrès technologiques dans les électrolyseurs et les chaines de CCUS (Carbon Capture Utilization and Storage) : Hydrogène «vert» produit par l’électrolyse, électricité et haute température fournie par les SMR, combinés au CO2 capturé à la source ou directement dans l‘atmosphère peuvent en effet permettre de synthétiser des molécules carbonées (on parle alors de « e-fuels ») ou d’autre vecteurs énergétiques non-carbonés comme l’ammoniac.

Ces solutions, regroupées sous le terme de « Power-to-X », ne permettent pas nécessairement de diminuer le stock de CO2 atmosphérique mais visent la neutralité créant un véritable cycle du carbone, capturé pour produire les combustibles synthétiques puis relâché lors de leur combustion. Ainsi, par exemple, la réglementation européenne ambitionne de faire croitre la part obligatoire des e-fuels dans les carburant pour l’aviation de 5% à partir de 2035 à 35% à compter de 2050. Il est très probable que pour produire ces grandes quantités de e-fuels les renouvelables n’y suffisent pas. E-fuels et SMR nucléaires sont donc étroitement associés au point qu’il n’est désormais pas déraisonnable de calculer la rentabilité d’un projet SMR non pas en fonction du prix de vente de l’électricité sur le réseau mais en fonction du prix des molécules de synthèse qu’il permettra de produire.

 

En conclusion, il faut donc changer de paradigme dans la lutte contre le changement climatique et favoriser la décarbonation de l’Industrie. Des solutions émergent pour permettre de mettre en place, à l’instar du cycle de l’eau, un cycle du carbone permettant de neutraliser nos applications nécessitant toujours des hydrocarbures. L’ensemble de ces processus de transformation requerra de grandes quantités d’énergie dont l’origine doit nécessairement être à bas ou très bas CO2 afin de ne pas pénaliser le cycle de vie complet du produit. Toutefois, cette transition énergétique substitue à la dépendance aux énergies fossiles une autre dépendance, celle aux métaux qui lui sont essentiels. Ceci soulève deux questions essentielles : celle de la souveraineté dans l’accès aux métaux critiques et leur chaine de valeur mais aussi celle la réintégration des externalités environnementales accompagnant une réindustrialisation au pas de charge, qui devra donc être particulièrement exemplaire dans ce domaine.

Nicolas Siwertz

19/02/2024

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