D’une pandémie, sachons tirer quelques enseignements de gouvernance et normatifs
15/01/2021 - 5 min. de lecture
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Jean-Claude Javillier est Professeur de droit et ancien Directeur du Département des normes de l’Organisation Internationale du Travail.
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2020 s’en est (enfin) allée. "Annus horribilis juridicus", et pas seulement. Toutes et tous, médecins, économistes, managers, salariés comme indépendants ont été confrontés à d'incroyables contraintes, à des prises de décisions dans l’urgence, à des injonctions contradictoires, à de fondamentales incertitudes que la science tout comme le droit n’ont point aptitude à régler en un instant pour le plus grand bien fait des populations qui seraient tout à coup éprises de consensus et de paix. Pendant cette pandémie, en effet, la violence n’a point cessé. Et il est même arrivé que par temps de confinement, certaines et certains n'hésitent point à manifester, et/ou faire la fête, non sans violence et sans geste barrière aucun. Comme en toute situation de crise, nous savons combien des groupes et organisations criminelles de toute sorte peuvent en profiter pour déstabiliser les institutions singulièrement dans un pays démocratique, pour en tirer le plus grand profit criminel immédiat et affaiblir les organes de régulation et de sécurité, soumis à rude épreuve.
Ne doutons pas que des enseignements pour une meilleure gouvernance de nombreux pays, dont la France, doivent être tirés de la présente période de crise sanitaire. D’une infobésité médiatique dépressive et d’un complotisme devenu presque naturel et omniprésent, nous devons apprendre à ne pas dépendre. Il en va du devenir même de notre Civilisation.
Cette pandémie, dont l’ampleur s’est révélée toujours plus complexe et perturbatrice dans ses implications sociétales, révèle et accélère nombre de mutations, notamment dans le monde des normes et du droit. Nous savons notre monde et nos Droits en mutation et transition. Mais nous ne trouvons pas la force de penser en innovant et d’articuler l’individuel et le collectif, de façon suffisante et pragmatique autour de valeurs. Nous nous sommes fait à l’idée de vivre sur un volcan, dans nos cités, dans nos régions, dans tout notre pays. La doctrine du "ni-ni" nourrit l’illusion d’un serein chemin dans les familières et douces vallées normatives.
En votant des lois, en publiant des réglementations, que nous savons pourtant vouées à l’ineffectivité dès leur conception, toutes et tous, dans les mondes politiques et des institutions, donnent le sentiment qu’ils peuvent solutionner tous les problèmes de la condition humaine dans les temps fussent-ils les plus imprévisibles et menaçants pour l’Être humain. Comme est trompeur un tel état d’esprit que des formations dans des écoles endogames, pour ne pas préciser administratives, judiciaires et nationales, conduisent beaucoup à attacher plus d’importance aux mots, aux belles phrases, qu’à la rude complexité des faits et à l'irremplaçable expérience du terrain, où qu’il soit. C’est ainsi qu’on peut proclamer, même étant ministre, que l’émotion doit l’emporter sur le droit, et encore que le tirage au sort (certes pour une commission) peut se parer des vertus démocratiques. Qu’on y prenne garde, passé un certain cap, la légitimité du droit et des institutions n’est pas aussi forte qu’il y paraît. Et il en va de même du Pouvoir, quel qu’il soit.
Parmi les rappels à l’ordre humain, figurent sans doute celui de la mort, de la fragilité de la condition humaine. L’Humain est au cœur de toute activité et l’intelligence collective est le préalable de toute réussite, individuelle tout autant que collective. Quant à l’intérêt général, le bien commun, il doit rester au cœur de tout ordre juridique, ce qui implique de nourrir d’une expérience pratique et de bon sens toute décision politique comme administrative, toute règle juridique comme toute norme. Quant à la science, notamment médicale, elle ne peut progresser hors le doute et sans une dimension temporelle que l’impatience contemporaine, sans doute accrue par l'instantanéité informatique et la passion médiatique du sensationnel, rend si difficile à accepter.
Toute pandémie est l’occasion de relever ce curieux mais durable mélange des règles de droit, notamment étatique, et des normes, singulièrement relevant de l’autonomie des groupes, des partenaires, des communautés, de toutes sortes. La crise sanitaire est l’occasion de pratiquement et pragmatiquement concilier droit et normes, d’articuler ordre public et agilité sociétale, en tous domaines, et aussi de repenser l'articulation entre consensus et contrainte.
L’un des enseignements qui devra être tiré de la pandémie est celui des méthodes d’intervention des États, quelles qu’en soient les modalités institutionnelles et le degré de démocratie. Ici, c’est la remise en cause d’une conception pyramidale bureaucratique, pour ne pas dire encore soviétique, et centralisée de l’intervention étatique. Mais voici, de façon de plus en plus insistante, des démocratures qui vantent leurs avantages comparés par temps de pandémie. Dans un monde où le "soft power (à ne point confondre avec un "smart power") se nourrit de tous arguments pour accroître une influence géopolitique et économique, le feuilleton scientifique et commercial en matière de découverte et de pratique vaccinale démontre combien science et médecine, économie et géo-politiques sont étroitement liées, d’un continent à l’autre. Qui n’aura relevé que la France n’est pas au mieux de sa forme dans ces pratiques, au vu des classements internationaux.
Les organisations internationales, et les normes qui en résultent, ont elles aussi été frappées de plein fouet. L’Organisation Mondiale de la Santé n'échappe pas à de radicales critiques. L’incompétence et la corruption sont dénoncées de divers côtés. Son Directeur général, imprégné du monde communiste d’antan, n’est pas épargné. Cependant, une telle critique ne saurait viser toutes les institutions internationales dont les actions déterminantes pour des populations entières sont trop souvent ignorées. L’Organisation Internationale du Travail, à l’occasion de la crise sanitaire mondiale, s’est illustrée par son pragmatisme et son efficacité dans l’analyse tout autant que l’action. On ne saurait trop recommander de consulter et se nourrir des analyses et actions de l’OIT, ce qui est l’occasion de relever les vertus qu’a, dans le monde contemporain, le tripartisme (Employeurs-Travailleurs-Gouvernements).
La pandémie nous conduit à un débat d’envergure et en profondeur en matière d’intérêt général et de responsabilité dans nos sociétés contemporaines. En France, le principe constitutionnel de précaution, insuffisamment défini et compris, et nourri d’une judiciarisation sans limite, conduit à l’opposé des prises de responsabilité indispensables et rapides, à tous niveaux et dans toutes les institutions.
Point d’efficacité dans l’intérêt général, sans décision ni responsabilité à tous niveaux, donc au plus haut tout naturellement, qu’il s’agisse des personnels de santé et encore des forces de sécurité. Le courage n’est jamais de parler, seulement. Accorder un interview n’est rien sans l’action qui confirme les propos. Les injonctions contradictoires et les craintes d’actions judiciaires de toute sorte, et singulièrement pénales, mettent en cause l’ordre public. Plus gravement encore, l'hésitation et le retard dans la prise de décision transforment le principe constitutionnel de précaution en péril atomique pour l’État de droit.
15/01/2021