Entretien avec Raphaël Chauvancy & Nicolas Moinet

14/12/2022 - 8 min. de lecture

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Entretien avec Raphaël Chauvancy, Officier supérieur des troupes de Marine & Nicolas Moinet, Professeur des universités, co-auteurs de l’ouvrage Agir ou subir ? L’esprit commando pour muscler votre projet professionnel ou personnel (Dunod). Cet essai a été préfacé par Geoffroy Roux de Bézieux, Président du MEDEF et ancien commando marine.

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Raphaël & Nicolas, comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre original ?

Nicolas : J’ai contacté Raphaël dont j’avais lu les essais de stratégie pour un projet de livre sur la boucle OODA (Observation-Orientation-Décision-Action), mal connu en France alors qu’elle se révèle plus que jamais d’actualité et transposable à bien des domaines. La question du couple agilité/paralysie n’a jamais été aussi cruciale dans un contexte de compétition / contestation / affrontement où il s’agit d’agir pour ne pas subir.

Raphaël : En discutant avec Nicolas, dont j’avais lu également les ouvrages sur l’intelligence économique – nous intervenons par ailleurs tous les deux à l’École de Guerre Économique –, nous nous sommes dit qu’un essai de stratégie basé sur l’esprit commando et la boucle OODA comme soubassement susceptible d’intéresser un public de professionnels. Précisons que l’esprit commando peut être autant civil que militaire, comme nous avons voulu le montrer à travers les exemples et les histoires que nous avons choisi de raconter. 

Nicolas : D’autant que la philosophie d’action est la même : choquer son environnement, agir avec fulgurance, obtenir le maximum d’effets avec un minimum d’efforts. Le tout grâce à une préparation minutieuse. Nous nous sommes donc lancés dans une écriture à deux et à distance, Raphaël étant alors en poste chez les Royal Marines britanniques, les inventeurs des commandos modernes.

 

En quoi le management au sein d'une entreprise pourrait-il être meilleur s'il s'inspirait de l'esprit commando ?

Raphaël : L’esprit commando s’appuie sur neuf valeurs qui sont au cœur de son identité et font sa force. La première d’entre elle est le culte de l’excellence. Il est plus facile de rendre bon ce qui est mauvais que de passer du bon à l’excellence. Dans le monde militaire, une unité médiocre se détecte à de petits renoncement, sans aucune importance immédiate mais qui laissent se rouiller la discipline, s’altérer le sens de la mission, s’émousser la combativité. La tenue est insensiblement plus négligée, l’organisation légèrement moins fluide, les liens interpersonnels à peine plus relâchés que dans une unité d’élite. Ce sont pourtant ces riens qui font toute la différence à l’heure de l’engagement.

Nicolas : Trop d’organisations se sont accoutumées à une médiocrité satisfaisante. Le confort de l’habitude vient éroder la détermination individuelle et collective. Le sens de l’unité et la vision globale en vue d’un but commun se fragmente en une organisation en tuyau d’orgues où chaque cellule n’a pour horizon que son domaine propre. Sans vision globale, aucune remise en cause n’est possible. Quelques interrogations ou changements marginaux sur les procédures et méthodes internes ou sur le style de management donnent une illusion de mouvement, rien de plus. L’entreprise survit ainsi jusqu’à l’heure de l’épreuve, qu’il s’agisse d’un contexte économique qui se durcit ou d’un concurrent ambitieux qui lui rafle son marché jusqu’à avoir sa peau.

 

Selon vous, cet esprit commando est-il un mode de management innovant ? 

Raphaël : Nous avons vécu les dernières décennies dans une forme d’insouciance. La fin de l’histoire annonçait celle des conflits, la politique perdait son objet, l’économie annonçait la paix et l’administration des choses succédait au gouvernement des hommes. Ces illusions se sont dispersées sous les coups cumulés de la crise sanitaire mondiale du Covid, du retour d’affrontements militaires de haute intensité sur le sol même de l’Europe et d’une guerre économique globale. 

Nicolas : Alors que le contexte exige une combativité renouvelée de la part des entreprises et un engagement accru de la part des hommes et des femmes qui les composent, la réalité est qu’il est difficile de demander à un salarié qui travaille pour gagner sa vie de faire preuve de l’abnégation nécessaire pour s’assurer d’un avantage concurrentiel.

Les individus aspirent à plus d’autonomie, à une meilleure prise en compte de leur vie personnelle et à donner du sens à leur action. L’équation que doivent résoudre les entreprises est de concilier les exigences accrues du personnel et la compétition exacerbée que leur livrent leurs concurrentes. L’innovation managériale consisterait à passer, lorsque c’est possible, d’un management administratif à un management de combat et de la gestion d’une masse salariale à l’orchestration des compétences individuelles et collectives. 

La compétition mondiale peut entraîner des exigences accrues, elles doivent avoir pour corollaire une confiance renouvelée. Cela implique de développer une culture de l’initiative et le passage d’une culture du contrôle à une culture de l’évaluation des résultats. 

Raphaël : Beaucoup de commentateurs constatent que "le monde a changé" et proposent des recettes pour s’y adapter. C’est ne rien comprendre à la particularité de notre société et exposer son entreprise à une obsolescence rapide. Notre modèle de société est construit sur le changement permanent. Il ne s’agit donc pas de se transformer pour répondre à une situation particulière mais de développer les capacité d’adaptabilité structurelle qui permettent de suivre le rythme effréné d’un monde dont la nature est de se transformer. L’innovation implique de savoir se détacher de ses certitudes, de voir en face ses faiblesses pour y remédier, de ne pas se faire d’illusion sur ses forces véritables et de ne pas mépriser l’adversaire.

Nicolas : Un management innovant reposerait ainsi sur la responsabilisation des équipes ; sur le management par objectifs à atteindre plutôt que par tâches à accomplir ; sur l’analyse proprement militaire de l’environnement, des concurrents ; sur l’écoute des individus afin de constituer une équipe dont la force collective est bien supérieure à celle de la somme des éléments qui la composent.

Les manageurs doivent prendre garde à ne pas se départir de leur sens de l’humilité car la direction des hommes implique plus de devoirs qu’elle ne donne de droits. Elle impose de savoir s’effacer par moment devant l’autre pour le comprendre, lui montrer qu’il a une importance en tant qu’individu et une responsabilité précise dans l’écosystème de l’entreprise, stimuler ainsi son engagement en faveur du but commun.

Raphaël : Attention cependant aux gadgets managériaux ou aux initiatives à contre-emploi. Certaines méthodes de commandement éprouvées avec une équipe de commandos sélectionnés auraient un effet désastreux sur une grosse unité d’infanterie. De même, les équipes de cadres ne peuvent être managées exactement de la même manière que les ouvriers d’une usine. Dans certaines fonctions mécaniques, le sens de l’initiative n’a tout simplement pas sa place, malgré certains "exemples inspirants" charmants sur Linkedin et totalement inadaptés au monde. 

Un management innovant pourra prendre mille visages mais il cherchera toujours à replacer l’homme au cœur du système pour en tirer le meilleur. Il adoptera une attitude de combattant dans ses analyses, ses objectifs, ses méthodes de planification et d’action, jusqu’à cette forme de fraternité avec ses équipes qui ne naît que dans l’épreuve. Ce n’est pas par hasard si la petite nation en armes israélienne voit naître et prospérer tant d’entreprises en son sein, dirigées par des officiers passés par Tsahal et prêts à passer du bureau à un poste de commandement pris sous le feu. Ils ont transposé l’esprit commando à la guerre économique et au management de leurs équipes et ils s’en portent très bien.

 

Selon vous, le management basé sur l'esprit commando pourrait-il être le management de demain ? 

Raphaël : Je vais vous raconter une histoire amusante, l’humour figurant d’ailleurs parmi les qualités commando. Il y a quelques années, une expérience a été faite aux États-Unis. Des militaires de toute l’Army ont été rassemblés dans un bâtiment pour constituer un État-major. Ils se sont aussitôt organisés, se répartissant les différentes fonctions opérationnelles. Le matériel étant en quantité insuffisante pour travailler convenablement, les besoins ont rapidement été identifiés et les demandes de recomplètement en ordinateurs, imprimantes, etc., ont été exprimées. Très rapidement, les premières notes internes ont été rédigées, signées et diffusées. Au bout d’un mois, l’État-major bruissant d’activité mais en situation de sous-effectif demandait des officiers en renforts pour remplir correctement sa mission. Point particulier : il n’avait jamais reçu de mission… Ce type d’agitation stérile n’a plus sa place dans un monde de plus en plus concurrentiel !

Nicolas : L’expérience pourrait être transposée à bien des entreprises où le management finit par se résumer à l’analyse de tableaux et d’indicateurs consommateurs de temps, générateurs de stress pour les équipes et totalement improductifs, si ce n’est pour justifier l’existence des manageurs grâce à des courbes et des chiffres palpables toujours appréciés par la direction… Cette approche désincarnée du management fait fi du courage que demande le contact permanent avec ses subordonnés et la responsabilité assumé de l’œuvre collective. Une intelligence artificielle le ferait d’ailleurs mieux et gratuitement.

Raphaël : Le salariat n’a guère évolué depuis plusieurs décennies. Ce que certains considéraient comme une forme d’aliénation s’est progressivement imposé dans un système économique qui a permis une amélioration sans précédent des conditions de vie dans notre société accompagnée d’une plus grande sécurité.

Mais aujourd’hui, cela ne suffit plus. Le salarié veut retrouver une part d’autonomie. Le mouvement était probablement inéluctable dans une société ouverte. La citoyenneté politique devait logiquement déboucher un jour sur l’idée d’une "citoyenneté économique" où le salarié ne serait plus seulement un agent producteur, participerait à la vie de l’entreprise avec ce que cela implique en termes d’autonomie et de responsabilités. Dans ces conditions, le management vertical classique se montre de plus en plus inadapté. Le management est trop souvent devenu une finalité en lui-même au lieu de produire de la valeur.

Nicolas : Les errements managériaux ont conduit à l’extension du phénomène dit de "démission silencieuse", où les individus ne font plus que ce pour quoi ils sont payés. La déresponsabilisation et la désincarnation des rapports ont fini par doucher l’enthousiasme de beaucoup de cadres et d’employés. Ce n’est pas par hasard si l’esprit commando fait de la joie la dernière de ses neuf qualités : cet état psychologique qui motive l’individu, le pousse à aller plus loin, à innover en faire plus pour l’œuvre commune, non seulement parce qu’il en attend des retombées personnelles mais aussi parce qu’il apprend à aimer ce qu’il fait et à s’y investir. 

Nicolas Moinet & Raphaël Chauvancy

14/12/2022

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