Interview de Florian Manet

16/09/2024 - 6 min. de lecture

Interview de Florian Manet - Cercle K2

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Florian Manet est Colonel de la Gendarmerie nationale, Membre fondateur du Cercle K2, essayiste, expert en sûreté globale, chercheur associé à la Chaire Mers, Maritimités et Maritimisation du monde de Sciences Po Rennes. Auteur du Crime en bleu. Essai de Thalassopolitique publié en 2018 aux Éditions Nuvis, il publie un ouvrage intitulé Thalassopolitique du narcotrafic international, la face cachée de la mondialisation aux Éditions EMS avec le soutien financier et scientifique de la Fondation de prospective maritime et portuaire SEFACIL, et avec le partenariat opérationnel d’IRENA GROUP et de Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC). Cet ouvrage est préfacé par le Général de corps d’armée (Gendarmerie) Jean-Philippe Lecouffe, Directeur exécutif adjoint en charge des opérations à Europol, l’agence européenne de police tandis que Pierre Verluise clôture cette réflexion thalassocentrée.

 

Consulter son dernier ouvrage "Thalassopolitique du narcotrafic international"

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L’auteur s’exprime à titre personnel.

Présentez-nous cette Thalassopolitique du narcotrafic international ?

C’est un ouvrage d’analyse et de réflexion dédié à un phénomène criminel globalisant et structurant à l’échelle internationale : le trafic illicite de substances psychotropes destiné à alimenter des marchés mondiaux particulièrement dynamiques à l’heure actuelle.

Par ailleurs, il interroge, aussi, en profondeur, les mécanismes logistiques et les dispositions juridiques propres aux relations commerciales globalisées au sein d’un marché unifié par les vecteurs maritimes et les infrastructures portuaires.

Enfin, cette réflexion à l’actualité criante s’appuie sur une approche inédite visant à enrichir des concepts par une pratique professionnelle façonnée par le commandement d’unités de police judiciaire de la gendarmerie maritime ou régionale, en Bretagne. En outre, j’ai convoqué des principes du droit public international comme le droit de la mer que j’ai confrontés à la géopolitique, aux sciences criminelles et à la dimension logistique des flux de biens et de données. La convergence de ces domaines, souvent cloisonnés par construction, permet de mieux appréhender les enjeux globaux de la sureté de la mondialisation.

En un mot, une approche pluridisciplinaire !

 

Qu’appelle-t-on "thalassopolitique" ?

La Thalassopolitique est une approche des équilibres internationaux "thalasso-centrée", c’est-à-dire centrée sur les dynamiques propres au monde maritime. Rappelons quelques données majeures qui justifient cette posture :

  • 64 % de la surface du globe sont constitués de la haute mer (soit l’ensemble des espaces maritimes retranchés des eaux territoriales),
  • 90 % du commerce international emprunte les voies maritimes,
  • 99 % des data sont échangées via les câbles sous-marins.

De ce fait, les trafics illicites sont très majoritairement maritimisés contrairement à la perception commune. Le narco-trafic est en ce sens un parfait pédagogique pour mieux appréhender cette économie souterraine et ses modes opératoires. Il contribue à identifier les acteurs de ce maillon essentiel de la criminalité transnationale comme ces ressources rares constituées des gens de mer. Ce cas d’usage est transposable à d’autres contentieux comme le trafic d’armes, de produits contrefaits ou volés mais aussi à la traite d’êtres humains ou encore à la criminalité environnementale affectant le domaine maritime.

Ainsi, cet ouvrage ambitionne de lever le voile sur cet éco-système illicite qui vit au crochet des activités licites et qui s’y dissimule à la perfection.

 

Le narcotrafic est en effet un marché criminel particulièrement lucratif...

L’évaluation de ce marché criminel est très complexe à produire avec précision par construction car il s’agit d’un trafic... illicite. Selon le rapport 2019 de l’Office européen des Drogues et Toxicomanie, le marché européen des drogues est estimé, en valeur, à plus de 30 milliards pour l’exercice 2017. Par ailleurs le GAFI (Groupe d’Action Financière) estime que le trafic des drogues est évalué à 20 % de produit du crime mondial dans son ensemble soit entre 0,6 et 0,9 % du PIB mondial.

 

En réponse à cette demande mondiale en expansion, comment la mer apporte sa contribution ?

L’enjeu majeur du trafic des drogues relève, en premier lieu, de la… logistique. Comment transporter des tonnes de produits, sur de longue élongation parfois, en sureté et en opacifiant au maximum les flux ? C’est un vrai casse-tête pour les acteurs de cette chaîne logistique illicite internationalisée ! Agile et prévisible, le transport maritime présente de nombreux atouts comme la massification du fret, la souplesse des vecteurs et la régularité des navigations. Ainsi, en fonction des attendus, l’entrepreneur criminel peut disposer de solutions logistiques ad hoc :

  • vecteurs affrétés comme des voiliers, des « hors-bords » puissants, des navires type remorqueur de haute mer déclassé ou les "narco-submersibles",
  • vecteurs contaminés par l’introduction frauduleuse de substances à l’insu de l’équipage soit dans le fret (au sein des conteneurs par exemple), soit dans les superstructures du navire (torpille soudée sous la coque, insertion de produits dans les espaces vacants d’un navire).

Le volume des saisies de produits augmente. Mais n’est-ce pas en cohérence avec l’accroissement des surfaces cultivées et du rendement agricole et, de fait, des productions ? Les records de saisie s’enchainent les uns après les autres. En 2023, le port belge d’Anvers se distingue avec 113 tonnes saisies.

L’enjeu de la protection physique des espaces portuaires est démultiplié par les menaces affectant l’écosystème numérique caractérisant la logistique internationale. Des cyberattaques ciblant des systèmes d’information portuaire (notamment la gestion des conteneurs) ont déjà été constatées sur des installations portuaires en Europe de l’ouest dans l’objectif de garantir la récupération de conteneurs "contaminés". Cet exemple dit aussi, avec gravité, les conséquences indirectes mais majeures sur l’ordre public socio-économique de nos sociétés interdépendantes. Est-il concevable de voir des hubs internationaux d’importance vitale pour l’économie européenne comme le port maritime du Havre, Anvers, Rotterdam… être perturbés dans leur fonctionnement par une cyberattaque initiée par un cartel ?

Ces modes opératoires de plus en plus sophistiquées interrogent sur les mesures de sûreté appliquées aux espaces portuaires et, plus globalement, aux chaînes logistiques. Certes, le corpus juridique international s’est enrichi de conventions à l’image du code ISPS ou International Ship and Port Facilities Security entré en vigueur le 1er juillet 2004. Dans ce contexte de forte pression criminelle, comment garantir l’étanchéité du port de Rotterdam, 1er port européen, s’étendant sur  une superficie de 105 kilomètres carrés et recevant 13,5 Millions d’équivalent vingt pied (EVP) ?

 

Les ports de départs comme de transit et – in fine – de destination cristallisent des tensions croissantes ?

Les enjeux pour les opérateurs criminels sont, certes, logistiques ("pénétrer une chaine logistique conçue comme étanche sur les liaisons internationales ») mais aussi d’ordre financier (« sécuriser un capital financier immobilisé durant la navigation"). Et, ce, dans un contexte de concurrence exacerbée entre acteurs illicites. Ces tensions accrues par plusieurs dizaines de jours de navigation trouvent à s’exprimer, certes, dans les espaces confinés et contrôlés des espaces portuaires. Mais, désormais, cette violence souvent native des zones de production ou de chargement initial vient se matérialiser au cœur des espaces urbains ou des voies d’accès logistiques aux abords des zones portuaires par des échanges de coup de feu, des séquestrations de conducteur d’ensemble routier et des homicides. Dans ce cadre, il apparaît qu’un navire, un conteneur maritime.. est véritablement un ambassadeur ou, plus précisément, un exportateur d’une géopolitique régionale constituée de l’arrière-pays (zone de production / transformation des substances, zone logistique de préparation du fret) et de la façade maritime (zone portuaire, avant-pays maritime). Sans oublier les ports de transit.

 

Quelles perspectives pour demain ?

La menace criminelle facilitée par la voie maritime devient un fait de sécurité collective majeur qui impacte la stabilité au cœur de nos sociétés mais aussi au sein des relations internationales. Avons-nous conscience que certaines narco-organisations rivalisent avec l’État tant leur ressource et leur influence semblent infinies ?

Retenons quelques enjeux clés :

  • la gestion de la donnée maritime (confidentialité, intégrité, disponibilité) conditionne la solidité des chaines de valeur du commerce international ;
  • l’Intelligence (stratégique, économique, criminelle,…) fondée sur une fertilisation croisée constitue un avantage concurrentiel dans la sécurisation du commerce international, supposant une forte coopération internationale ;
  • la veille technique et technologique sur les modes opératoires des narco-organisations est un pré-requis pour garantir une meilleure détection des flux illicites, impliquant notamment le processus chimique de transformation – raffinage des substances ;
  • face à une menace hybride et polymorphe, l’approche globale décloisonnée s’impose comme la seule méthode d’action opérante, invitant à une convergence raisonnée des stratégies de lutte administrative comme judiciaire ainsi qu’à un meilleur dialogue public-privé à l’échelle internationale.

Florian Manet

16/09/2024

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