Kamakura Hanko, l’artisan de sceaux japonais entre la tradition et la modernité - Comment sauvegarder l’identité culturelle ?
05/01/2021 - 6 min. de lecture
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Saiko Yoshida est membre du Cercle K2.
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Au Japon, à Kamakura -une ville d’importance historique avec un patrimoine culturel très riche- qui se trouve environ à 50 km de Tokyo dans la préfecture de Kanagawa-, Mitsuhiro TSUKINO et sa femme tiennent une petite boutique de « Hanko », sceau japonais. TSUKINO-san, toujours souriant, est passionné par ce métier d’artisan de sceaux que son grand-père et son père ont également exercé à Nara, une ville dans la région de Kansai. Il représente, donc, la troisième génération d’artisans. Il a ouvert sa boutique à Kamakura en novembre 2015 et souhaite faire perdurer ce métier, malgré la campagne anti-hanko du gouvernement actuel qui veut réduire l’utilisation du sceau.
L’histoire du sceau
L’usage de sceau a commencé avec la naissance de la civilisation. Le sceau précède l’écriture, et son histoire remonte à plusieurs millénaires avant notre ère en Mésopotamie. Les sceaux-cylindres apparaissent lors de la période d’Uruk à la fin du IVe millénaire av. J.-C. et se répandent en lien avec la diffusion de l’écriture cunéiforme que les Sumériens ont inventé.
L’usage du sceau s’est ensuite développé dans le monde : en Egypte, en Grèce, à Rome..., et aussi à l’est, en passant par le Moyen-Orient, la Chine jusqu’au Japon.
En Europe, son usage a connu un grand essor au Moyen Âge touchant l’ensemble de la société. Le sceau est alors un signe d’identité, un moyen de montrer l’engagement du titulaire lorsqu’il est apposé sur un document. Mais, l’utilisation du papier à la place du parchemin, le développement de l’acte notarié et la signature autographe ont mis fin à l’âge d’or du sceau, en Occident, au cours du XVe siècle.
En France, l’usage du sceau perdure jusqu’à la fin de l’Ancien Régime dans les chancelleries royales, princières, ecclésiastiques et dans des juridictions. A la Révolution, le sceau en or de Louis XVI est fondu, et le décret de 1792 a définit l’aspect du nouveau sceau de la République. Aujourd’hui, le Grand Sceau de France -celui qui a été frappé en 1848 à l’avènement de la IIe République- est apposé par le garde des Sceaux pour de très rares occasions, telles que la promulgation de la Constitution ou ses modifications.
Au Japon, le plus ancien sceau découvert est le sceau du roi de Na. C’est un sceau en or, considéré comme le sceau remis par l’empereur de Chine en l’an 57 au roi de Nakoku, royaume situé au nord de l’ile de Kyushu (sud du Japon). Dans la littérature japonaise, le premier sceau apparaît dans Nihon-shoki (livre officiel paru en 720 sur l’histoire ancienne du Japon) : ce sceau en bois avait été offert à l’empereur pour être utilisé lors des rituels en tant qu’objet sacré.
De nos jours, l’usage des sceaux existe encore dans les pays d’Extrême-Orient (Chine, Corée du Sud, Japon, Taiwan), et c’est au Japon qu’il est particulièrement bien gardé. Les Japonais ont développé leur propre culture du sceau.
L’usage de hanko au Japon
La réforme de Taika entamée en 645, c’est à partir de l’an 701 -année où le code de Taiho (ancien système de lois japonais) a été promulgué-, que le véritable usage du sceau au Japon a commencé et qu’il a été institutionnalisé.
S’agissant du système actuel du sceau au Japon, il est fondé sur le décret du Grand Conseil d’Etat (Daijokan fukoku) du 1er octobre 1873 à l’époque de Meiji. Celui-ci stipulait que dorénavant tous les documents officiels sans Jitsu-in 実印 (le hanko enregistré officiellement) n’auraient plus de valeur juridique devant un tribunal. Le sceau est le socle du système actuel et est ainsi indispensable dans la société japonaise.
On distingue différents types de sceaux ; il y a donc le Jitsu-in, fabriqué à la demande en modèle unique, et qui doit être enregistré auprès de la mairie. Il est utilisé lors de moments importants comme l’achat ou la vente d’un bien immobilier, l’héritage patrimonial, la rédaction d’un testament…. Ensuite, il y a le Ginko-in 銀行印, un sceau enregistré à la banque afin de réaliser des opérations bancaires. Et, enfin, le Mitome-in 認印, employé dans les actes du quotidien.
La campagne anti-hanko
Le nouveau premier ministre Yoshihide SUGA, nommé en septembre dernier, est le promoteur d’une vaste politique de digitalisation dans le cadre d’une réforme administrative. Dès son arrivée à la tête du gouvernement, il a déclaré vouloir créer l’Agence Numérique (デジタル庁 Digital Agency) chargée de coordonner et centraliser les initiatives et les programmes de digitalisation développés au sein des différents ministères. Le Japon devant rattraper le retard dans la transformation numérique (DX), Yoshihide Suga a affiché son intention de mettre en place un système solide pour mieux porter sa politique.
La campagne anti-hanko fait ainsi partie de l’ensemble de mesures en lien avec la transformation numérique. En fait, depuis le printemps 2020, de nombreux Japonais sont contraints de rester chez eux en télétravail à cause de la pandémie de covid-19, or cette situation a mis en évidence un certain manque d’efficacité dans l’environnement professionnel. Ainsi, le fait qu’il existe très souvent des documents nécessitant, pour validation, l’apposition de hankos par des responsables, cela contraint certaines personnes à se déplacer sur leur lieu de travail. Dans ce contexte de retard constaté dans le domaine de la digitalisation, le gouvernement japonais veut accélérer sa démarche pour renforcer la transformation numérique. Actuellement, les débats dans les médias sur ces sujets sont fréquents, l’industrie et les artisans de hanko y trouvant l’occasion de s’exprimer.
Kamakura Hanko et son défi pour faire perdurer l’identité culturelle
Tshukino-san explique : « Pour les japonais, le hanko est considéré comme un objet qui abrite une âme et il représente celui et celle qui le possède. C’est le double de soi-même. Au Japon, on l’utilise à chaque étape importante dans la vie. Avec l’empreinte laissée par le hanko, l’Etat, les organisations, les entreprises et les individus montrent leur crédibilité et confirment l’intention et la responsabilité de chaque partie. »
Même si le gouvernement japonais met en œuvre sa campagne anti-hanko, Tsukino-san est convaincu que l’usage du sceau au Japon est un patrimoine culturel et que les Japonais doivent le sauvegarder. Il souligne l’importance de transmettre cette culture aux générations suivantes.
Pour cela, non seulement les artisans doivent transmettre leur savoir-faire et continuer à fabriquer des sceaux, mais aussi les actes nécessitant d’apposer ceux-ci dans des occasions importantes devraient être conservés. En effet, même si l’usage du Mitome-in risque de considérablement diminuer, celui du Jitsu-in devrait être maintenu, parce que les Japonais utilisent leur Jitsu-in lors des évènements solennels et des grandes occasions de la vie, entretenant ainsi un esprit traditionnel lié à un rituel ancestral.
Depuis le mois de novembre, Tsukino-san collabore avec les artisans du Kamakura-bori (des articles sculptés et laqués, un artisanat traditionnel de Kamakura né il y a 800 ans) pour créer les Kamakurabori-Hanko. Ce nouveau concept est né d’une volonté commune des artisans de Kamakura qui croient à la nécessité de sauvegarder la culture traditionnelle et de faire perdurer les savoir-faire liés à l’artisanat. La ville de Kamakura -jumelée avec la ville de Nice- se trouve au bord de l’océan Pacifique, entourée des montagnes, où les touristes peuvent admirer les temples bouddhistes et les sanctuaires shinto. Cette ville abrite beaucoup de sites spirituels. Autrefois, c’était un centre politique, et le gouvernement militaire y siégea entre 1192 et 1333, période durant laquelle la culture de sceau a connu un développement remarquable aussi.
Quant à l’avenir du hanko, son usage va certainement diminuer, surtout en ce qui concerne l’usage de Mitome-in dans les actes quotidiens. Mais il est important de réfléchir à la sauvegarde de cette culture du hanko qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde. Clarifier ce que nous pouvons supprimer et ce qu’il faut absolument conserver serait nécessaire.
Si on supprime l’usage des Mitome-in dans certains actes, tout en maintenant celui des Jitsu-in dans des actes et procédures importants, les Japonais courent le risque d’oublier l’usage du hanko dans un avenir proche. La pratique des actes est nécessaire pour préserver une culture. La culture est porteuse de valeurs, d’identité et de traditions. L’enjeu est considérable pour les artisans comme Tsukino-san.
Dans un monde où l’on demande toujours plus d’efficacité et de productivité, nous recherchons également le confort, la facilité et la simplicité. La rapidité et l’instantanéité priment sur tout. Mais, on a besoin de penser dans la durée, le long-terme, de prendre le temps d’observer le passé et d’envisager l’avenir.
Le Japon est connu pour son contraste fondé sur la modernité et la tradition. Alors que le gouvernement accélère la transformation numérique de la société, ne devrait-il pas composer avec les différentes parties prenantes sans oublier de protéger l’identité culturelle ?
Tsukino-san pense qu’il faut surtout avoir l’esprit positif et chercher de nouveaux concepts qui combinent ces deux forces antagonistes que sont la tradition et la modernité. Il a d’ores et déjà beaucoup d’idées pour innover et créer de nouveaux types de hanko.
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Pour plus d’informations
Kamakura Hanko (en anglais)
https://www.kamakurahanko.com/japanesesealhanko
Ville de Kamakura
https://www.city.kamakura.kanagawa.jp/visitkamakura/fr/access/index.html
05/01/2021