L’entreprise mécène : quelle stratégie ?

08/03/2021 - 9 min. de lecture

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Ophélie Dantil est avocat spécialiste en fiscalité du marché de l’art. Elle est associée du cabinet Eric Estramon et Avocats, cabinet spécialisé en conseil et contentieux du droit des affaires, basé à Paris, Clermont Ferrand et Montluçon.

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L’entreprise mécène : quelle stratégie ?

Autrefois considéré comme "la danseuse du président", l’art en entreprise est désormais un "investissement" à privilégier pour les entreprises soucieuses de leur contribution à l’intérêt général. Conscient de cette (R)évolution, intérêt personnel vers intérêt collectif, le législateur fiscal aide les entreprises à structurer leurs actions de soutien.

 

1° La location d’œuvres d’art

Il n’existe pas de dispositif fiscal spécifique à la location d’œuvres d’art. Il s’agit de transposer les règles fiscales applicables en matière de charge déductible. Seules les dépenses réalisées dans l’intérêt de l’entreprise sont déductibles du résultat imposable.

Lorsqu’une entreprise loue des œuvres d’art, les loyers supportés sont la contrepartie de la jouissance d’un bien meuble. Ils sont déductibles dans les conditions de droit commun. L’opération de location doit être réalisée dans l'intérêt de l'entreprise : décoration de locaux professionnels, outil de communication auprès de ses salariés (ex : intervention dans le choix des œuvres) et de sa clientèle (renouvellement régulier de la collection, vernissage, conférence avec l’artiste, etc.). Le montant des versements effectués doit être considéré comme normal (ne pas présenter un caractère excessif eu égard la valeur locative du bien) et être justifié.

À la fin de la période de location contractuellement fixée, l’œuvre est restituée.

La location d’œuvres d’art peut constituer un premier pas vers une stratégie de mécénat artistique plus pérenne.

 

2° Achat d’œuvres originales d’artistes vivants

Les sociétés soumises de plein droit ou sur option à l’impôt sur les sociétés et les entreprises individuelles soumises à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux qui achètent des œuvres originales[1] d’artistes vivants pour les exposer au public peuvent bénéficier d’une déduction spéciale[2].

Pour en bénéficier, l’entreprise doit exposer l’œuvre d’art pendant 5 ans (soit la période correspondant à l’exercice d’acquisition et aux 4 années suivantes) :

  • dans les locaux de l’entreprise, à condition qu’ils soient effectivement accessibles au public ou aux salariés (il ne peut pas s’agir d’un bureau personnel, d’une résidence personnelle ou d’un lieu réservé aux seuls clients de l’entreprise par exemple),
  • lors de manifestations organisées par l’entreprise ou par un musée, une collectivité territoriale ou un établissement public auquel le bien aura été confié,
  • dans un musée auquel le bien est mis en dépôt,
  • par une région, un département, une commune ou un de leurs établissements publics ou un établissement public à caractère scientifique, culturel ou professionnel.

L’exposition doit être permanente (pendant les 5 années requises et même au-delà) et non réalisée à l’occasion de manifestations ponctuelles (exposition temporaire, festival saisonnier, etc.).

L’œuvre doit être inscrite à un compte d’actif immobilisé. Le montant déduit annuellement doit être déduit extra-comptablement sur l’imprimé 2058-A du résultat de l’exercice d’acquisition et des quatre années suivantes ligne XG "déductions diverses" et figurer sur la déclaration 2069-M-SD (imprimé pour la réduction d’impôt mécénat). 

Chaque année, le montant de la déduction ne peut dépasser 5 pour mille du chiffre d’affaires réalisé, ou 20 000 € à compter des investissements pour 2021, si le montant de 20 000 € est supérieur à 5 pour mille, l’excédent ne pouvant être reporté au titre des exercices ultérieurs.

Le montant de la déduction doit être inscrit dans un compte de réserve spéciale au passif du bilan. Cette obligation comptable exclue les titulaires de BNC[3] car sur le plan juridique ils n’ont pas la faculté de créer au passif de leur bilan un tel compte.

En cas de changement d’affectation (notamment lorsque l’œuvre n’est plus exposée au public), de cessions de l’œuvre ou de prélèvement sur le compte de réserve, pendant ou après les cinq ans du bénéfice de la déduction, le montant de déduction dont l’entreprise a bénéficié est réintégré au résultat imposable.

L'entreprise peut constituer une provision pour dépréciation lorsque la dépréciation de l’œuvre excède le montant des déductions déjà opérées.

Exemple :

Une société à l’impôt sur les sociétés réalise au titre d’un exercice un chiffre d’affaires de 2 000 000 € et un bénéfice de 300 000 € (IS théorique : 28 %, soit 84 000 €).

En avril dudit exercice, elle achète une œuvre originale d’un artiste vivant d’un montant de 50 000 €.

Au titre de cet exercice et des 4 exercices suivants, la société peut déduire pour chaque exercice la somme de 10 000 €, dès lors que pour chaque exercice cette déduction ne dépasse pas 0.5 % du chiffre d’affaires réalisé[4] ou 20 000 €. Ce plafond s’entend après déduction des sommes versées à des organismes sans but lucratifs visés à l’article 238 bis du Code général des impôts.

L’économie d’impôt annuelle maximale s’élève donc à 2 800 €[5], soit 14 000 € sur les 5 années.

Si la société revend l’œuvre 60 000 € des années plus tard, elle sera imposée de la façon suivante :

  • plus-value 60 000 € - 50 000 € = 10 000 euros : IS dû de 2 800 € ;
  • réintégration fiscale de la déduction obtenue préalablement, soit 14 000 € ;
  • coût fiscal total de la sortie de l’œuvre : 16 800 €.

Il s’agit donc d’un investissement sur le long terme dont l’objectif est le soutien à la création artistique contemporaine. Beaucoup d’entreprises ont conscience que cet achat est un outil fort en termes de communication interne (vis-à-vis des collaborateurs) et externe (valeurs de l’entreprise auprès du public).

Ce dispositif prend fin au 31 décembre 2022. C’est donc le moment d’agir !

 

3° Don à des organismes d’intérêt général ayant un caractère culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique

Ouvrent droit à une réduction d’impôt égale à 60 % de leur montant les versements, pris dans la limite d’un plafond de 0.5 % du chiffre d’affaires hors taxes ou 20 000 € si ce montant est supérieur, effectués par les entreprises assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés au profit d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général[6].

La fraction inférieure ou égale à 2 millions d’euros ouvre droit à une réduction d’impôt au taux de 60 % et la fraction supérieure à ce montant ouvre droit à une réduction d’impôt au taux de 40 %.

Le don n’étant pas une charge déductible du résultat imposable, il doit être réintégré extra-comptablement sur l’imprimé 2058 A.

Parmi ces organismes bénéficiaires qui doivent être à gestion désintéressée et à vocation d’intérêt général, certains sont spécifiquement dédiés à l’art :

  • Les œuvres ou organismes d’intérêt général ayant un caractère culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique : il s’agit des organismes dont l’activité est consacrée, à titre prépondérant, à la création, à la diffusion ou à la protection des œuvres de l’art et de l’esprit sous toutes leurs différentes formes. S’y ajoutent les musées de France ainsi que les organismes qui mènent à titre prépondérant une activité propre en faveur du développement de la vie culturelle (activité de formation artistique, actions tendant à faciliter et à élargir l’accès du public aux œuvres artistiques et culturelles, etc.).
  • Les organismes dont l’objet est d’assurer la sauvegarde, la conservation et la mise en valeur de biens mobiliers ou immobiliers appartenant au patrimoine artistique national, régional ou local. La notion de patrimoine artistique englobe les œuvres d’art au sens traditionnel et les biens qui ont une valeur historique.
  • Les organismes publics ou privés, y compris les sociétés de capitaux dont les actionnaires sont l’Etat ou un ou plusieurs établissements publics nationaux, seuls ou conjointement avec une ou plusieurs collectivités territoriales, dont la gestion est désintéressée et qui ont pour activité principale la présentation au public d’œuvres dramatiques, lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques et de cirque, ou l’organisation d’expositions d’art contemporain à la condition que les versements soient affectés à cette activité.

Contrairement à l’achat d’œuvres d’art, lorsqu’au titre d’un exercice le don excède le plafond de 5 p. mille ou 2000 €, l'excédent est reporté successivement sur les cinq exercices suivants et ouvre droit à la réduction d'impôt dans les mêmes conditions, après prise en compte des versements de l'exercice d’imputation.

Exemple : sur la base des mêmes éléments que l’exemple précédent

La société donne sur 5 ans 10 000 euros par an à un musée. Cette donation ouvre droit à une réduction d’impôt annuelle de 6 000 €[7]. Sur 5 ans, le don total de 50 000 € ouvre droit à une économie d’impôt de 30 000 € au lieu de 14 000 € dans le cas de l’achat d’œuvre d’art.

Si l’impôt à payer est inférieur au montant de la réduction d’impôt[8], le supplément est reporté au titre de l’un des cinq exercices suivants. Si le montant du don est supérieur au 0.5 % du Chiffre d’affaires ou 20 000 €, la différence est également reportable sur les exercices suivants.

La société mécène ne doit recevoir aucune contrepartie en échange du don offert à l’organisme[9]. Elle peut solliciter que son nom soit mentionné en tant que mécène et communiquer sur son action de mécénat.

 

4° La constitution d’un fonds de dotation 

De plus en plus d’entreprises réfléchissent au sens de leur métier afin d’en extraire des thèmes universels et de faire de leur mécénat un enjeu stratégique de communication et de cohésion interne et externe. À ce titre, une société peut constituer son propre organisme d’intérêt général avec des missions qui reflètent les valeurs de l’entreprise, son inscription politique, économique, écologique dans le territoire.

Beaucoup de grandes entreprises ont initié le mouvement en créant leur fondation, mais cette stratégie peut être étendue aux PME via la constitution d’un fonds de dotation dont les règles de création et de fonctionnement sont plus souples que celles de la fondation. 

Le fonds de dotation est un outil innovant de financement du mécénat qui combine les atouts de l’association loi de 1901 et de la fondation, sans leurs inconvénients. Doté de la personnalité juridique, il est constitué d’une allocation irrévocable[10] de biens pour la réalisation d’une mission ou d’une œuvre d’intérêt général. Il collecte des fonds d’origine privé, qu’il peut soit constituer en dotation dont il utilise les fruits, soit consommer pour accomplir sa mission. Il peut mener lui-même cette mission ou financer un autre organisme d’intérêt général pour son accomplissement.

On peut imaginer qu’une société crée son propre fonds de dotation avec pour objet d’assurer la conservation et la diffusion au public de sa collection d’œuvres d’art. Le fonds peut amplifier ses actions de mécénat et de soutien à d’autres domaines d’action tel que par exemple l’accès pour tous à la culture et la création artistique, l’insertion professionnelle.

Le fonds de dotation va alors collecter les fonds nécessaires à son action, financer ou commander des œuvres d’art, initier, organiser ou soutenir toutes manifestations (expositions, colloques, résidences d’artiste, etc.), mener des actions en faveur de mission d’intérêt général, etc.

Exemple : sur la base des mêmes éléments que l’exemple précédent.

La société crée son fonds de dotation via une dotation de 15 000 euros (les 4 années suivantes, elle verse 8 750 €), soit un investissement global de 50 000 €. Via cette dotation qui sera consomptible, le fonds de dotation finance des œuvres d’art et organise des manifestations.

L’économie d’impôt est de 30 000 euros et la société, via le fonds de dotation, peut soutenir la création artistique et développer une stratégie de communication tant externe qu’interne sur des valeurs d’intérêt général qui correspondent à son activité. 

Ophélie Dantil

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[1] Les productions artisanales ou de série ne constituent pas des œuvres originales.
[2] CGI, art. 238 bis AB.
[3] Rép. Foulon : AN 10-3-2015, p. 1719 n° 36875 ; BOI-BIC-CHG-70-10 n° 1 BF 5/15 inf. 412.
[4] 2 000 000 € x 0.5 % = 10 000 €.
[5] 10 000 € par an x impôt théorique de 28 %.
[6] CGI, art. 238 bis.
[7] 50 000 € x 60 %.
[8] Par exemple, la société avait des déficits antérieurs reportables.
[9] Une contrepartie est possible si celle-ci ne dépasse pas 25 % du montant du don.
[10] Minimum 15 000 euros.

08/03/2021

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