L’or blanc, menace hybride portée à la sécurité nationale ? Ou comment la thalassopolitique contribue à la sécurité des populations

27/02/2023 - 6 min. de lecture

L’or blanc, menace hybride portée à la sécurité nationale ? Ou comment la thalassopolitique contribue à la sécurité des populations - Cercle K2

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Florian Manet est Colonel de la Gendarmerie nationale, Expert en sûreté globale, Chercheur-associé à la Chaire de géopolitique de Rennes School of Business & Essayiste.

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Les propos émis dans cette publication restent propres à leur auteur et n'engagent pas la Gendarmerie nationale.

 

La Bretagne, rivage béni des narco-traficants internationaux ?

Deux dernières saisies importantes de cocaïne opérées, début février 2023, dans les eaux territoriales françaises, en Atlantique, interrogent sur une menace diffuse portée par des trafics illicites jusqu’alors limitée à la rangée portuaire nord-européenne ("Northern range"). Rappelons, à titre de mise en contexte, qu’en 2022, les autorités belges ont saisi 109,9 tonnes de cocaïne en provenance d’Amérique latine dans le port d'Anvers tandis qu’à Rotterdam (Pays-Bas), les interceptions pour cette même drogue se sont élevées à 52,5 tonnes.

Ainsi, le vendredi 10 février 2023, un patrouilleur de la Garde-Côtes des Douanes effectue, sur la zone d’attente, à hauteur de l’île de Groix, un contrôle d’un vraquier battant pavillon du Liberia. Outre 200 kilogrammes de cocaïne découverts par les plongeurs des Douanes, il transportait une cargaison régulière de tourteaux de soja produits en Amérique du sud. Construit en 2012, d’une longueur de 229 mètres et d’une capacité de charge de 81640 tonnes de port en lourd, le MV FALKONERA avait appareillé du port brésilien de Paranaguá le 24 janvier 2023 à destination de Lorient qu’il rallie le 11 février.

Ensuite, selon un scénario similaire, le jeudi 16 février 2023, le MV NORD CAPELLA est contrôlé à Brest (29), à quai, par la Gendarmerie maritime. 178 kilogrammes de cocaïne sont ainsi découverts sous la ligne de flottaison. Arborant le pavillon du Panama, ce vraquier était en provenance d’Uratu acheminant 15 000 tonnes de graines et de fève de soja cultivé au Brésil.

Chacune de ces deux prises correspondent à une valeur marchande sur le marché européen estimée à plus de 15 millions d’euros.

En moins d’une semaine, deux tentatives d’importation de cocaïne à haut degré de pureté ont été ainsi déjouées dans des ports français de la façade atlantique peu coutumiers du fait. Elles invitent à une réflexion sur cette économie criminelle qui sape les fondements d’un ordre public socio-économique établi en Europe. Stimulés par un accroissement de l’offre au plan mondial, les trafics illicites de produits narcotiques se trouvent facilités et démultipliés par le fait maritime. Bien malgré lui assurément.

Comment, alors, appréhender ce phénomène sécuritaire ? Quelle posture globale lui opposer ?

 

Un mode opératoire très sophistiqué

Pour comprendre parfaitement les enjeux d’un tel commerce illicite, il convient de décrire le modus opérandi particulièrement complexe qui a rendu possible cette importation, car il s’agit avant tout d’une opération logistique à très haut risque au vue du gain financier estimé et attendu en retour sur le marché européen.

Le pré-requis est avant tout la maîtrise totale d’une chaîne logistique multimodale et intercontinentale, en achetant le silence et/ou la complicité d’acteurs privés, publics et… d’autorités criminelles auto-proclamées.

La première étape est l’acheminement puis le conditionnement de la cocaïne des aires de production situées dans les pays andins (Pérou, Bolivie et Colombie) à proximité des zones portuaires où est effectué un groupage logistique. Ainsi, en l’espèce, le MV NORD CAPELLA a appareillé du port brésilien d’Aratu situé dans l’État de Bahia, au Nord-Est du Brésil, comme plus de 600 navires par an. En pleine croissance, il dispose de terminaux pour les vracs solides et liquides (comme les hydrocarbures) mais aussi d’installations dédiées à l’exportation de véhicules automobiles produits par Ford. À ce titre, ces infrastructures portuaires sont donc soumises aux dispositions strictes de sûreté maritime imposées par les conventions internationales (le Code ISPS ou International Ship and Port Facility Security en particulier). Néanmoins, situé à 3000 kilomètres de la frontière bolivienne, il est aisé d’imaginer le flux de fourmis qui a permis d’acheminer la cocaïne, empruntant les routes, les fleuves, voire des avions de tourisme. De plus, le MV FALKONERA a largué les amarres au port de Paranagá situé dans l’État de Paraná, au Sud du pays. Il s’agit du deuxième port brésilien en tonnage et en nombre de conteneurs manipulés.

La deuxième étape du processus logistique consiste en l’insertion ou, autrement dit, la banalisation du fret illicite dans la cargaison ou dans le vecteur maritime de manière la plus opaque possible. Dans le cas présent, l’opération de "contamination" choisie est celle offerte par l’architecture navale, en l’occurrence des "coffres à eau", dispositifs de prise d’eau de mer placés sous la ligne de flottaison.

Enfin, l’ultime étape se résume au défi de la récupération de ce fret illicite dans le port de destination en dépit des aléas propres à la navigation maritime et des conditions de l’exploitation portuaire qui, en Europe, peuvent différer du contexte latino-américain.

Véritable défi organisationnel, cette complexe opération logistique quasi-militaire met en lumière une sophistication de très haut niveau des modes opératoires. À n’en pas douter, elle sous-tend une puissante organisation criminelle. En effet, ces dernières sont en capacité de mobiliser des compétences rares telles les plongeurs, agissant de nuit, en milieu hostile, mais aussi des logisticiens avisés placés aux maillons clé de cette longue chaîne intercontinentale. À la grande différence du commerce international, ces syndicats du crime recherchent systématiquement l’opacification de leurs activités répréhensibles dans des flux marchands insérés dans un contexte de maritimisation des relations commerciales et des activités humaines.

 

Une thalassocratie criminelle[1] internationale à l’œuvre ?

Au vu d’une telle complexité logistique, de nombreuses questions demeurent sur les ressorts de ces marchés criminels spécialisés dans l’importation et la cession de produits stupéfiants. Qui sont les commanditaires ? Où sont-ils implantés ? Comment sont-ils connectés avec les producteurs ? Comment s’opère l’indispensable collaboration avec les réseaux criminels latino-américains et européens ?

L’évocation précédente des opérations logistiques implique la dimension transnationale des opérateurs criminels ainsi qu’un haut niveau d’intégration dans le tissu socio-économique, tant licite que souterrain. Agissant au cœur d’un capitalisme criminel global, ils démontrent un maîtrise totale de l’ensemble de la filière, de l’achat aux producteurs andins jusqu’à la mise sur le marché de consommation en Europe. En passant par la complexe phase logistique portuaire et maritime. Or, de manière surprenante dans ce champs d’activité, on assiste à un phénomène de libéralisation et d’ouverture à de nouveaux entrants de ce marché criminel pourtant très spécifique. Marché jadis segmenté par continent, les Sud-Américains important en Europe la cocaïne qui, ensuite, était revendue, en Europe, par les Européens eux-mêmes. Par différence, au début des années deux milles, des opérateurs criminels européens se sont implantés, directement, au cœur des pays producteurs. Par ce fait, ils s’efforcent d’assumer de "bout en bout" le processus d’importation et de cession, du producteur aux consommateurs.

 

Une fertilisation croisée de l’Intelligence, une perspective d’avenir ?

Lutter contre ces menaces hybrides qui mettent en risque l’ordre public socio-économique contrôlé par la puissance publique, tel est le défi posé par le MV FALKONERA et le MV NORD CAPELLA.

Ce processus criminel transnational invite à promouvoir un regard multidisciplinaire pour mieux appréhender la complexité de la situation, actuellement dopée par de meilleurs rendements de la coca et une demande dynamique en Occident. Plus exactement, il convient de promouvoir une fertilisation croisée de l’Intelligence, mêlant une approche géopolitique, criminologique et logistique. L’anticipation du risque impose un décloisonnement des patterns d’analyse entre terre et mer, entre acteurs étatiques et privés et entre licite et illicite, à l’image des opérateurs criminels particulièrement polymorphes. La confrontation méthodique de points de vue complémentaires constitue, en ce sens, un pré-requis. La mer n’est qu’un vecteur de transport dont les multiples atouts sont intelligemment exploités par les syndicats du crime : la massification du fret maritime au cœur d’une économie-monde annihile les obstacles logistiques tandis que les principes de liberté de circulation des biens et des personnes facilitent la fluidité administrative des flux.

Ainsi, s’exprime le défi contemporain de la sécurité du commerce international face aux trafics illicites mais aussi face au respect des mesures d’embargo.

Florian Manet

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[1] Voir Le crime en bleu, essai de thalassopolitique, Florian Manet, Éd NUVIS, 2018.

27/02/2023

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