La médiation commerciale, ça rapporte ! Une ressource au service des enjeux économiques nationaux

26/10/2020 - 6 min. de lecture

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Brigitte Raynaud est Magistrat et Massoma Diomandé économiste et financier.

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La crise sanitaire Covid-19, par l’arrêt brutal des activités économiques et sociales imposé partout dans le monde, a des conséquences durables dans tous les domaines et notamment dans le domaine des entreprises.

Le choc exogène sans précédent, causé par cette crise, s’est abattu simultanément sur les deux principales composantes de l’économie : l’offre et la demande.

Cette situation présage de la sévérité potentielle de la crise économique que devraient subir les entreprises dans le monde et notamment en France. Il est donc raisonnable de s’attendre à une avalanche de cas de contentieux commerciaux et de sociétés en difficulté financière.

Face à cette situation, l’appareil judiciaire pourrait très rapidement devenir un goulot d’étranglement et potentiellement exacerber les effets de la crise par une insuffisante fluidité de traitement des cas.

Le temps de règlement judiciaire étant structurellement long et peu adapté au temps des affaires, la médiation, surtout dans un environnement de crise économique potentiellement longue, apparaît comme une ressource incontournable. La médiation commerciale doit donc pouvoir se hisser à la hauteur de ces enjeux économiques.

La définition de la médiation a été posée par Michèle Guillaume-Hofnung, professeur émérite des facultés de droit, comme un processus au cours duquel un tiers, indépendant, impartial, neutre et tenu à la confidentialité, accompagne les parties en litige, appelées alors les « médiés », pour qu’elles trouvent elles-mêmes librement la meilleure solution au conflit qui les oppose. La médiation en matière commerciale peut avoir lieu entre une personne physique et une personne morale ou entre deux personnes morales, liées par une relation d’affaires commerciales et/ou financières.

Trop souvent cantonnée aux relations entre l’administration et les administrés, son spectre est beaucoup plus large. Sa reconnaissance timide dans les textes n’en facilite pas le développement. Et la conciliation, ce n’est pas la médiation.

Rendue obligatoire depuis le 1er janvier 2016 dans le domaine de la consommation, pour tout litige entre un consommateur et un professionnel, la médiation commerciale reste globalement un outil marginalisé dans le domaine des affaires pour diverses raisons parmi lesquelles nous pouvons retenir : une notoriété inadéquate, des moyens inadaptés et une intégration insuffisante dans le système judiciaire.

Par ailleurs, les enjeux économiques de la crise Covid-19 reposeront en France sur le plan de relance annoncé par le Gouvernement Castex. Le rétablissement de la confiance dans le système économique est l’un des enjeux majeurs de ce plan. En l’absence d’un système solide, rapide et optimisé de traitement des cas par voie de médiation commerciale, la hausse inévitable des cas de contentieux commerciaux et de difficultés financières des entreprises risque de menacer tous les efforts de rétablissement de la confiance dans l’économie française.

Dans cette crise potentiellement durable, les vagues attendues de défaillances d’entreprises constitueraient une véritable menace face à la capacité limitée de traitement par l’appareil judiciaire. Cette menace pourrait déborder sur une explosion du chômage en l’absence d’alternatives, telle que la médiation, renforcées à la mesure des enjeux sociaux-économiques nationaux.

Afin de renforcer la médiation commerciale et sa contribution aux enjeux socio-économiques nationaux, nous soumettons ci-dessous quelques chantiers de développement :

  • l’analyse et le développement d’un système d’incitation économique à la médiation commerciale (pour les médiés),
  • la mise en place d’une plateforme numérique (à l’échelle nationale),
  • le renforcement des capacités,
  • l’élaboration d’un Plan Média proactif et ciblé.

 

I. L’incitation économique

L’opérateur économique est en quête perpétuelle d’optimisation dans l’allocation de ses ressources. Même si les avantages de la médiation commerciale ne sont plus à démontrer, le gain de temps et/ou l’économie des coûts de procédure, ils peuvent apparaître comme trop relatifs pour véritablement inciter les justiciables ou potentiels justiciables à privilégier la médiation commerciale dans leur stratégie de règlement des litiges.

Une étude[1] à l’initiative du Parlement Européen établissait en 2011 que la médiation commerciale réalisait un taux de succès de 75%, et permettait, par litige jusqu’à 330 jours et 860 jours de gain de temps, et au moins 5000 euros à 7000 euros d’économie de coûts, respectivement en Belgique et en Italie.

La médiation, ça rapporte ! Aux médiés comme à l’État, les chiffres en attestent, ils mériteraient d’être approfondis.

Avec un taux de succès observé des médiations commerciales en France, au-delà des 75%[2], il conviendrait d’analyser les cas de litiges sur le plan national et d’estimer leurs coûts absolus, directs ou indirects pour l’Etat. Cette analyse permettrait d’identifier des foyers de transferts et d’optimisation pour servir de base au développement d’outils économiques, juridiques, fiscaux ou parafiscaux afin d’inciter les entreprises à aller plus spontanément vers la médiation

 

II. Plateforme numérique

La médiation commerciale semble se différencier des autres domaines de médiation (notamment administratif et pénal) par les facteurs principaux suivants : la séparation entre le « médié » (personne morale) et la personne physique (ou le dirigeant) qui le représente et très souvent la multiplicité des parties prenantes (fournisseurs, clients, employés, financiers, investisseurs, actionnaires…) à la médiation.

Le caractère multi-dimensionnel et multi-relationnel de la médiation commerciale en fait sa spécificité et justifie une formation ciblée pour notamment enrayer, le plus en amont possible, les difficultés financières.

Il convient également de rappeler les fines frontières entre les différents dispositifs d’assistance et aides dans la vie des entreprises. A titre illustratif, les entreprises en difficulté financière suivent un parcours classique allant de la crise de liquidité (ponctuelle ou permanente) jusqu’au redressement/liquidation judiciaire, en passant par la crise de solvabilité où elles s’efforcent d’être éligibles à un plan de sauvegarde. Sur ce parcours, l’Etat a mis en place, en réponse à la crise du Covid-19, de nombreuses facilités pour aider les entreprises à éviter la faillite.

Toutes ces facilités et subventions de l’Etat, via les différents fonds de solidarité et d’aide aux entreprises, verraient leur allocation davantage optimisée et leurs impacts décuplés grâce une meilleure coordination ou intégration avec d’autres dispositifs existants, tels que la médiation commerciale.

A cet égard, la mise en place d’une plateforme numérique, au niveau national, viserait :

  • à intégrer toute l’intelligence de marché générée par l’ensemble des dispositifs d’assistance et accompagnement des entreprises (fonds de solidarité, médiation commerciale…)
  • à partager (dans le strict respect de la confidentialité) les expériences pour une amélioration permanente de ces dispositifs
  • à renforcer les modules de formation dédiée aux intervenants des différents dispositifs
  • à réduire les inefficiences et coûts consécutifs liés à l’accompagnement des entreprises en difficulté
  • à doter l’autorité publique d’une base d’informations fiables et intégrées (aujourd’hui quasi-inexistante) pour mieux calibrer ses politiques d’assistance et d’aide aux entreprises.

 

III. Le renforcement des compétences

La complexité relative des cas de médiation commerciale, et notamment des entreprises en difficulté, milite pour un renforcement des capacités des ressources humaines intervenant dans les MARC (Modes Alternatifs de Règlement des Conflits) des entreprises.

A titre illustratif, les Administrateurs Judiciaires et les Mandataires Judiciaires missionnés par le tribunal de commerce disposent parfois de capacités limitées pour apprécier, dans le temps imparti, le caractère conjoncturel (ou ponctuel) du caractère structurel (ou permanent) des difficultés rencontrées par les entreprises soumises à leur traitement (avant cessation des paiements).

Cela peut parfois mener à une orientation inadéquate du traitement du dossier. Les cas de difficultés financières empirant généralement avec le temps, un mauvais traitement des dossiers peut parfois fait perdre aux entreprises des fenêtres d’opportunités pour saisir des solutions plus adaptées (telles que les « prepack »).

Ce chantier de renforcement des capacités pourrait viser principalement :

  • le développement d’un cadre législatif plus approprié à la reconnaissance du médiateur (métier / statut / protection fonctionnelle / fonction / certification, etc.),
  • la diversification des profils des médiateurs, la formation continue des personnes impliquées dans les processus de médiation, et
  • l’adaptation des programmes éducatifs de base et de formation continue des prescripteurs de la médiation.

 

IV. Le plan média

Parmi les nombreux impacts de la crise sanitaire, figure la disposition morale des dirigeants d’entreprises favorable à la prise en compte des modes alternatifs de gestion et notamment de gestion des crises.

Malgré les atouts avérés de la médiation, celle-ci reste encore marginalisée en raison, en partie, d’une notoriété inadéquate.

Un plan média dédié permettrait de cibler les entreprises par catégorie, et aussi et surtout au meilleur moment, en s’appuyant notamment, pour plus de proactivité, sur les outils du numérique et de l’intelligence artificielle.

 

Pour conclure

La mise en place de ces chantiers devra être réalisée par une équipe dédiée pluridisciplinaire et dans un cadre interministériel, seul adapté aux enjeux sociaux-économiques nationaux.

 

Brigitte Raynaud et Massoma Diomandé

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[1] Quantifying the cost of not using mediation – a data analysis – European Parliament - 2011

[2] CMAP (Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris) – Baromètre 2020

26/10/2020

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