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Lionel Faure est Directeur de projet de performance industrielle et digital. Youness Laamiri est Ingénieur excellence opérationnelle chez SPIE Nucléaire.
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Introduction
Les inégalités de revenus ainsi que les écarts de conditions de travail ont suscité notre intérêt pour évoquer l’importance du dialogue social entre le patronat et les salariés. Nous constatons que la croissance de la productivité des entreprises, d’une part, et la baisse des revenus du travail, d’autre part, sont des facteurs qui provoquent des inégalités et font émerger des vulnérabilités économiques et sociales. La récente pandémie de Covid-19 a mis à rude épreuve l’industrie manufacturière, notamment son système de production et ses chaînes logistiques. Plusieurs entreprises ont fermé et des salariés ont été licenciés. Une distinction est apparue entre ceux qui avaient pu adapter leurs modalités de travail en adoptant le télétravail, la relocalisation de la production en France, l’accélération de la transformation digitale et l’évolution des postures managériales et ceux qui n’en avaient pas eu la possibilité. L’Organisation Internationale du Travail, dans son rapport sur l’emploi et les questions sociales [1], indique qu’en 2022, le chômage mondial a été de 207 millions de personnes contre 186 millions en 2019.
Le dialogue social
Le dialogue social est une parole raisonnée et agissante entre acteurs ou parties prenantes qui communiquent en toute liberté, disposent d’une écoute active, d’une humilité sincère et d’un respect mutuel.
Selon l’Organisation Internationale du Travail : "le dialogue social inclut tous types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions d’intérêt commun relatives à la politique économique et sociale". Cette définition renvoie donc aux relations professionnelles au sein de l’entreprise et des branches professionnelles comme lieux d’expression, d’échanges et de négociations.
Histoire du dialogue social en France
Rappelons quelques faits historiques qui ont contribué à modeler le dialogue social en France [2].
En 1791, la loi Le Chapelier interdit toute association professionnelle. Un siècle plus tard, en 1884, la loi Waldeck-Rousseau autorise les organisations syndicales.
En 1895, la première organisation syndicale de France voit le jour, la Confédération Générale du Travail ou CGT.
Les revendications sur les conditions de travail dans les entreprises peuvent remonter des délégués du personnel à la direction, suite à l’accord de Matignon en 1936, mis en place par le Front Populaire.
La création en 1946 des comités d’entreprise autorise la représentation collective des salariés en entreprise et propose une implication du personnel dans les consultations, les concertations, sociales et économiques.
Les accords de Grenelle en 1968 autorisent les entreprises à négocier des accords plus favorables que leurs branches.
En 1982, le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) voit le jour sous les lois Auroux. Le CHSCT est un comité dédié aux questions d’hygiène, de sécurité, et de conditions de travail des employés. À partir de cette date, les entreprises sont obligées d’ouvrir chaque année des négociations sur les salaires, la durée, et l’organisation du travail. Il s’agit des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO).
En 2017, les Ordonnances Macron ont permis la fusion des Instances de représentation du personnel, le Comité d’Entreprise (CE) (sujets économiques et sociaux), le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) et l’instance des Déléguées du Personnel (DP), en un seul organe pour devenir le Comité Social et Économique (CSE). Le CSE devient une obligation dans toutes les entreprises françaises de plus de onze salariés à partir de mai 2018.
Le dialogue social en France, important en principe, mais figé en pratique
Le Comité Social et Économique dote les employés de l’entreprise d’un dispositif inédit pour initier et accomplir des négociations collectives et constructives avec les employeurs. Par définition, la négociation est un processus qui se traduit par la confrontation d'intérêts matériels ou quantifiables incompatibles entre parties prenantes et, pour que la négociation aboutisse, les différents interlocuteurs doivent coopérer, ce qui conduit généralement à un accord gagnant-gagnant. En revanche, si la négociation se déroule en mode compétitif ou distributif, l'accord risque d'être gagnant-perdant et instable, voire perdant-perdant.
La négociation collective au niveau des entreprises représente un dispositif important pour maintenir la relation professionnelle entre employeurs et salariés par l’intermédiaire éventuel des représentants et dans le cadre des accords d’entreprise. Quelques exemples permettent d’illustrer la pertinence de ce dispositif lorsqu’il est employé avec discernement. Lors de la pandémie de Covid-19, par exemple, la négociation collective a joué un rôle important pour protéger les travailleurs et soutenir la continuité de l’activité économique, en adoptant les mesures sanitaires, en renforçant la sécurité et la santé au travail ainsi qu’en facilitant la gestion des arrêts maladie et des prestations de soins. Un autre exemple intéressant à citer est celui du télétravail : plusieurs entreprises ont été ouvertes à la négociation afin de protéger les salariés lors de cette pandémie et indirectement de permettre un avenir plus numérique.
Au niveau sociétal, il est intéressant de citer l’exemple de la difficulté à construire un dialogue social entre le gouvernement et une partie de la population française, avec le mouvement dit "des gilets jaunes". Ce mouvement a échappé aux syndicats, tout comme celui de Mai 68 (révolte étudiante). Apparu en France en octobre 2018, il a remis en cause la politique fiscale, l'augmentation du prix des carburants, et a milité pour l'amélioration du niveau de vie des classes populaires et pour la justice sociale. Face à l'ampleur de ce mouvement, le gouvernement a renoncé à la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Le Président de la République française a annoncé, ensuite, la proposition de mesures qui seront adoptées dans une loi portant sur l'urgence économique et sociale, le lancement d’un grand débat national, à l'issue duquel, des baisses d'impôts pour les classes moyennes et une réindexation des petites retraites ont été proposées.
Néanmoins, selon la Commission des affaires sociales du Sénat, dans son rapport d’information sur le bilan des réformes en matière de dialogue social, "le dialogue social en France est important en principe, mais figé en pratique".
Une étude intitulée "Évolution du dialogue Social en France" de Sciences Po Cevipof Ipsos, réalisée en juin 2019 [3], sur 1523 personnes majeures, représentant un échantillon national représentatif de la population française salariée, nous éclaire sur ce que pensent les salariés du dialogue social.
À la question "sur un plan général, diriez-vous qu’en France, le dialogue social fonctionne très bien, assez bien, pas très bien ou pas bien du tout ?", plus des deux tiers des cadres et des non-cadres répondent "pas bien".
À la question "pour défendre vos intérêts en tant que salarié, vous avez tout à fait confiance, un peu confiance, pas beaucoup confiance ou pas du tout confiance dans les pratiques suivantes" :
- se coordonner avec les collègues de travail partageant les mêmes préoccupations : 29 % des personnes interrogées n’ont pas confiance ;
- iscuter individuellement avec la hiérarchie : 37 % n’ont pas confiance ;
- s’adresser aux élus du personnel : 41 % n’ont pas confiance.
Pourquoi le dialogue social en France est sclérosé ?
Un des principaux facteurs explicatifs des limites du dialogue social en France réside dans la faiblesse des syndicats. Pour preuve, la France se caractérise par un faible taux de syndicalisation, aux alentours de 10 % (déclaré) en 2019 (vs 30 % en 1949) [4], soit un taux nettement inférieur à celui de la plupart des pays de l’OCDE. Il est à noter un taux de syndicalisation très faible, avec moins de 3 % en 2019, chez les moins de 30 ans. Selon les chiffres du Ministère du Travail [5], moins d’un salarié sur deux a participé au vote de ses représentants syndicaux. La fragmentation du paysage syndical constitue aussi une autre faiblesse qui impute le pouvoir de négociation des travailleurs. De plus, selon le 12ème baromètre sur les discriminations au travail [6], près d'une personne sur deux se dit discriminée au cours de sa carrière professionnelle en France en raison de son engagement syndical, un autre point de vue pour expliquer le faible taux de syndicalisation en France.
La France se distingue également par un modèle conflictuel de relations sociales qui rend difficile l’atteinte de compromis, le recours à la grève apparaît souvent comme une modalité normale du dialogue social. La faiblesse du dialogue social ne peut être imputée aux seuls syndicats de salariés. En effet, le dialogue social peut être vu comme une contrainte et les représentants des salariés comme des adversaires et non pas comme des parties prenantes. Il en résulte un dialogue social formel dans lequel ces entreprises se contentent de remplir leurs obligations sans réellement rentrer dans une démarche constructive de négociation.
La formation insuffisante des acteurs au dialogue social, à la négociation collective, au syndicalisme ou plus largement au rapport au travail (droits et devoirs), impacte l’appropriation du dialogue social de la part des acteurs, ce déficit commence dès la formation initiale, notamment celle des futurs dirigeants.
Nos conclusions
L’individualisme, par opposition au collectif, prend une place importante aujourd’hui dans l’échec du dialogue social en entreprise. Les nouvelles mutations technologiques avec la mise en place du télétravail et le management en distanciel ont bousculé l’organisation du travail et a impacté les relations en entreprise comme en société. L’individualisation du salarié, par la fixation des objectifs individuels qui peuvent être décorrélés des objectifs collectifs de l’entreprise.
En plus de la décroissance du rôle de conseil du syndicat, la perte de confiance généralisée, tous ces facteurs nuisent, selon nous, au dialogue social.
Par effet cumulatif, cela conduit à des situations tendues qui auraient pu être évitées par un dialogue constructif et responsable en amont. La divergence des intérêts et un retour à une culture post-tayloriste, financière, où le salarié peut redevenir un moyen de production avec une intelligence amoindrie et donc une création de valeur diminuée.
De ce fait, le problème est que l’ensemble des parties prenantes (salariés ou employeurs) peuvent se sentir moins concernées par le collectif. L’employeur intégrant le salarié dans une équation économique basée sur la rentabilité financière, sans prendre complètement en considération les attentes d’évolution du salarié.
Le salarié réagit à ce conformisme par la création de nouvelles opportunités. Pour cela, nous constatons une augmentation significative de créations d’entreprises individuelles, en auto-entreprise ou en portage salarial, privilégiant toujours et de plus en plus, l’intérêt personnel à l’intérêt collectif en entreprise, voire plus largement en société.
Néanmoins, il faut sortir de ces caricatures, la plupart des grandes entreprises françaises ont des politiques sociales très avancées et les start-up des possibilités de discussions et de réflexions facilitées.
Nous partageons donc ici quelques pistes de réflexion qui pourront s’apparenter à du bon sens. Tout d’abord, pourquoi ne pas rétablir la relation de confiance entre l’employeur et l’employé, en redonnant une âme à la relation professionnelle. Comprendre les jeunes employés, leurs attentes, leurs besoins de mobilités et de dynamisme. Offrir un cadre de travail serein aux salariés afin qu’ils accomplissent leurs missions dans les meilleures conditions nous semble aussi important. Enfin, s’adapter aux besoins des seniors, les valoriser, les accompagner dans la transmission de leurs savoirs (mémoire) et leur offrir la possibilité de compagnonner les jeunes. En contrepartie, loyauté et sincérité doivent être repartagées.
Tout le monde doit remettre en cause ses postures, revoir l’image du syndicalisme, travailler à recréer un environnement de travail et de négociation constructive avec les syndicats, acculturer les salariés et surtout les managers à la mission syndicale, aux rôles et responsabilités du comité social et économique, former les parties prenantes au dialogue social, à la responsabilité sociétale des entreprises et aux dispositifs de négociations collectives.
Innover et imaginer de nouvelles approches dans la relation entre le patronat et les syndicats, faire plancher les parties prenantes pour imaginer leurs relations pour les années à venir, s’inspirer de modèles constructifs existants, émergents ou en créer un spécifique au contexte et à la culture de la France.
Associer les salariés dans les décisions importantes et les orientations stratégiques de leurs entreprises, en les associant aux conseils d’administration et à l’actionnariat de façon beaucoup plus forte. Cela éviterait probablement des mesures brutales, notamment dictées par des fonds de pension étrangers. Mesurer régulièrement, par des organismes indépendants, la pression au sein de l’entreprise et surtout mener jusqu’au bout les actions issues du baromètre social.
L’avenir du dialogue social en entreprise dépend de l’attitude des parties prenantes et de leurs vrais engagements pour évoluer de l’individuel vers le collectif, rechercher un intérêt commun aidera l’entreprise française à aller de l’avant.
Lionel Faure et Youness Laamiri
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[1] Rapport de l’organisation internationale du Travail sur l’emploi et les questions sociales dans le monde – tendances 2022 : LIEN
[2] AlterNego "La frise chronologique du Dialogue Social" par Anaïs Koopman : LIEN
[3] Rapport d’étude de Sciences Po Cevipof Ipsos par Martial Foucault sur l’évolution du dialogue social en France, juin 2019 : LIEN
[4] Chiffres clés sur la syndicalisation en France par la DARES (Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques), décembre 2021 : LIEN
[5] Présentation de la mesure d’audience syndicale au niveau national et interprofessionnel, Ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion Haut Conseil du Dialogue Social, 26 mai 2021 : LIEN
[6] Rapport du 12ème baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, éd. consacrée aux discriminations syndicales, Défenseur des droits, septembre 2019 : LIEN
26/03/2023