Les discours et improvisations du Président de la République

25/10/2020 - 6 min. de lecture

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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été Directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire, puis Directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures, notamment à Sarajevo comme Commandant en second des forces multinationales.

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Les discours et improvisations du PR

 

Au Palais ou à l’extérieur de l’Élysée, le PR prononçait environ trois discours par semaine, qui n’étaient naturellement ni de la même importance, ni du même intérêt.

La préparation des discours relevait de l’office de la « plume » du Président, personne de grande culture qui travaillait dans un bureau discret du Palais. Peu connue parmi les conseillers, elle passait de longues heures à réfléchir, lire, consulter et rédiger avant de présenter un « papier » qui se devait d’être fidèle aux idées et au style du Président.

Elle n’était pas la seule à l’œuvre. Souvent, les papiers circulaient entre les conseillers spécialisés du PR qui étaient sollicités pour rédiger la partie du texte qui les concernait. Il revenait en dernier lieu à la « plume » d’assurer la cohérence de l’ensemble et l’unité de style, puis de soumettre les projets de discours finalisés au PR, lequel tenait à ce qu’ils lui soient présentés au plus tard 48 heures avant l’événement.

Celui-ci, selon le sujet et son intérêt politique, pouvait les accepter tels quels, sans les retoucher, ou les retravailler avec sa plume ou certains de ses collaborateurs du premier cercle.

Ainsi, à l’occasion du discours traditionnel devant l’Assemblée générale des Nations Unies, à New York, la veille de cet événement, une grande partie de la nuit fut consacrée aux dernières corrections du discours du lendemain avec ses collaborateurs les plus proches.

À l’hôtel, dans sa suite présidentielle, le PR, entouré de ses conseillers, était assis à sa table de travail et rédigeait les passages qui lui paraissaient devoir être l’objet du plus grand soin. Les conseillers osaient parfois quelques propositions de mots, mais elles rencontraient très souvent l’indifférence et le silence du PR. Au mieux, pour les propositions les plus courageuses, il acquiesçait d’un hochement de tête impersonnel et évasif. La nuit passa ainsi, avec un PR griffonnant imperturbablement les feuilles de son discours, sans prêter attention aux bafouilles de ses conseillers qui se débattaient parmi les mots et, pour certains, le besoin incontrôlable de briller.

Les séances de correction pouvaient durer plusieurs heures. Il arrivait même que le PR demanda qu’un exemplaire de son discours soit placé près de son lit et l’on retrouvait cet exemplaire, le lendemain au réveil, raturé de corrections et attendant d’être remis en forme. Une communication écrite ou un discours, surtout lorsqu’ils engagent un pays, sont le fruit d’une pensée en mouvement, de confrontations avec les autres mais aussi avec soi-même. Et même après ce travail de relecture, il arrivait fréquemment que le PR apporte des corrections à son texte jusqu’au tout dernier moment, par exemple lors de son déplacement en voiture ou même quelques minutes avant d’entrer en tribune. Ces corrections à l’encre bleue de son stylo donnaient une touche plus humaine à son discours, moins bureaucratique.

Si la plupart des discours étaient préparés dans le détail, certains étaient improvisés, mais ces improvisations pouvaient être feintes.

Il est ainsi arrivé à son aide camp de lui présenter un discours sur papier qu’il refusait d’un geste théâtral, en s’exclamant : « On m’a préparé un discours, je ne vais pas vous le lire ! Je vais vous dire le fond de ma pensée !!! » Alors, pendant trente à quarante minutes, le PR donnait l’illusion qu’il était en pleine improvisation mais, en réalité, il reprenait de mémoire le discours qui avait été rédigé, en y mêlant des phrases de son cru. Son geste théâtral rejetant le texte qui lui avait été préparé mettait cependant très mal à l’aise sa « plume » qui vivait la situation comme un véritable désaveu de son action. Vexée, la plume présenta sa démission au PR. Elle fut néanmoins rassurée sur son rôle indispensable par celui-ci qui lui indiqua, avec une certaine malice, qu’il se devait, parfois, d’adopter une certaine posture.

L’improvisation du PR n’était pas toujours que théâtrale. Il arrivait qu’elle lui permette de réagir aux événements du moment de façon spontanée et selon son sentiment immédiat.

Il en fut ainsi notamment lors d’une séance mémorable de la cérémonie des vœux du Nouvel An. Celle-ci était l’occasion de séances multiples au cours desquelles toutes les représentations nationales et internationales de la société étaient conviées. Chaque séance comportait une intervention d’une autorité représentative qui présentait ses vœux et auxquels le PR prenait soin de répondre. Or, à l’occasion de l’une de ces séances, celle du corps diplomatique, le service du Protocole de l’Élysée m’informa que, par mégarde, l’Ambassade d’un pays du Moyen-Orient, avec lequel la France avait rompu ses relations diplomatiques, avait été invitée.

Le Chargé d’affaires de cette Ambassade avait profité de cette erreur pour, invitation en main, franchir tous les filtres et se placer dans les tout premiers rangs, où il affichait une mine satisfaite. Le Protocole, averti de sa présence et inquiet d’un possible scandale, n’osait pas lui demander de sortir, sachant qu’une telle tentative serait vouée à l’échec tant son attitude était empreinte d’arrogance. Le Chef du Protocole, qui s’effrayait de la situation et voyait son avenir mis en jeu, ne vit d’autre issue que de me demander d’alerter le PR de son erreur. Je lui en fis donc part dans l’ascenseur qui mène à la salle des fêtes. Celui-ci fut un peu surpris, mais ne fit aucun commentaire. Cependant, après le prononcé des vœux du corps diplomatique et alors que je m’apprêtais à lui présenter le texte préparé de sa réponse, il me fit un geste marqué de refus, puis s’approcha du micro et prit la parole, sans le support d’aucun texte. Alors, durant près de 30 minutes, et sans jeter un seul regard sur le Chargé d’affaires, qui pourtant ne cessait de s’agiter pour lui signifier sa présence, le PR asséna un discours virulent et sévère, dans lequel il rappela toutes les valeurs de la démocratie et de notre République que le pays en cause, sans le nommer, avait bafoué et qui avait justifié la rupture de nos relations diplomatiques. Désemparé, le Chargé d’affaires, qui ne s’attendait pas à une telle mise en cause, perdit de sa superbe, se fit de plus en plus discret, de plus en plus petit, au point de s’évaporer tout bonnement dès la fin du discours. Personne ne le vit en effet partir.

Après la cérémonie, alors que je l’accompagnais jusqu’à son bureau, le PR se tourna vers moi : « Vous voyez Colonel, comment il faut traiter les pays qui ne respectent pas nos valeurs démocratiques. Vous ferez quand même les observations qui s’imposent au service du Protocole ! »

En entrant dans le bureau, je m’aventurai à lui demander le secret de ses interventions improvisées : « Colonel, mon âge m’a permis depuis plus de cinquante ans de travailler, réfléchir, lire, écrire, écouter, échanger sur tous les sujets de la vie politique et autre. Mes réflexions sont présentes en permanence dans ma mémoire et améliorées au fil des jours. Quand l’occasion se présente, comme aujourd’hui, je n’ai pas besoin de faire appel à une nouvelle réflexion : elle existe et elle est à jour ! Il me reste à organiser ma pensée pendant le discours d’accueil et d’introduction et de délivrer mes réflexions dans un style adapté aux circonstances. Voilà Colonel, vous savez tout ! Vous verrez, vous y arriverez aussi quand vous aurez mené votre réflexion sur tous les domaines de la vie. Bonne soirée, Colonel. »

Au sortir du bureau, j’étais impressionné par cette capacité du président à puiser dans sa riche expérience et dans sa vaste culture pour y trouver la ressource lui permettant de faire face à tout imprévu. J’avais reçu une de ces leçons de vie qui vous sont utiles pour le reste de vos jours.

 

Général (2s) Jean-Pierre Meyer

25/10/2020

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