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Emmanuel Bloch est Maitre de conférence associé à l’Institut Français de Presse, Université de Panthéon-Assas (Paris 2).
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Ces dernières années, les "phobies" se sont multipliées. Cette utilisation de plus en plus commune du suffixe grec "phobos", qui fait référence à une peur démesurée, incontrôlable, n’est pas sans conséquence sur l’évolution de notre société.
Ces nouvelles "phobies", pour la plupart des néologismes, témoignent avant tout d’une approche idéologique et activiste d’une cause spécifique. À travers l’ajout de ce suffixe, il s’agit bien de disqualifier la pensée "contraire", de la délégitimer. Car c’est bien connu, celui qui a peur, qui possède ainsi une phobie, ne se contrôle pas. Nous ne sommes plus dans le rationnel, mais dans l’émotionnel non justifié, voire le pathologique.
Issu de l’univers de la psychologie et de la psychanalyse, cette "phobie" médicalise alors l’opposant : c’est une personne malade. En effet, comment peut-on ne pas partager ce point de vue à moins d’être fou ? C’est ce raisonnement qui amena, aux grandes heures totalitaires de l’URSS, à enfermer dans des hôpitaux psychiatriques les opposants au "paradis socialiste", car seuls ceux qui n’avaient pas toute leur raison critiquaient à l’époque le régime. Cette "phobie" généralisée porte ainsi en elle les germes du totalitarisme.
Le choix de cette référence à la peur incontrôlée, vise également, à retourner la perception du danger. Il s’agit alors démontrer que la peur a "changé de camp". Ce n’est pas l’homosexuel, le musulman, la personne un peu ronde qui doit avoir peur du regard ou du rejet des autres, mais bien celui qui les rejette qui, en réalité, est effrayé. Bref, il s’agit de disqualifier un rejet perçu ou réel et de le retourner vers son auteur présumé.
C’est avant tout une approche de confrontation, de combat qui ne tolère aucun échange, aucune discussion. Comment discuter avec quelqu’un qui a une peur incontrôlable ? Elle disqualifie de facto l’opposant. Comme le souligne très justement le caricaturiste Xavier Gorce[1], il s’agit de mettre en œuvre le paradigme militant qui fait un ennemi de toute personne qui ne soutient pas la cause. Il n’y a plus de neutre et toute remise en cause des valeurs promues devient preuve de l’immoralité de l’adversaire, voire de son ignominie (pas de liberté pour les ennemis de la liberté !).
En fermant ainsi par le recours à la "phobie" tout espace de discussion, il s’agit de bien refuser toute confrontation avec des idées ou des points de vue différents. Certes, il y a évidemment des comportements discriminatoires intolérables, quand ils ne sont pas illégaux tout simplement. Mais il y une nuance très importante entre émettre une opinion critique sur une religion, ne pas être en accord avec des revendications sociétales, ne pas adhérer à des théories sociologiques et être raciste, antisémite ou mettre en œuvre une politique de discrimination systématique liée à des préférences sexuelles supposées ou à une apparence physique.
Or, c’est cette nuance que les promoteurs de la phobie veulent détruire. Parce que dans toute discussion, dans tout échange raisonné, il y a le risque d’être confronté avec des idées différentes et, qui sait, peut-être même pertinentes ou compréhensibles (à défaut d’être convaincantes). Et ça c’est insupportable, intolérable même, tant la cause est "sacrée".
L’utilisation croissante de suffixe de "phobie" participe ainsi à hystériser des relations sociales où la nuance n’existe plus, ni d’ailleurs le respect de pensées différentes. La vision universaliste du monde défendue par Les Lumières s’éteint alors petit à petit devant un sentiment de peur généralisée…
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[1] Xavier Gorce, Raison et dérision, Tracts Gallimard, mai 2021.
12/10/2021