Réforme de notre système de santé : une urgence vitale

14/10/2022 - 9 min. de lecture

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Laurent Balabaud est Chirurgien orthopédiste, spécialiste en chirurgie du rachis & Expert à la Commission européenne.

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Chacun s’accorde à reconnaître que notre système de santé vit actuellement une situation sans précédent. La pandémie a servi de formidable catalyseur à un processus qui s’était lentement mais déjà fortement dégradé au cours des dernières années, fruit d’une gestion défaillante d’un système fondé sur des valeurs humanistes, mais à une époque au cours de laquelle les paramètres économiques, démographiques et sociétaux étaient tout autres.

À l’orée de la pandémie, le système de soin fonctionnait en grande partie grâce à la bonne volonté d’un personnel soignant le plus souvent dévoué et conscient de sa mission. C’est d’ailleurs, ce même personnel, dans de nouveaux efforts, plus autonome vis-à-vis de son administration, mais toujours animé par la même abnégation, qui a permis de maintenir le navire à flot face aux vagues successives de la pandémie. Mais, c’en était peut-être trop pour certains, qui ont démissionné quand la situation s’est stabilisée. Ce mouvement démissionnaire, non limité au secteur de la santé, mais propre au monde occidental, a souligné et majoré les carences et les insuffisances d’un système à bout de souffle.

Depuis, nous ne passons pas une semaine sans un discours politique aussi insipide qu’arbitraire dans ses dispositions, sans qu’un "acteur" du monde de la santé au sens large énumère leurs solutions immédiates qui révolutionneraient notre système. Pourtant, ces solutions semblent évoluer dans un espace très restreint et dans un futur aussi lointain qu’hypothétique, puisqu’elles nécessitent de résoudre des équations dont les inconnues et paramètres sont d’ordre humains et financiers. Tous les autres facteurs sont à la marge et dépendent directement ou indirectement de ces derniers.  

 

De nouveaux impératifs économiques

Alors que nous abordons une phase de grande turbulence économique, aux composantes multiples et à l’évolution non maîtrisable, l’aspect financier constitue dès à présent un point critique, puisque la maîtrise des dépenses de santé n’est pas effective. Tout laisse à penser que la dégradation des conditions économiques conduira à limiter plus encore les dépenses de santé. De plus, la majoration du coût de l’énergie et, d’une façon plus générale, l’inflation vont compliquer un peu plus la gestion des établissements de santé qui étaient déjà, pour un grand nombre d’entre eux, dans des situations financières défavorables. Cela devrait conduire à une refonte profonde des priorités et des objectifs de dépenses de santé, accélérant ainsi une réflexion qui s’imposait compte tenu de la situation paradoxale de ces dépenses.

En effet, ce n’est pas que la France dépense moins que les autres nations. Bien au contraire, la dépense courante de santé en France représentait avant la pandémie 11,3 % du PIB, ce qui la situait en quatrième position dans le monde, derrière les États-Unis, la Suisse et l’Allemagne, et bien au-dessus des États membres de l’Union européenne (9,9 %). Le réel problème réside dans la répétition de choix inadéquats dans la gestion et la répartition des dépenses, conduisant à un système de soins non efficient - alors qu’il s’agissait de l’objectif essentiel - et humainement déficient pour les soignants, puisque réalisée à leur détriment. À cet égard, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour l’année 2023 cumule les mêmes tares avec pour point d’orgue la création d’une quatrième année d’internat de médecine générale dans les territoires les plus touchés par la raréfaction médicale. Dans un univers où l’humain-patient est au centre des attentions, dans une approche quasi exclusive, on a oublié l’humain-soignant.

 

Une incroyable gestion de la démographie médicale

Le mépris de l’humain-soignant est remarquablement illustré par la gestion de la démographie médicale. La stratégie simpliste fondée sur un principe économique élémentaire, consistant à diminuer l’offre, en réduisant drastiquement le numerus clausus des médecins formés, afin de réduire la consommation de soins, était une aberration tant démographique qu’humaine. Démographique, puisque cela ne tenait pas compte de facteurs aussi évidents que le remplacement futur des médecins de la génération des baby-boomers, et l’accroissement et le vieillissement de la population. Humaine, facteur souvent moins souligné, puisque des vocations ont été sacrifiées et une génération d’internes a été soumise à des horaires insensés dans une indifférence générale. On reste stupéfait, non pas seulement par l’inanité de cette mesure, mais également par sa prolongation dans le temps.

Inutile de rappeler la durée de formation des médecins pour appréhender la difficulté de résoudre ce problème démographique à court terme, à moins de proposer des solutions dégradées pour lesquelles de nombreux chantres s’en font les avocats iniques, oubliant de rappeler que l’un des attraits essentiels du système de santé français résidait dans la qualité de formation et d’exercice de ses praticiens.

Enfin, après avoir savamment organisé la pénurie, nos représentants tentent d’y remédier par la contrainte inappropriée, telle que les dispositions de la loi Rist du 26 avril 2021 visant à plafonner le salaire des intérimaires. Dans une économie de marché, nous sommes soumis à la règle de l’offre et de la demande, et donc l’ajustement des salaires est fonction de celle-ci. En pratique, la loi est globalement inapplicable dans les spécialités les plus tendues telles que la médecine d’urgence et l’anesthésie-réanimation. De fait, les établissements de santé publics ont le choix entre fermer un service ou ne pas appliquer la loi.

 

La détérioration des relations patient-soignant

En outre, cette stratégie de réduction de l’offre était d’autant plus erronée que, dans le même temps, les dispositions successives renforçaient les apparences illusoires d’une gratuité du système, favorisant ainsi la consommation de soins et son corollaire, une déresponsabilisation des consommateurs de soins, à savoir les patients. Car ne nous y trompons pas, toutes ces politiques aux intentions humanistes n’ont fait qu’accentuer un rapport aux soins considéré comme un service banal et obligatoirement dû, prestataires de services / consommateurs de soins. Cette transformation des relations patient-soignant n’est certes pas généralisée au sein de la société, mais sa proportion est devenue suffisamment significative pour être à l’origine d’un certain malaise chez les soignants. Son illustration la plus récente se rencontre dans l’utilisation de plateforme de rendez-vous, qui ne sont pas forcément honorés et non excusés. La relation patient-soignant doit retrouver un juste équilibre entre des soins attentionnés, mêlant empathie et qualité, et un respect, pour ceux qui les réalisent, fondé sur des valeurs morales, mais aussi souligné par leur juste valorisation. Cette modification de la relation patient-soignant, conséquence tant d’une vision économique que pseudo-humaniste, doit impérativement et durablement être rééquilibrée.

 

Un mode de gestion des établissements de santé inapproprié 

Le malaise du personnel soignant s’est également renforcé par le mode de gestion des établissements de santé, imposé directement ou indirectement par les autorités de tutelles. Au cours des trente dernières années, il est apparu légitime, dans une démarche de gestion industrielle, d’évaluer, puis de contrôler les producteurs de soins afin d’en tirer des données essentiellement quantitatives permettant théoriquement de rationaliser les activités des établissements de santé. De façon remarquable, tandis que ses paramètres d’évaluation étaient la base de justification de modifications des activités médicales et paramédicales, les établissements de santé ne mettaient en place que très rarement les outils habituels de gestion d’une entreprise standard, en particulier une comptabilité analytique. Ainsi, rares sont les établissements de santé capables de fournir le coût et la marge d’une intervention chirurgicale ou d’une activité médicale. Dans une approche théorique de discussion ouverte, la démarche de gestion industrielle, bien que critiquable, apparaît donc incohérente dans sa mise en œuvre. Démarche critiquable, puisque cette rationalisation des soins est en grande partie inappropriée en raison, d’une part, d’impondérables quotidiens plus fréquents que dans les autres secteurs d’activité, conséquence de la variabilité des facteurs humains tant patients que soignants. Cependant, la volonté d’économiser à tout prix en méconnaissant les coûts véritables a été généralisée, avec à la clef des actions souvent inadaptées, menées sans concertation et donc incomprises, donnant au personnel soignant la désagréable impression d’être devenu des unités de production de soins, dont l’activité était dictée par un management déconnecté des réalités pratiques, renforçant un sentiment de déshumanisation dans des métiers où les valeurs humaines sont les fondements des vocations et des motivations.    

 

Des mutations sociétales

La pensée dominante des acteurs dirigeants de la santé repose sur une acceptation sacrificielle de conditions progressivement dégradées par un personnel éternellement dévoué. Ce principe de management des personnels soignants, ancien et quasi culturel, fondé sur un enseignement médical et paramédical culpabilisant, a longtemps fait fi des changements sociétaux. L’électrochoc de la pandémie a accéléré un début de prise de conscience. En effet, dans un monde où la quête d’un bien-être et d’un épanouissement personnel est érigée comme vertu identitaire et fédérative, la comparaison des conditions de travail et de rémunération avec les autres secteurs d’activité est vécue très défavorablement par les soignants et tout particulièrement les plus jeunes. "Beaucoup de contraintes sans contreparties". Dans notre monde occidental, le sacrifice personnel et désintéressé au service d’une cause collective ne constitue plus une vertu cardinale, même si une riche communication le prône ; la réalité de terrain en est finalement assez éloignée. L’individualisme du plus grand nombre a rendu inacceptable un dévouement aveugle à une cause collective qui n’est plus comprise. Cette mutation sociétale est certainement la plus inquiétante en termes de ressources humaines dans un futur proche.

 

Le mirage du tout technologique

Face à ces défis, à l’instar de la gestion de la pandémie, les acteurs influents du monde de la santé communiquent abondamment sur le renforcement et la généralisation des solutions technologiques, IT, IA, robots, etc., donnant parfois l’impression que ces solutions résoudraient l’ensemble de nos insuffisances. Si celles-ci semblent répondre à une partie des problématiques, elles en soulèvent d’autres.

Contrairement aux idées reçues, l’accroissement des dépenses de santé au cours des dernières décennies est peu en rapport avec le vieillissement de la population, mais avec l’inflation du coût des technologies. Dans un univers contraint et concurrentiel, les facteurs tels que la sophistication toujours plus importante et donc l’inflation du coût de ces technologies, le matériel nécessaire à leur fonctionnement (consommables pour les dispositifs médicaux) et la maintenance pèsent d’une façon considérable sur l’ensemble de la chaîne de soins. Après validation de la pertinence réelle de ces solutions, la poursuite, voire l’accélération d’une course technologique en santé, ne peut s’envisager que si le coût de ces technologies diminue et, si et seulement si, notre accroissement des richesses se poursuit. Le contexte économique ne nous encourage pas à le penser à court terme.

 

Si les principaux facteurs à l’origine de la situation actuelle ne permettent pas d’envisager une amélioration à court terme du système de santé français, une réforme profonde doit être débutée de façon urgente afin d’arrêter l’hémorragie tant humaine que financière.

Privilégier les fondamentaux de nos actions de santé et donc mener une refonte hiérarchisée des priorités et des objectifs des dépenses de santé.

Rééquilibrer la relation patient-soignant, en redonnant une attractivité aux professions de soignant par la revalorisation des savoirs, la reconnaissance des efforts individuels dans l’intérêt collectif, et l’implication dans les processus décisionnels.

Favoriser l’innovation technologique pertinente et économiquement réalisable.

Ces actions devraient constituer la feuille de route d’une réforme efficiente et pragmatique pour notre système de santé.

Laurent Balabaud

14/10/2022

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