Revoir les mécanismes de financement de l’innovation : un changement nécessaire
15/04/2024 - 6 min. de lecture
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Philippe Mourouga est VP International Partner Markets, Biogen Intercontinental Region.
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Revoir les mécanismes de financement de l’innovation : un changement nécessaire
Depuis toujours, les investisseurs ont soutenu la recherche biomédicale. Ceci explique en grande partie les succès rencontrés dans le développement d’innovations médicales au cours des dernières décennies. Un modèle efficace fut mis en place : la recherche publique s’assure de la recherche en amont (tout en bénéficiant d’une aide privée variable) et les financeurs privés au travers des entreprises pharmaceutiques financent le développement des médicaments dérivés de cette recherche publique (tout en assurant un retour financier aux chercheurs par le biais des brevets). Le partenariat pour le développement du vaccin contre le Covid 19 entre les gouvernements et les entreprises pharmaceutiques fut plus un accélérateur permettant de finaliser le développement des vaccins et non une exception à ce modèle de partenariat entre le secteur public, l’industrie pharmaceutique et les investisseurs privés. Il a certainement ouvert de nouvelles voies, mais n'a pas changé les bases du financement de l'innovation.
Sans capital, les idées novatrices ne resteront que des idées. Avant d'entamer le développement d'un médicament, des capitaux sont nécessaires pour obtenir des résultats significatifs dans les premières phases de développement, qui attireront ensuite de nouveaux investissements pour poursuivre le développement du médicament à grande échelle (encore appelé phase 3), susceptibles de déboucher sur une mise sur le marché. L'une des caractéristiques du développement de médicaments est d’attirer des investisseurs à l'aise avec le profil de risque plus élevé de ce type d'investissement dans l’espoir de gains élevés. Dans le domaine du cancer et des maladies rares, le passage d'un candidat-médicament prometteur à sa mise sur le marché est estimé à 2,6 milliards de dollars en 2019, avec une probabilité de succès d'un peu plus d'un sur vingt-cinq au cours des dernières années et un minimum de dix ans avant d'arriver sur le marché. Un exemple frappant de la résilience nécessaire au développement de médicaments peut être trouvé dans la maladie d'Alzheimer: Depuis 1995, les dépenses privées cumulées en R&D clinique concernant la maladie d'Alzheimer ont été estimées à 42,5 milliards de dollars, les coûts les plus importants (57 %, 24 milliards de dollars) étant encourus pendant la phase 3 ; environ 184 000 participants ont été enregistrés dans des essais cliniques avant la mise au point du premier médicament modifiant l’évolution de la maladie en 2020. Ces exemples illustrent bien combien le financement de la recherche depuis le stade précoce jusqu'au développement clinique final (essais cliniques à grande échelle) et à la mise sur le marché est un investissement extrêmement risqué. Ces dernières années, des travaux ont été mené pour concevoir des instruments financiers susceptibles de résoudre ce problème : le "mégafonds pour les maladies rares" est une de ces idées. De même, le financement de projets de longue haleine tels que le développement de médicaments contre le cancer ou la maladie d'Alzheimer dans le cadre de financements à risque mutualisé, est un autre exemple de développement dont l'ampleur, la durée et la faible probabilité de succès entraînent un manque d’appétit des investisseurs à assumer les risques associés. Ces projets sont donc très difficiles à financer, et les nouveaux mécanismes financiers proposés ont pour but de surmonter les réticences des investisseurs. Ces mécanismes ont l'ambition d'aider les investisseurs institutionnels conventionnels à envisager la valeur sociale de tels investissements dont la valeur à moyen terme est bien supérieure à leur rendement financier immédiat. En réduisant le coût du capital par le biais du financement par l'emprunt, en réduisant par conséquent le coût du développement des médicaments et, en fin de compte, en réduisant le coût des médicaments, on peut espérer que l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, du chercheur au payeur en passant par l’investisseur, obtiendront le bénéfice escompté par la mise à disposition du médicament.
On pourrait imaginer que l'industrie pharmaceutique, dont la mission est de développer des médicaments innovants, devrait attirer les investisseurs acceptant le risque inhérent à ce type d’investissement et non pas des investisseurs à la recherche d’investissement sûr et facile. Toutefois, depuis quelques années certaines grandes sociétés pharmaceutiques affichent un profil de rendement "obligataire" avec peu d'innovations mises sur le marché, mais des tactiques commerciales très efficaces telles que l'augmentation des prix quand et où c'est possible générant ainsi des profits élevés. En dehors des Etats-Unis et maintenant aux Etats-Unis, le concept selon lequel les contrôles de prix améliorent le bien-être social et devraient éclipser les considérations commerciales, conduisant à un processus plus inclusif et humaniste de détermination des prix, devient le concept dominant. Toutefois, cela ne devrait pas empêcher l'industrie d‘obtenir des prix élevés pour les médicaments innovants. La question du prix "juste" est au cœur de ce débat, mais toutes les acteurs s'accordent à dire que ce prix doit permettre à la fois d'investir dans la recherche pour développer des innovations de pointe et assurer un retour sur investissement adéquat pour les actionnaires.
Un autre problème est lié au modèle commercial qui soutient cette croissance : les ventes soutiennent le réinvestissement dans la recherche et le développement. Mais comment une entreprise pharmaceutique peut-elle soutenir la croissance de ses ventes ? Le modèle pharmaceutique suit-il un modèle basé sur le modèle de l’industrie de grande consommation et, en tant que tel, un modèle pour lequel les ventes sont stimulées par la promotion ? En effet, la promotion des médicaments joue un rôle clé dans l'optimisation des ventes et l'industrie pharmaceutique a fait l'objet de nombreuses critiques pour ses pratiques promotionnelles. L'Organisation Mondiale de la Santé définit la promotion des médicaments comme suit : "toutes les activités d'information et de persuasion des fabricants et des distributeurs qui ont pour effet d'influencer la prescription, la fourniture, l'achat ou l'utilisation de médicaments".
Cette définition est large et peu inclure de nombreuses activités dont la finalité peut être discutée. Deux approches vertueuses : la sensibilisation des professionnels de santé à l’innovation et l'actualisation de leurs connaissances sur les avancées récentes en matière de traitement font partie des moyens permettant une appropriation de l’innovation médicale par le système de santé. Cependant, de nombreux acteurs se sont inquiétés d’une promotion des médicaments ayant progressivement évolué pour englober des stratégies de marketing agressives et des pratiques commerciales et scientifiques parfois discutables, où la nécessité de faire des bénéfices éclipse le souci de donner accès à l’innovation médicale. Cette évolution est en grande partie responsable de la mauvaise réputation de l'industrie pharmaceutique au cours des dernières années. Cette période est maintenant révolue et il a été clairement compris que l'industrie pharmaceutique devra modifier son modèle de promotion en soutenant davantage les programmes de formation médicale gérés par les instituts universitaires, en créant des alliances avec l’ensemble des partenaires potentiels et en comprenant mieux les besoins des gouvernements et des assureurs de santé. Un lien renforcé de nature plus scientifique que commerciale avec le monde médical et les associations de patients contribuera à modifier radicalement le modèle de promotion. Un processus dans lequel l'information est continuellement diffusée dans une série d'interactions dont la finalité n’est pas remise en doute sera la clé permettant de changer la réputation de l'industrie pharmaceutique renouvellant ainsi le contrat moral qui lie l’industrie pharmaceutique à la société. Ce changement de modèle aura un impact direct sur la manière dont les investisseurs pourraient évaluer les principaux groupes pharmaceutiques et les valoriser sur les marchés financiers. Le développement de nouveaux mécanismes de financement, la mise en place d'un système de gestion des risques, une tarification et un comportement commercial adapté aux enjeux de santé permettront aux investisseurs de soutenir les entreprises s’orientant vers un modèle plus soutenable. En valorisant les entreprises réellement innovantes par une évaluation financière de leur performance reflétant cette innovation, il deviendrait possible de diriger les capitaux privés vers les avancées médicales les plus prometteuses.
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Bibliographie
1. Di Masi, Graboswski & Hansen, 2016.
2. "The costs of developing treatments for Alzheimer’s disease : A retrospective exploration", Alzheimer & Dementia, The journal of the Alzheimer’s association.
3. "Bridging the valley of death through financial innovation", témoignage écrit d'Andrew W.Lo, préparé pour la Commission des services financiers de la Chambre des représentants des États-Unis, 11 septembre 2019.
4. "Funding long shots", John Hull, Andrew W. Lo et Roger M.Stein, Journal of Investment Management, Vol. 17, n° 4, 2019, pp. 9-41.
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