Commentaire de l’article 2 de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire

18/01/2022 - 7 min. de lecture

Commentaire de l’article 2 de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire - Cercle K2

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Alain Bollé est Avocat, enseignant & auteur.

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La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire à été publiée au journal officiel le 23 décembre 2021[1]. L’article 2 de cette loi fixe le délai de la durée de l’enquête préliminaire, offre la possibilité d'accès au dossier et permet de formuler des observations. 

Lors d’une enquête pénale, les officiers de police judiciaire peuvent agir dans le cadre d’une enquête préliminaire ou dans celui de la flagrance. Ils peuvent également instiguer sur délégation d’un magistrat instructeur[2]. L’enquête préliminaire se caractérise par la conduite d’investigations plus ou moins complexes, sans limite de temps, pour identifier les auteurs d’une infraction, lorsque les conditions du flagrant délit ne sont pas ou plus réunies. La majorité des affaires pénales sont traitées sous la forme de l’enquête préliminaire. En 2019, le nombre d’affaires pénales nouvelles était de 4 496 208, alors que l’ouverture d’instruction préparatoire n’était que de 17 833 affaires[3].

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2021, la victime ou l’auteur d’une infraction ne recevait aucune information sur la durée et la nature des actes d’investigations réalisés. Les parties n’avaient  donc pas la possibilité d’intervenir dans le déroulement de l’enquête.

Incontestablement, la loi du 22 décembre 2021 constitue une réelle avancée. Cependant, en pratique ces nouvelles modalités risquent d’avoir peu d’influence sur le déroulement de l’enquête.

L’article 2 de la loi tente de répondre à ces préoccupations par un encadrement temporel de l'enquête préliminaire et la possibilité, pour les parties, de participer activement aux investigations. 

 

I. L’encadrement temporel de l'enquête préliminaire

L’article 2 de la loi du 22 décembre 2021 fixe la durée de l’enquête préliminaire et permet d’avoir accès aux pièces du dossier pénal.

 

1.1. La durée de l’enquête préliminaire

La durée d'une enquête préliminaire est limitée à deux ans à compter du premier acte d’enquête, y compris si celui-ci est intervenu dans le cadre du flagrant délit. Elle  peut être prolongée une fois pour une durée maximale d'un an[4]. Lorsque l'enquête est diligentée pour des faits de criminalité organisée ou pour des faits de terrorisme,  les délais de deux ans et d'un an prévus par la loi sont portés respectivement à trois ans et à deux ans[5].

Afin de respecter les délais prévus, les enquêteurs doivent clôturer leurs opérations et transmettent leurs procès-verbaux avant l'expiration de ceux-ci pour permettre au procureur de la République de prendre une décision. Le magistrat peut décider de mettre en mouvement l'action publique, de requérir l'ouverture d'une information judiciaire, de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites ou  de décider du classement sans suite de la procédure. 

La décision de classement sans suite suivi d’une reprise de l’enquête ainsi que la durée des investigations en cas d'entraide judiciaire internationale ne viennent par s’imputer sur les délais prévus. Lorsqu’il y a un regroupement de plusieurs enquêtes dans le cadre d'une même procédure, le délai retenu est celui de l'enquête la plus ancienne.

La loi précise que le dépassement des délais entraine la nullité des actes postérieurs.

Il s’agit incontestablement d’une réelle avancée. En effet, la durée d’une enquête préliminaire peut s’éterniser et laisser la victime ou l’auteur d’une infraction dans l’expectative. On peut cependant s’interroger sur l’instauration d’un délai aussi long en l’occurrence 2 ans. En effet, pour respecter le principe du contradictoire, les droits des parties devraient s’exercer dès le début de l'enquête préliminaire. La victime ou la personne mise en cause doit avoir connaissance des éléments du dossier. 

 

1.2. L’accès au pièces du dossier pénal

À tout moment de l’enquête préliminaire, le procureur de la République peut indiquer à la personne mise en cause, la victime ou leurs avocats qu’une copie des pièces du dossier pénal est mise à leur disposition. Cependant, le procureur de la République peut, s’il estime que cette décision risque de porter atteinte à l'efficacité des investigations, ne pas mettre en œuvre cette modalité.

Toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, une infraction punie d'une peine privative de liberté peut demander au procureur de la République, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par déclaration au greffe contre récépissé, de prendre connaissance du dossier de la procédure.

Il apparait clairement que le procureur de la République peut décider de limiter l’accès au dossier pénal pour conserver l’efficacité des investigations. Cette décision est prise unilatéralement par le magistrat. Il convient de rappeler que les officiers de police judiciaire, policiers ou gendarmes, dans le cadre de l’exercice de la police judiciaire, sont placés sous la direction du procureur de la République. Peu importe que le magistrat ne dirige pas lui-même les investigations en enquête préliminaire, il ressort de l’article 12 du Code de procédure pénale qu’il est le "mandant judiciaire" de l’affaire. Il est donc juge et partie.

 

II. La possibilité, pour les parties, de participer activement à l'enquête préliminaire 

La loi du 22 décembre 2021, lorsque certaines conditions sont réunies, permet de formuler des observations au cours de l’enquête préliminaire et d’organiser la procédure de mise en œuvre de celles-ci.

 

2.1. Les conditions de mise en œuvre des observations

À tout moment de l'enquête préliminaire, le procureur de la République peut indiquer à la personne mise en cause, à la victime ou à leurs avocats qu'une copie est mise à leur disposition avec pour corollaire la possibilité de formuler toutes observations qui leur paraîtraient utiles, notamment sur :

  • la régularité de la procédure ;
  • la qualification des faits pouvant être retenue ;
  • les insuffisances des investigations ;
  • la nécessité de procéder à de nouveaux actes ;
  • les modalités d'engagement éventuel des poursuites, le recours éventuel à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité[6].

Par ailleurs, la loi précise que la personne mise en cause peut formuler des observations lorsqu'au moins l'une des conditions suivantes est remplie :

  1. L’auteur a été interrogé il y a plus d'un an.
  2. Une perquisition a été diligentée chez l’auteur il y a plus d'un an.
  3. Une atteinte à la présomption d'innocence a été portée à la personne de l’auteur par un moyen de communication au public. Cette condition ne peut pas être mise en œuvre pour les révélations de l’auteur présumée ou de son avocat, directement ou indirectement, ou lorsque l'enquête porte sur des faits de criminalité organisée[7] ou relève de la compétence du procureur de la République antiterroriste.

Il convient d’observer que même si une partie a la possibilité de présenter des observations, celle-ci reste suspendue à la décision du procureur de la République.

 

2.2. La procédure de mise en œuvre des observations

Lorsqu'une demande lui a été présentée, le procureur de la République met à la disposition du demandeur une copie de la procédure et l’avise de la possibilité de formuler des observations. Il statue dans un délai d'un mois à compter de la réception de la demande, par une décision motivée versée au dossier. 

À défaut, le silence vaut refus de communication. 

Pour une durée maximale de six mois à compter de la réception de la demande, le procureur de la République peut refuser à la communication de tout ou partie de la procédure si l'enquête est toujours en cours et si cette communication risque de porter atteinte à l'efficacité des investigations. Lorsque l'enquête porte sur des faits de criminalité organisée ou de terrorisme le délai est porté à un an.

Dans le mois qui suit la réception de la demande, le procureur de la République ne peut prendre aucune décision de poursuites hors l'ouverture d'une information ou le recours à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité[8]

Ce magistrat peut décider de restreindre la communication de certaines pièces de la procédure en raison des risques de pression sur les victimes, les autres personnes mises en cause, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure.

Le requérant a la possibilité de contester le refus devant le procureur général, qui statue dans le délai d'un mois à compter de sa saisine, par une décision motivée versée au dossier. 

Les observations sont versées au dossier de la procédure. Le procureur de la République apprécie les suites qu’il convient de leur donner. Il en informe les personnes concernées. S'il refuse de procéder à un acte demandé, sa décision peut être contestée devant le procureur général.

La victime ayant déposé plainte dispose des mêmes droits d’accès.

La présentation d’observations reste soumis à la volonté du procureur de la République qui peut la rejeter en motivant un risque de pression sur les personnes parties à la procédure. Cette décision unilatérale échappe au principe du contradictoire.

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La loi du 22 décembre 2021 permet une avancée très importante dans l’équilibre des droits, puisqu’elle permettrait enfin aux victimes et auteurs d’avoir une visibilité sur la durée de l‘enquête préliminaire, sur la nature et la portée des investigations.

Cependant, sa portée reste soumise à la volonté du procureur de la République qui nous devons le rappeler est en même temps le directeur de la police judiciaire et partie à l’enquête (accusateur). 

Pourquoi ne pas avoir désigné le juge des libertés et de la détention pour la mise en œuvre de l’article 2 de la loi du 22 décembre 2021 ?

Alain Bollé

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[1] Numéro 0298.

[2] Commission rogatoire.

[3] Les Chiffres-clés de la justice 2019 – Ministère de la Justice.

[4] Article 75-3 du Code de procédure pénale.

[5] Articles 706-73 et 706-73-1 du Code de procédure pénale.

[6] Article 77-2-I du Code de procédure pénale.

[7] Articles 706-73 ou 706-73-1 du Code de procédure pénale.

[8] Articles 495-7 à 495-13 du Code de procédure pénale.

18/01/2022

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