De l’utilité des contre-pouvoirs. Exemple du contrôle général des lieux de privation de liberté

11/02/2021 - 4 min. de lecture

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Luc Chouchkaieff est Médecin de santé publique et Contrôleur au contrôle général des lieux de privation de liberté.

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La prévention des violations graves aux droits de l'homme s'est concrétisée en 2002 par la signature du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unis contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ce Protocole a amené l’instauration dans chaque pays signataire d’un "organisme de prévention" pouvant porter un regard extérieur indépendant des pouvoirs publics sur la mise en œuvre des droits dans les situations dans lesquelles des personnes peuvent être enfermées ou faire l’objet d’un transfèrement.

En France, c’est ainsi que la loi du 30 octobre 2007 a institué un Contrôleur général des lieux de privations de liberté (CGLPL), autorité administrative indépendante, nommée par le Président de la République de manière ni renouvelable ni révocable.

Le rôle du CGLPL consiste à contrôler les conditions de prises en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de garantir le respect de leurs droits fondamentaux et d’en prévenir toute violation. Le CGLPL s’assure ainsi que les droits à la vie, à l’intégrité physique et psychique, ou à ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant, sont respectés. Il œuvre dans les prisons, établissements de santé mentale, centres de rétention administrative et zones d’attente, centres éducatifs fermés et locaux de garde à vue.

Les contrôleurs effectuent des visites en immersion dans les structures durant un temps suffisamment long pour en percevoir le quotidien réel, au-delà du regard sur le fonctionnement et l’organisation. Ils contrôlent la manière dont l’expression du droit est concrètement mis en œuvre par le personnel chargé des missions les plus difficiles et vérifient l’effectivité du droit et des droits fondamentaux pris dans leur acceptation la plus concrète possible, notamment en matière de droit à la vie privée et familiale, au travail et à la formation, d’accès aux soins, ainsi qu’à la liberté d’expression, de conscience et de pensée.

Les pratiques professionnelles et la prise en charge globale des personnes privées de liberté sont ainsi regardées sous un prisme réglementaire mais aussi celui de la dignité, qui renvoie à la prise en compte de la personne dans sa dimension humaine dans laquelle la pudeur, l’estime de soi et la valeur du regard des autres prennent leur place.

Le CGLPL vérifie qu’un équilibre est respecté entre, d’une part, l’humanité et la dignité des personnes et, d’autre part, des considérations d’ordre public et de sécurité, d’autant que l’autonomie dans l’exécution des actes professionnels est forte chez les professionnels concernés que sont les policiers, gendarmes, surveillants et soignants. 

Le contrôle général dispose de deux atouts considérables dans la perception du fonctionnement des structures, celui de l’écoute confidentielle des personnes privées de liberté comme des professionnels et celui de la réception de milliers de courriers au siège parisien.

Le CGLPL contrôle ainsi le respect des droits fondamentaux et de la dignité de 650 000 personnes privées de liberté sur l’ensemble du territoire français. 

Les moyens d’actions de cette autorité administrative indépendante sont basés à la fois sur le caractère absolu de son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et sur la publicité de ses rapports et recommandations, si besoin via le journal officiel.

En effet, chaque visite du contrôle fait l’objet d’un rapport soumis contradictoirement à la structure avant d’être adressé aux ministres de tutelle concernés. Une fois les réponses des ministres obtenues, le rapport est rendu public sur le site internet du CGLPL. Si le contrôle observe des manquements graves au respect du droit à l’intimité et à la dignité, la Contrôleure générale formule, dans ce cas, des recommandations en urgence aux ministres avant publication au journal officiel de ces recommandations et des réponses ministérielles.

Le CGLPL a ainsi contribué, depuis douze ans, à rendre visible les lieux d’enfermement en se plaçant du point de vue de la personne privée de liberté mais aussi en observant les conditions de travail du personnel.

Il a veillé à ce que ne soient pas introduits, dans la peine ou l’objet de la privation de liberté, des restrictions ou des pratiques professionnelles étrangères à cette peine ou systématiques quels que soient les individus, définit en droit souple le traitement inhumain ou dégradant, et distingue l’acceptable de l’inacceptable dans la mise en œuvre pratique du droit et dans des actions quotidiennes relavant des fondamentaux d’une vie sociale humanisée.

C’est ainsi qu’il a suscité, ces dernières années, des mesures législatives visant à limiter les mesures d’isolement et de contention dans les établissements de santé accueillant des soins sans consentement, qu’il a favorisé la recherche d’alternatives à l’incarcération pour femmes enceintes ou jeunes mères. C’est ainsi qu’il contrôle l’effectivité du droit et du respect de la dignité des migrants, qu’il œuvre au quotidien et lors de chaque visite de centre pénitentiaire par l’écoute des personnes détenues comme des surveillants, à un meilleur sens de la peine dans des établissements permettant la réinsertion et le respect de la dignité. C’est ainsi qu’il dénonce le caractère irrationnel de la croissance continue de la population pénale et les atteintes à la dignité et au secret médical dans la présence systématique des surveillants lors des soins dans les établissements de santé. 

C’est enfin et surtout de cette façon que le contrôle général a amélioré localement le quotidien des personnes privées de liberté par des mesures concrètes souvent préconisées dans le cadre des visites d’établissements. 

Ce contre-pouvoir de la République sur la privation de liberté garantit aux citoyens enfermés de rester avant tout des enfants de celle-ci.

Luc Chouchkaieff

11/02/2021

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