En quoi la guerre peut-elle nous éclairer sur la crise ?

12/11/2020 - 5 min. de lecture

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Hervé Carresse est Directeur associé du cabinet Nitidis.

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Convenons que la situation de crise est un état d’exception qui bouleverse le fonctionnement habituel d’une organisation publique ou privée, d’un État, voire jusqu’à notre écosystème planétaire lorsque la crise est globale et systémique (crise financière de 2008, COVID, etc.).

La crise comme la guerre a ses principes. La crise comme la guerre requiert une stratégie, une planification, une méthode d’aide à la décision, un objectif de sortie de crise clairement défini et pertinent, une organisation du commandement fonctionnellement standardisée mais aussi plastique afin de s’adapter à la spécificité et aux évolutions de l’événement.

Gérer ou plutôt piloter une crise requiert donc nombre de pratiques directement transposées des usages du monde militaire.

Essayons d’y voir plus clair au travers des réponses aux questions suivantes.

 

Vous avez dit crise ?

Étymologiquement, le mot crise provient du grec, "Κρίσις" associant les sens de "jugement" et de "décision". Les chinois utilisent l’idéogramme "Wei-ji" qui signifie à la fois "danger" et "opportunité". Le vocabulaire médical qualifie la crise comme la manifestation brutale d'une maladie ou l’aggravation brusque d'un état chronique. Toutes ces significations semblent nous pousser à voir la crise comme la déstabilisation brutale, voire vitale, d’une organisation. Admettons que toute situation de crise est une situation exceptionnelle au cours de laquelle les repères communément admis volent en éclats. Ce contexte hors normes, paroxystique, susceptible d’affaiblir ou de mettre en jeu la survie d’une organisation, entraîne, dans la plupart des cas, une déstabilisation émotionnelle, une perte de rationalité, des responsables en charge de la structure impactée.

 

Peut-on prévoir la crise ?

D’une manière générale, on peut prévoir certaines situations, via des outils tels que les matrices de criticité très utilisées dans l’industrie pour évaluer l’occurrence et l’impact de certains aléas. Il s’agit des situations risquées où la distribution de probabilité des cas possibles est connue. Ainsi, il existe une opportunité de prévision et de planification qui découle directement de la démarche de management des risques de l’organisation considérée.

Cependant, il existe des situations incertaines où les cas possibles ne sont pas connus. Il s’agit des événements dits "chaotiques" qualifiés de "cygnes noirs" par Nicolas Taleb dans son ouvrage de référence. Ces situations rares surprennent et ont des conséquences majeures tout en étant rationalisées, expliquées, et prédites (les informations étaient disponibles mais elles n’ont pas été utilisées et comprises) a posteriori. La crise sanitaire du Covid peut être considérée comme entrant dans cette catégorie.

 

Existe-t-il des principes applicables à la gestion de crise ?

La guerre en France a ses principes, ceux de Ferdinand Foch : concentration des efforts, liberté d’action, économie des forces. Toute opération militaire, pour être viable, doit les vérifier afin de garantir son effectivité au travers de la mise en place de moyens réservés et d’une recherche systématique de l’information sur l’adversaire par exemple.

Considérons que la gestion de crise a aussi ses principes au nombre de quatre :

  • COORDINATION : qui s’attache à synchroniser l’ensemble des actions de maîtrise et de sortie de crise entre les différents protagonistes.
  • COMMUNICATION : qui veut que la communication de crise se déploie de manière cohérente en direction des parties prenantes internes et en externe, et qu’elle investisse tous les champs  possibles, affrontements communicationnels et réputationnels (TV, radio, presse écrite et en ligne, médias sociaux, etc.).
  • ANTICIPATION : il s’agit là, sans doute, du principe majeur. Souvent cité mais rarement explicité, ce principe repose sur trois axes : le recueil, l’analyse, la qualification, le classement des informations ; l’imagination des scénarii de crise les plus probables et les plus dangereux ; la planification des actions et des ressources requises pour faire face aux scénarii critiques (fort impact et probabilité).
  • SIMPLICITÉ : qui prône la simplicité dans l’organisation et le fonctionnement du dispositif de gestion de crise. La simplicité dans l’action repose essentiellement sur l’utilisation d’une méthode d’aide à la décision permettant de réfléchir collectivement une situation pour déterminer un objectif de sortie de crise.

 

Incertitude versus décision ?

La guerre peut être considérée comme le niveau ultime et irradiant de la crise. Comme la guerre, la crise est caractérisée par un "brouillard" et des "frictions" (Clausewitz). Les phénomènes de hasard et de désordre, générés par la situation, s’ajoutent alors pour augmenter l’incertitude.

Devant cette incertitude situationnelle, contraints de décider souvent dans l’urgence, les responsables adoptent une "rationalité limitée", c’est-à-dire un mode de pensée rationnel mais limité par trois contraintes :

  • l’information toujours imparfaite,
  • l’impossibilité d’envisager toutes les solutions,
  • l’incapacité d’analyser ces dernières jusqu’au bout de leurs conséquences.

Selon Foch, les moyens réservés sont "l’outil par excellence de gestion de l’incertitude". Pour le décideur avisé, la recherche systématique du renseignement est une pratique vertueuse contribuant également à la réduction de l’incertitude.

 

Comment décider ?

Les militaires, pour planifier et conduire les opérations, utilisent des méthodes d’aide à la décision de complexité variable suivant l’urgence des décisions à prendre. Toutes ces méthodes ont pour point commun la définition d’un objectif (effet majeur, état final recherché) à atteindre. Cet objectif, le plus souvent décliné sous la forme d’un verbe à l’infinitif, est circonstancié dans le temps et l’espace avant d’être planifié en actions ou missions.

De manière très schématique, toutes ces méthodes procèdent d’une succession de questions :

  • Pourquoi ? De quoi s’agit-il ? Pour cerner les enjeux à l’œuvre, les scénarii envisageables.
  • Quoi ? En vue de définir un objectif pertinent, c’est-à-dire répondant aux enjeux identifiés.
  • Comment ? Où ? Quand ? Avec qui / quoi ? Contre qui / quoi ? Afin d’aborder la mise en œuvre dans le temps et l’espaces des actions à conduire en vue d’atteindre l’objectif choisi.

L’objectivation de la sortie de crise grâce à ces méthodes permet de ne plus subir la crise, de sortir du processus usant et linéaire de "l’action-réaction", en hiérarchisant les événements et les actions tout en donnant une perspective lisible à l’ensemble des acteurs.

 

Quelle organisation de crise pour quelle crise ?

À la fois insolite, disruptive, critique et déstabilisante, la situation de crise requiert un mode de management spécifique qui correspond à une transposition des modes d’organisation et de management des opérations militaires. Ainsi, la cellule de crise est une civilianisation du poste de commandement militaire.

Généralement, la cellule de crise fait preuve d’une plasticité qui lui permet d’adresser l’ensemble des événements pouvant se présenter. Cette agilité organisationnelle s’appuie sur des fonctions génériques : décision, secrétariat / main courante, communication. Cette "colonne vertébrale" de la cellule de crise est utilement complétée par une fonction anticipation / coordination modulaire, rassemblant les expertises nécessaires au traitement des spécificités de la situation vécue.

Hervé Carresse

12/11/2020

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