[Groupe K2 ] Télétravail et Hybridation du travail : une expérience collaborateur réinventée ?
24/11/2023 - 7 min. de lecture
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Note de synthèse
Télétravail et Hybridation du travail : une expérience collaborateur réinventée ?
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Cette note de synthèse a mobilisé la collaboration d'une vingtaine de professionnels [*]. Certains d'entre eux, praticiens ayant des missions diverses en entreprises, apportent ici leur expertise pratique d'autres, enseignants-chercheurs partagent ici les résultats de leurs travaux et le fruit de leurs réflexions prospectives.
Depuis le début de la crise sanitaire de 2020, le télétravail s'est imposé. Fin 2021, 38% des salariés du secteur privé pratiquaient le télétravail (vs 34% fin 2020, 41% en mai 2020, et 30% fin 2019). 50% d'entre eux télétravaillent de manière contractualisée (40% dans les entreprises de moins de 50 salariés). Le télétravail est pratiqué en moyenne près de deux jours par semaine (vs 3,6 jours en 2020 et 1,6 en 2019) et redevient un choix pour 68% des salariés (vs 59% durant la crise)[1]. La grande majorité des collaborateurs et des managers semblent avoir trouvé le bon équilibre avec le modèle hybride, selon une toute récente étude BCG.[2]
Les salariés et les entreprises se sont adaptés à de nouvelles méthodes d'organisation du travail. Pour les premiers, des opportunités (Temps libéré pour la famille et les loisirs, autonomie) et des risques (Isolement, stress, burn-out) apparaissent (Vayre 2019[3], Diard et Dufour 2021[4]), pour les secondes, communiquer et manager à distance s'inscrit dans une stratégie de réseaux qu'il va falloir s'approprier. Les rapports hiérarchiques pourraient demeurer bouleversés et le pouvoir remis en question.
Les entreprises et les managers ne peuvent donc faire l'économie d'une approche organisationnelle remettant en cause l'ensemble des méthodes de travail jusque-là pratiquées. La structure poly-cellulaire implique une réorganisation profonde : culture d'entreprise, stratégie, motivation, rôle des acteurs sociaux devront alors être repensés.
L'entreprise, aujourd'hui éclatée doit repenser les relations de travail. Avant de mettre en oeuvre une organisation hybride, les managers doivent s'interroger sur les possibilités de déploiement. Essayer de développer l'hybridation comme une nouvelle structure d'entreprise, comme une modification des habitudes individuelles, c'est aussi s'exposer à des réticences engendrées par une volonté naturelle de préserver par le biais des habitudes, une certaine marge de liberté pour les salariés et aussi un certain pouvoir pour l'encadrement.
En favorisant l'émergence d'un modèle hybride, le télétravail a déjà bousculé les repères des managers et contribue à transformer leurs pratiques :
- Le développement du travail hybride a mis les managers en difficulté en brouillant leurs repères et la visibilité dont ils disposent sur l'activité de leur équipe.
- Pour s'adapter, les managers ont dû revisiter leurs pratiques, en jouant sur le curseur autonomie/contrôle mais également en renforçant la fréquence des échanges.
- Ces ajustements ont généré une surcharge de travail qui n'empêche pas les managers de rester favorables au télétravail de leur équipe, à certaines conditions. (Etude d'impact APEC - ANACT 2022)[5]
L'étude People at work (2023[6]) indique que 17% des personnes interrogées déclarent que la flexibilité en ce qui concerne le lieu de travail est importante.
L'hybridation apparait donc comme un outil d'attractivité. Travailler en mode hybride c'est bénéficier du meilleur de l'organisation du travail. C'est peut- être parce qu'ils prennent « le meilleur des mondes » que les travailleurs en mode hybride qui passent une partie de leur temps sur site et une autre partie en télétravail sont les plus satisfaits de la flexibilité des heures (60%) et de la flexibilité géographique (62%) dont ils disposent dans leur emploi (p. 16).
Les salariés comme les employeurs sont libérés de la contrainte de lieu. Une liberté d'action s'installe ; il n'est plus indispensable de vivre près de son lieu de travail. Les salariés en devenant des nomades numériques voient s'élargir les possibilités. Possibilité d'accès à l'emploi facilité dans un premier lieu (le bassin d'emploi est devenu mondial) et choix du domicile (dans une zone plus agréable ou moins coûteuse). Tout cela permettant une meilleure conciliation vie personnelle/vie professionnelle.
Près de la moitié (48%) des personnes interrogées déclarent qu'elles pourraient déménager à l'étranger pour travailler pour leur employeur actuel. (People at work, 2023) 28% pensent que d'ici cinq ans, ce sera la norme dans leur secteur de pouvoir travailler n'importe où dans le monde.
L'étude Eurofound (avril 2023[7]) s'intéresse quant à elle au développement simultané du télétravail (travail à distance) et du travail hybride (mode d'organisation qui mélange télétravail et travail en présentiel) et met en perspective 4 scénarii envisageables à l'horizon 2035 :
- Scénario 1 : Mise en oeuvre équitable du télétravail ET du travail hybride : Le travail est organisé en mettant l'accent sur le travail collaboratif et un haut degré d'autonomie
- Scénario 2 : Augmentation du télétravail sélectif ET travail hybride : Le télétravail et les formules de travail hybrides sont utilisés comme moyen d'attirer et de retenir des employés hautement qualifiés.
- Scénario 3 : Télétravail en perte de vitesse, polarisé ET travail hybride Les employés ont peu de flexibilité en termes de lieu, de tâche, ou de gestion du temps.
- Scénario 4 : Désengagement du télétravail ET du travail hybride dans un contexte turbulent : La plupart des organisations ont recours à des formes de contrôle et de commandement pour les employés sur site et hors site.
Le travail hybride semble largement plébiscité (82% des salariés éligibles souhaitent adopter ce mode de travail, et 63% des dirigeants pensent qu'il va continuer à se développer[8]).
Aujourd'hui, choisir de s'intéresser à l'hybridation c'est tenter de contribuer à une réflexion élargie qui prend une dimension économique, sociale et sociétale. Longtemps présenté comme un miracle économique apportant qualité de vie à l'individu et permettant de gagner du temps, le télétravail, n'a été que trop peu perçu comme une des formes possibles de l'entreprise de demain. Il s'agit là d'une approche restrictive. L'expérience contrainte du télétravail confiné a permis d'élever le débat, de stimuler la réflexion sur une approche hybride, choisie, négociée et d'appréhender les opportunités et les risques.
Le télétravail en mode hybride fait désormais partie intégrante de l'expérience collaborateur.
D'ailleurs en 2022, 50% des professionnels RH en entreprise évoluait dans une organisation qui a mis en place une démarche d'expérience collaborateur (baromètre annuel de « parlons RH »[9]). La notion d'expérience collaborateur est empruntée aux techniques de marketing (qui se concentrent sur l'expérience client). L'expérience collaborateur constitue le vécu du salarié tout au long de son parcours dans l'entreprise. L'expérience collaborateur fait référence à la façon dont l'employé ressent ses interactions avec l'entreprise. La question de la place de cette expérience collaborateur est soulevée dans le cadre de la transformation digitale (déconnexion : des personnes entrent dans une notion d'addiction au travail, utilisation de nouveaux outils)
(Develey et al., 2022[10], p 58). L'adoption de nouveaux outils digitaux (p. 16) nécessite une agilité et un nouvel apprentissage de la part des collaborateurs. L'éloignement physique modifie la relation managériale, bouleverse le collectif du travail mais peut engendrer des inégalités (INSEE et DREES, Diard et Hachard, 2021[11]).
Diverses étapes clé de la vie du salarié composent son expérience au sein de l'organisation : recrutement, période d'intégration, évaluation, formation, off-boarding. La transformation de la fonction RH avec une tendance à la digitalisation (Baudoin et al. 2019[12]) répond à la nécessite de s'adapter aux salariés en tant que « clients internes ».
L'expérience collaborateur s'inscrit dans une démarche RSE de l'entreprise. En effet, les collaborateurs ou les candidats, recommandent et choisissent des employeurs en fonction de leurs valeurs (Rauglaudre, 2022[13]).
Ces évolutions organisationnelles imposent donc de s'intéresser à l'avenir du management, d'étudier l'hybridation dans une entreprise éclatée à travers 4 parties proposées dans cette note de synthèse :
- L'hybridation : une organisation du travail qui se pérennise ;
- Hybridation et expérience collaborateur ;
- Hybridation et nouvelles relations au travail ;
- L'émergence de nouveaux risques dans l'organisation hybride
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Liste des contributeurs :
Caroline Diard est Professeur associé, TBS Business School Département droit des affaires et Management des Ressources Humaines et co-pilote du Groupe - Farid El Arji est Membre, Comité de Direction DRH, SNCF TGV-Intercités et co-pilote du Groupe - Karine Babule est Chargée de mission ANACT - Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail - Pauline de Becdelievre est Maitre de conférences, Institutions et dynamiques historiques de l'économie et de la société, ENS Paris Saclay - Abdel Bencheikh est Chief Risk & Sustainability Officer - Marie Benedetto-Meyer est Maitresse de conférences en Sociologie & Membre associée, Laboratoire Printemps - Marc Bertier est Expert workplace, Kardham - Olivier Bouteille est HR Manager, IKEA - Gaëlle Cachat-Rosset est Professeure adjointe, Faculté des Sciences de l’Administration, Université Laval - Nicolas Cochard est Directeur R&D, Kardham - Nicolas Dufour est DR en gestion, Professeur affilié, Cnam (Laboratoire Lirsa) - Nadr El Hana est Maitre de conférences, IAE Paris Sorbonne Business School - Sébastien Foy est Dirigeant, Cabinet Leonard Conseil - Virginie Hachard est Doyenne Adjointe, EM Normandie - Christelle Havard est Professeur associé, Burgundy School of Business (BSB) - Sana Henda est Enseignant-chercheur, ESC Amiens - Alain Klarsfeld est Professeur en Gestion des Ressources Humaines, TBS Business School - Lina Lim est Co-fondatrice, ECLEVIA, organisme de formation en performance managériale - Audrey Morgand est Enseignant-chercheur, ESC Amiens - Thibault Paternoster est CEO, Woby - Tania Saba est Professeure titulaire, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal - Frédéricke Sauvageot est Directrice de la QVT du Domaine Immobilier et des Espaces de Travail, Orange.
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[1] - Baromètre Malakoff Humanis, février 2022
[2] - https ://www.bcg.com/publications/2023/flexible-working-models
[3] - Vayre, É. (2019). Les incidences du télétravail sur le travailleur dans les domaines professionnel, familial et social. Le travail humain, 82, 1-39.
[4] - lien
[5] - https ://corporate.apec.fr/home/nos-etudes/toutes-nos-etudes/teletravail-des-cadres--entrepri.html
[6] - https ://www.fr.adp.com/ressources/insights/people-at-work-etude-workforce-view.aspx,
[7] - Eurofound (2023), The future of telework and hybrid work, Publications Office of the European Union, Luxembourg.
[8] - Baromètre Malakoff Humanis 2022
[9] - https ://www.parlonsrh.com/barometre-experience-collaborateur-2023/
[10] - Develey, G., et Turco M.. « Télétravail et transformation digitale », Savall H., Zardet V., Menaces et opportunités du télétravail. éd. EMS Editions, 2022, pp. 53-60.
[11] - Diard, C., Hachard V., 2021, « Mise en oeuvre du télétravail, une relation managériale réinventée », Gérer et comprendre, p. 38-52
[12] - Baudouin, E., Diard C., Benabib, M., Cherif, K., (2019), Transformation digitale de la fonction RH, Dunod
[13] - de Rauglaudre, A., et Renard M.. (2022), L'expérience collaborateur. Engagez vos collaborateurs et déployez de nouveaux modes de travail. Dunod,
24/11/2023