La recherche médicale française : simple trou d’air ou véritable déclin ?

29/05/2021 - 4 min. de lecture

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Dominique Letourneau est Professeur associé, Université Paris-Est, Faculté de Médecine de Créteil et ancien Président du Directoire de la Fondation de l’Avenir pour la recherche médicale appliquée.

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La crise Covid a constitué un révélateur, en situation réelle, de nos faiblesses et du déclassement progressif de la France. Triste réalité pour ceux qui, à commencer par sa population, pensaient pourtant que nous tenions le haut de l’affiche. Nous ne reviendrons pas sur la question du système de santé, soi-disant encore il y a quelques années le meilleur au monde. Nous avons déjà abordé cette question dans une tribune précédente. Si malgré tout, il a tenu, et les pouvoirs publics s’en félicite à juste titre, c’est d’abord grâce aux soignants et à chaque fois que l’administration s’est mise à leur service. Mais cela ne tiendra pas dans la durée sans réforme en profondeur.

Aujourd’hui, nous pouvons faire quasiment le même constat pour la recherche médicale française. À ce jour, aucun vaccin, issu d’un acteur français, et pourtant potentiellement nous avions des champions. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Surement par le même processus que celui en œuvre au sein du système de santé. Absence d’investissement structurel, empilement de dispositif, déclassement des professionnels concernés ; la liste est longue et ressemble à s’y méprendre à celle de l’hôpital.

Ceci n’a pas toujours été le cas. Rappelons que la France a longtemps été un des pays européens dont la part du produit intérieur brut consacrée à la recherche était la plus élevée, notamment par la contribution du financement public. Elle a été, pendant très longtemps, au premier rang international dans la production de vaccins. Notre production de produits pharmaceutiques en parts de marché mondial a été divisée par deux entre 2005 et 2015. Alors que l’aide à la recherche se développait dans les pays étrangers concurrents, le budget de fonctionnement des laboratoires français se réduisait. La part mondiale des publications de la France a diminué pour passer de la cinquième à la septième place. 

Ce constat d’une crise de la recherche médicale française est partagé depuis quelques années par les quatre conférences de santé en médecine, odontologie, pharmacie et maïeutique qui se sont exprimées en ce sens. Elles considèrent que ce déclin est dû essentiellement à quatre causes : organisation complexe, déficit de financement, manque d’attractivité et compétition internationale.

Nous les reprendrons à notre compte en insistant sur des points, qui font écho, à ceux en jeux au sein du système de santé avec naturellement un effet démultiplicateur délétère.

L’organisation de la recherche médicale française est complexe et à cheval sur deux ministères de tutelle avec des grands établissements à caractère scientifique (INSERM, CNRS, CEA, etc.), des structures universitaires et hospitalières, mais aussi la multiplication d’acteur tiers type agences, celles dédiées à la recherche, mais celles relevant de la santé, sans oublier l’émergence d’autres acteurs contribuant notamment au financement, type fondations ou associations. Il faut, par ailleurs, prendre en compte la contribution du secteur privé notamment biomédical, mais aussi de plus en plus autour du numérique. À ce millefeuille français, il convient de rajouter l’échelon européen qui, lui aussi, ne manque pas d’outils, où la compréhension de son fonctionnement est souvent plus utile que la pertinence du projet de recherche que l’on porte.

Au nom de la professionnalisation de la recherche médicale, ont été créées des technostructures qui, au bout d’un moment, fonctionnent pour elles-mêmes, ne serait-ce que pour légitimer leur existence. Leur coût n’est pas anodin et vient préempter une part non négligeable des financements obtenus, sachant que le plus souvent ce sont les chercheurs qui cherchent les financements.

Pour les établissements de santé, c’est encore pire car, si les pouvoirs publics ont créé des moyens dédiés (les financements MERRI par exemple dont 60 % de ces financements sont assis sur les publications), l’essentiel de l’enveloppe tombe dans le trou noir de l’hôpital. 

En termes d’attractivité, les réponses sont, bien sûr, au niveau des rémunérations, de la qualité des équipements, de la simplicité fonctionnelle, mais aussi par la possibilité de valoriser des carrières hybrides. Faute de quoi, les plus brillants partiront dans le privé, à l’étranger ; le processus est déjà enclenché. Quant aux chercheurs étrangers de qualité, ils trouveront facilement des destinations plus accueillantes.

Nous pourrions ajouter à toutes ces difficultés, l’obsession du sacro-saint principe de précaution. Allez demander par exemple à "notre" prix Nobel de Chimie 2020 si ses travaux sur les ciseaux moléculaires auraient pu être possibles en France.

Face à cette évolution inquiétante, quelques raisons d’espérer qui, avec une politique volontariste et non dirigiste, peut inverser la tendance. L’éclosion de starts-ups qui poussent des solutions innovantes. Peu resteront, beaucoup seront reprises notamment par des investisseurs étrangers, mais nous avons la chance de disposer d’un vrai vivier. Les partenariats publics-privés, impensables il y a encore quelques années, montent en puissance et nous devons nous en féliciter. Une formation à la recherche qui reste de qualité, pour l’instant. Mais, si on ne règle pas la question de l’attractivité des métiers, cela ne durera pas. Et n’oublions pas le Crédit Impôt Recherche, au pays de la fiscalité reine, c’est un outil puissant que beaucoup nous envie. Et puis pour terminer, si nous avons bien perdu la première bataille du vaccin, Sanofi, outre la solution à ARN messager que personne n’envisageait il y a deux ans, travaille sur une approche séduisante à protéine recombinante. Pourquoi ne pas y croire ?

La recherche médicale française est à la croisée des chemins. Sans décisions fortes, le déclin constaté ne fera que s’accentuer et nous regarderons avec nostalgie cette époque où nous étions, en la matière, une des références pour la planète entière.

Dominique Letourneau

29/05/2021

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