Le dialogue social est-il au point mort ?

06/06/2022 - 5 min. de lecture

Le dialogue social est-il au point mort ? - Cercle K2

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René Picon-Dupré est ancien DRH, Consultant RH et management.

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Si l’on croit le discours ambiant selon lequel le Gouvernement ferait fi depuis 5 ans des corps intermédiaires et donc des partenaires sociaux, on peut être tenté de penser que le dialogue social est au point mort en France. Cette idée est en outre renforcée dans certains esprits par le fait que certaines réformes (ex : SNCF) ont débouché sur des grèves et que le mouvement des gilets jaunes consacrait cette faillite, en ce qu’ils refusaient d’être représentés par d’autres.

Par ailleurs, 4 ans après les ordonnances de 2017, les premiers bilans dressés par les organisations syndicales apparaissent en demi-teinte et demandent des évolutions pour améliorer la situation.

Et pourtant les dispositions juridiques sont plutôt favorables au dialogue social.

Que ce soit la loi El Khomri ou les ordonnances de septembre 2017, le dialogue social n’a pas été absent des réformes, dans un secteur privé où le poids du conventionnel est important. Citons notamment :

  • l'importance des accords majoritaires, sans pour autant renier le sacro-saint principe de faveur,
  • les précisions sur les relations entre accords de branche et accords d’entreprise,
  • le triptyque de la négociation : ordre public absolu / accord dérogatoire / dispositions supplétives,
  • les négociations obligatoires plus espacées dans les entreprises concernées (tous les 4 ans),
  • la prise en compte des PME-PMI dans les accords de branche,
  • la mise en place par accord de représentants de proximité,
  • le recours au referendum en cas d’accord non majoritaire.

En mai 2022, a même lieu la première élection des représentants des travailleurs des plateformes.

Situation des représentants syndicaux : outre les protections et les facilités traditionnelles,

  • valorisation de l’expérience et prise en compte des compétences acquises, et,
  • pour la fonction publique, garantie d’avancement.

La fonction publique aussi voit des évolutions significatives (loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique) :

  • accord majoritaire à valeur réglementaire,
  • négociation obligatoire sur l’égalité hommes-femmes,
  • également fusion des instances (comités techniques et CHSCT à compter de 2023, après les élections de décembre 2022).

La fusion des instances (délégués du personnel, comités d’entreprise et CHSCT) effective dans le privé et en devenir dans la fonction publique en 2023 (comités techniques et CHSCT) soulève sans doute plus d’interrogations : elle peut être vécue comme une facilité car diminuant le nombre d’interlocuteurs et le nombre de réunions, d’autant que l’hygiène et la sécurité  restent prises en compte par la création de structures spécialisées en cas de risques particuliers ou au-delà d’un seuil d’effectifs (300 dans le privé et 200 dans la fonction publique). Pour autant, sur ce point, comme nous le verrons plus bas, on peut comprendre qu’il reste un débat en attendant de disposer d’un bilan complet de cette nouveauté.

Les statistiques invalident en partie le discours ambiant négatif, même si la situation en période de Covid n’a pas rendu les choses faciles (cf. rapport du Ministère du travail sur la négociation collective en 2020).

L’analyse produite conduit aux constats suivants :

  • Au niveau interprofessionnel et de branches, la négociation collective s’est poursuivie en 2020, bien qu’en retrait par rapport à 2019 : interprofessionnel avec 9 accords ou avenants contre 11 ; au niveau des branches, 950 contre 1227.
  • En ce qui concerne les négociations d’entreprise, elles sont en léger retrait : 96 500 contre 103 700.
  • La liste des thèmes les plus abordés reste stable, malgré l’impact de la crise sanitaire. Citons : les salaires, la formation professionnelle et l’apprentissage, égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, retraite complémentaire et prévoyance, temps de travail, primes, contrat de travail, congés, et conditions de conclusion et d’application des accords.
  • Le nombre de textes déposés par les entreprises de moins de 50 salariés continue de progresser avec 40 000 textes signés en 2020, soit 51 % des textes au niveau de l’entreprise (contre 47 % en 2019). Ils portent principalement sur l’épargne salariale (62 %) et sont conclus pour près de la moitié d’entre eux dans les secteurs du commerce et des activités de services aux entreprises, comme en 2019. L’approbation à la majorité des deux tiers (52 %) et la signature par l’employeur seul (24 %) constituent les modes de conclusion dominants. Seuls 6 % de ces textes sont signés par des délégués syndicaux.
  • Dans la fonction publique, deux accords majoritaires ont été signés au niveau national :
    • l'accord du 13 juillet 2021 relatif à la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique,
    • l'accord interministériel du 26 janvier 2022 relatif à la protection sociale complémentaire en matière de couverture des frais occasionnés par une maternité, une maladie ou un accident dans la fonction publique de l’État.

Et alors, où est le problème ?

L’analyse effectuée par les organisations syndicales sur la mise en œuvre des ordonnances de septembre 2017 apporte certains éléments :

  • s’agissant de la fusion des instances, la CFDT souligne l’allongement des réunions et des ordres du jour pour traiter l'ensemble des sujets, le moindre engagement des élus, le manque d'articulation entre le CSE et les commissions ou formations chargées de la santé, sécurité et des conditions de travail, la difficulté de traitement des questions de santé et sécurité au travail ;
  • recentralisation des négociations vers le siège au détriment du dialogue social de proximité ;
  • relatif échec de la mise en place de représentants de proximité ;
  • focalisation sur les sujets classiques, même si, en période de crise, ils reprennent une importance particulière (salaires).

Et, de fait, le dialogue est encore trop institutionnel et vécu comme obligatoire, voire comme une perte de temps, et on perçoit également un manque de formation des managers et aussi des représentants des organisations syndicales.

D’où l’intérêt de repenser le dialogue social et ceci concerne tous les acteurs :

  • Intégrer l’idée qu’il n’y  pas que le dialogue formel et que le dialogue social désigne plus largement l’ensemble des relations et des interactions qui existent au sein de l’entreprise entre la direction, l’encadrement, les représentants du personnel et les salariés. Le dialogue social ne se joue pas seulement au niveau des obligations réglementaires et des représentants du personnel, mais aussi dans la participation directe des salariés[1] à la vie de l’entreprise : il n’y a pas que les "grand messes".
  • Établir ou rétablir un climat de confiance, ce signifie notamment : s’entendre sur l’objet de la discussion (on ne sera pas forcément d’accord sur les solutions d’un problème, mais au moins qu’on en partage le constat), abandonner les positions de posture, discuter de la méthode, faire ce que l’on dit, ne pas hésiter à dire "non" en motivant sa position, accepter un plan B, accepter que des négociations puissent ne pas aboutir.
  • Comprendre qu’il faut s’entendre pour résoudre les problèmes au quotidien, s’écouter, se parler, trouver des compromis sur l’organisation du travail, les conditions de travail.
  • Former cadres, salariés et représentants au dialogue social et, lorsque c’est possible, en commun.
  • Ouvrir aussi le dialogue social à des sujets moins clivants et plus faciles à partager : par exemple, l’environnement introduit par loi climat dans les compétentes des comités sociaux. 

René Picon-Dupré

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[1] S’agissant de la participation des salariés, il existe une vieille tradition française selon laquelle les syndicats considèrent qu’ils ont le monopole des échanges avec la direction, ce qui explique la frilosité vis-à-vis du droit d’expression directe des salariés. Pour autant, le dialogue social sera d’autant mieux perçu que son contenu ne sera pas un secret entre les "élites" que seraient la direction et les organisations syndicales, mais qu’il est accessible à tous, puisqu’il concerne tout le monde. Dans certains cas, il peut même être utile d’accepter que les personnels puissent faire part de leurs souhaits ou de leur opinion. J’ai, dans un cas précis (déménagement de service), utilisé ce moyen avec l’accord de mes organisations syndicales, en ouvrant un blog.

06/06/2022

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