Pour un développement durable de la sûreté

09/11/2020 - 5 min. de lecture

Pour un développement durable de la sûreté - Cercle K2

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Alain Winter est Commissaire général de police, Ancien Conseiller technique sécurité au Cabinet du Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de Côte d’Ivoire.

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Avant-propos

"Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus l’autorité de personne au-dessus d’eux, alors c’est le début de la tyrannie", Platon, La République.

 

Introduction

Après les émeutes de novembre 2005, je m’étais interrogé sur les causes des violences urbaines. Aujourd’hui, l’insécurité s’est aggravée, dans son expression comme dans son enracinement. Les fondements de la République sont bafoués car souvent méconnus. Les citoyens, trop peu nombreux, peinent à restaurer l’idée de l’ordre nécessaire dans le Panthéon des valeurs de la maison commune. L’œuvre à accomplir semble inaccessible tant elle nécessite une détermination sans faille de la part des gouvernants.

 

Il est toujours temps de réagir

Il n’y a pas de vie commune durable sans contrainte sociale. Le laxisme est une voie sans issue. Il faut craindre les pires dérives lorsque le renoncement et la facilité deviennent un mode de vie. Les faits sont têtus, les problèmes demeurent.

Il n’y a pas de fatalité. Certes, la tâche est devenue compliquée. Éteindre un incendie est possible avec un verre d’eau lorsque l’on intervient immédiatement. Aujourd’hui, nous pouvons faire le constat d’avoir raté quelque chose. Nous sommes tentés par un repli égoïste dès lors que les conditions de vie se dégradent. L’intérêt général n’est pas inscrit dans nos gènes, il faut des piqûres de rappel. Néanmoins, dans une société humaine, la ressource positive est disponible.

La crise est durable. Faute d’avoir réagi à temps, il convient de prendre des mesures sans doute un peu plus difficiles. Mais avions-nous le bon sens du père maghrébin, dans les années 80, qui me disait que je n’avais pas raison lorsque je lui reprochais une claque un peu trop appuyée sur son adolescent désobéissant ? Ou, à la même époque et au même endroit, lorsque le juge pénal condamnait un éducateur spécialisé de la protection judiciaire de la jeunesse qui avait la main lourde avec les mineurs fugueurs placés sous sa responsabilité, pouvions-nous envisager avoir tort ?

Préserver un équilibre entre liberté et sécurité est un objectif constant d’une démocratie. Mais il n’existe pas de liberté sans responsabilité. Il nous faut retrouver le chemin de la gratifiante responsabilité individuelle, celle qu’exerce le citoyen formé. Et ne pas hésiter à sanctionner celui qui refuse la règle commune. Je pense aussi aux étrangers qui manifestent ainsi leur volonté de ne pas s’intégrer. La sanction d’interdiction définitive sur le territoire devrait être plus systématique. Chacun à sa place doit y contribuer, car chacun est acteur de sa sécurité et participe à celle des autres. Je préfère une société de voisins solidaires à celle des voisins vigilants.

J’entendais récemment une employée d’un magasin répondre à une jeune adolescente, qui ne pouvait payer l’achat d’un livre, qu’elle n’était pas chargée de surveiller les clients, qu’un vigile le faisait. Quelques années auparavant, je constatais de visu qu’un fonctionnaire d’un consulat français accordait un visa à une femme dont l’état de grossesse avancé ne faisait pas de doute.

À l’occasion d’une réunion interministérielle, qui portait sur la fraude aux comptes publics, Monsieur Xavier Darcos m’interroge sur le bilan de l’activité de la police nationale. Je lui répondais que les services sociaux et fiscaux étaient les mieux à même pour s’organiser pour lutter contre les fraudeurs. Il confirmait la nécessité de conscientiser (de prendre conscience) face aux organisations syndicales, sans provoquer de réactions de rejet de leur part.

Invité à parler lors d’une conférence qui abordait la contribution des outils technologiques à la sécurité face à des représentants des plus grandes entreprises françaises, je me suis permis de rappeler qu’elles étaient responsables de toutes les failles de sécurité utilisées par les délinquants, faute d’avoir anticipé avec les services de sécurité intérieure, simplement parce qu’elles rejetaient par principe l’interventionnisme de l’État. C’est sans doute pourquoi, à l’occasion d’une saisine du Conseil Constitutionnel relative à une loi de finances rectificative, elles obtenaient une "rétribution légitime" pour l’exécution d’une réquisition d’un officier de police judiciaire, obérant drastiquement nos capacités de lutte contre la criminalité et le terrorisme. À l’époque, les "GAFA" n’avaient pas été conviés…

Chacun à sa place et le ruissellement fonctionnera.

 

Pas de vie commune sans règles de vie commune

Les hommes politiques doivent rappeler les principes de la vie commune. En charge de l’intérêt général, il revient aux responsables de la puissance publique de les rendre compréhensibles et acceptables par la majorité. C’est le ministère de la parole vraie. La société de l’éducation du sens, j’allais dire du bon sens, et des valeurs positives est toujours à construire.

Mais chacun à sa place peut utilement participer à cette restauration du vivre ensemble. Il faudrait plus de journalistes et moins de journaux télévisés en continu. Les parents pourraient préférer soutenir l’action des enseignants au lieu de saper l’autorité de l’adulte sur l’enfant, qui est pourtant une règle universelle. Le règne de l’enfant roi, quelle inconséquence.

Rappeler la règle, l’appliquer sans violence, sans malveillance. Comme l’écrit Beccaria au 18ème siècle, la certitude de la sanction est plus efficace que son quantum. L’usage de la contrainte doit être pédagogique pour être efficace. Dans les territoires abandonnés de la République, on rencontre des fonctionnaires qui n’aspirent qu’à en partir, tant la tâche paraît difficile. J’y ai aussi trouvé quelques missionnaires et des mercenaires. Les deux profils sont à proscrire.

La règle doit être explicite et rare. Qui peut soutenir aujourd’hui que "nul n’est censé ignorer la loi" ! Rendre simple est compliqué. Le Code de procédure pénale a doublé de volume en 30 ans, sans évaluation de l’impact. Le même diagnostic peut être établi dans la phase judiciaire du procès pénal. Le législateur pourrait être astreint à l’obligation d’abroger deux textes pour en publier un.

Restaurer l’autorité de l’État est devenu une obligation à court terme. Comme nous semble lointain le temps des gardes champêtres qui portaient une simple plaque gravée "la loi" pour se faire respecter. Renouer le lien entre la police et la population n’est pas le sujet central. Il ne faut pas le nier mais c’est plus sûrement un indicateur de la dégradation générale du civisme dans notre société. Mettre en cause de manière incessante la force publique conduit à démotiver un des acteurs essentiels à l’exercice des libertés dans une démocratie que nous souhaitons apaisée. Le bruit de fond est consternant.

Les menaces sont sérieuses. La digue doit être reconstruite par les citoyens eux-mêmes. Notre destin commun ne peut se résumer à la société de consommation, le besoin insatisfait, la frustration entretenue par une société marchande largement partagée. Les services de sécurité, quant à eux, pourront alors porter leurs efforts sur les comportements déviants les plus attentatoires à la paix publique et finalement à notre modèle de démocratie.

La sûreté est-elle une affaire de police ?

Alain Winter

09/11/2020

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