Quand les drones de surveillance deviennent des outils de préservation des libertés !
12/04/2021 - 10 min. de lecture
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Franck Richard est Avocat au Barreau de Paris, Conseiller juridique de la FPDC (Fédération Professionnelle du Drone Civil) et Membre Contributeur du Conseil pour les Drones Civils (CDC).
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Soyons heureux de constater que, à l’instar de la nouvelle législation européenne applicable aux drones civils depuis le 31 décembre 2020 (avec période de transition d’environ trois ans), la législation concernant les drones d’Etat et de sécurité civile, en terme de respect de la vie privée, est, finalement et, officiellement, en train d’évoluer dans le sens de la préservation des libertés de chacun.
Avant que d’en exposer les raisons, rappelons que, point stratégique du programme de la campagne présidentiel de 2017 de Monsieur Emmanuel Macron, la sécurité des français avait constitué une priorité de son mandat. Une sécurité, dans un premier temps, face aux incivilités, violences aux personnes, trafics de stupéfiants puis délits routiers, rapidement étendue, dans un second temps, aux menaces terroristes grandissantes et, malheureusement, factuelles et, dans un troisième temps, en réponse aux non respects des mesures d’urgences sanitaires (confinements – distanciations sociales) imposées par la pandémie de la Covid-19.
Mais, alors que, par décision du Préfet de Paris du 18 mars 2020, ce troisième volet avait amené la police à faire usage de drones de surveillances dans un programme de contrôle dit "de masse", le Conseil d’État, saisi par les associations de "La Quadrature du Net" puis de "La Ligue des Droits de l’Homme, bien que reconnaissant la nécessité de mesures de surveillances propres à limiter les effets de la pandémie, avait fini par considérer, dans sa décision du 18 mai 2020, d’une part, que ces mesures devaient "être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique", d’autre part, qu’elles devaient veiller à préserver "le droit au respect de la vie privée qui comprend le droit à la protection des données personnelles et la liberté d’aller et venir" en ce que "cela constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative".
Sur ces moyens, et ayant constaté que les drones utilisés par la police étaient dotés de moyens d’identifications de personnes et de possibilité de zoom ainsi que de vols au-dessous du plafond de 80 à 100 mètres, fixé par la fiche DOPC, le Conseil d’état avait conclu qu’il existait "un risque, de collecter des données identifiantes d’individus, donc revêtant un caractère personnel, constitutif d’atteinte aux dispositions de la directive du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales (…)".
Il avait, aussi, souligné que toutes les possibilités de captation d’images, conservation, exploitation, visionnage et autres moyens d’exploitations constituaient "un traitement" au sens de "la directive du 27 avril 2016" et au surplus, "un traitement de données à caractère personnel qui relève du champ d’application de cette (même) directive" et qui "impose une autorisation par arrêté du ou des ministres compétent et/ou par décret" en ce que ce traitement relève des dispositions de la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978.
En conséquence de quoi, quand bien même le Conseil d’État avait été amené à dire et juger que "dès lors que l’usage du dispositif de surveillance par drone avait été prévu et effectué dans le respect des dispositions de la fiche DOPC du 14 mai 2020, de sorte qu’il pouvait être considéré qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale (n’avait, ainsi, été portée) aux libertés fondamentales invoquées", savoir, au sacro-saint principe du "respect de la vie privée", "une atteinte grave et caractérisée à ce même principe découlait du simple fait des violations des dispositions conjuguées de la directive Police-Justice du 27 avril 2016 (pour risque de collecte de données identifiantes et de traitement d’images à caractère personnel) et de la Loi informatique et liberté du 6 janvier 1978 (pour absence d’autorisation du traitement de données et d’images)". À ce stade, la CNIL n’avait pas plus bougé que cela et il n’existait pas de texte officiel d’encadrement du vol des drones d’État et de Sécurité civile !
C’est dans ce contexte qu’est née la proposition de Loi n° 3452 de Monsieur Jean-Michel Fauvergue, relative à la sécurité et, logiquement dénommée, "Sécurité Globale". De par son article 22, portant sur "le titre VI du titre II du code de la sécurité intérieure (…) complété par un chapitre II dénommé "Caméras aéroportées", inclus dans son Titre III intitulé "Vidéo protection et captation d’images", elle a constitué une avancée claire et importante en faveur de l’utilisation des drones pour sauvegarde de la "sécurité globale" des français, sur le territoire français, en permettant à l’ensemble des forces de police et de sécurité, y compris, privées, d’abord, d’être "inventif et innovant afin de renforcer le continuum de sécurité, tout en respectant pleinement les identités et les missions de chacun des acteurs qui y contribuent", ensuite, "de doter chacun d’entre eux des moyens et des ressources pour assurer plus efficacement et plus simplement les missions qui leur sont confiées". Cette proposition de loi a, notamment, traité de la question du "recours à de nouveaux moyens technologiques", ce qui impliquait que la notion même de sécurité globale passe par une utilisation adaptée des outils technologiques à disposition, dont la fameuse "captation d’images" (Titre III), sujet parmi lesquels était inclus celui du "régime juridique de captation d’images par des moyens aéroportés" (Article 22 précité). Ainsi, a-t-elle prévu d’autoriser les services de l’État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale ainsi que les forces de sécurité civile "à filmer par voie aérienne pour des finalités précises, (…) en fixant les garanties qui assurent le respect des libertés publiques". Elle a, donc, précisé les modalités de mise en œuvre outre de captations d’images et, expressément, prévu une consultation, a priori, de la CNIL.
En cela, elle s’est conformée à la décision du Conseil d’État du 18 mai 2020, mais a, globalement, donné lieu à pas moins de 450 amendements dont 39 ont porté sur le seul article 22 et ses diverses alinéas. Pour autant, après discussions en séances du 20 novembre 2020, le texte de proposition de Loi a été adopté, le 24 novembre de la même année, en 1ère lecture, par l’Assemblée nationale. Mais nous en étions, seulement, au stade de l’adoption de la proposition de Loi et très loin d’être arrivé au vote d’une Loi et de ses décrets d’application. Cela n’a, malgré tout, pas dissuadé l’État, hors dispositions légales votées, de continuer ses vols de drones capteurs d’images en toute impunité et, surtout, au mépris de la décision du Conseil d’État du 18 mai 2020. Pour justifier son attitude, l’Etat n’a pas craint de se prévaloir du fait que la mise en conformité de ses procédures de surveillances par drones était en train de faire l’objet d’une proposition de loi n° 3452 dite de "Sécurité Globale" dont l’article 22 était sensé prévoir toutes conditions légales, à priori conformes "au respect de la vie privée", liées à la "vidéo protection et captation d’images « par voie aérienne ». En agissant de la sorte, l’Etat s’est comporté comme un véritable « chauffard du ciel » qui, contrôlé sans droit de voler, aurait opposé aux forces de l’ordre le fait qu’il allait bientôt en être doté ! Un véritable comble qui, rapporté à la circulation routière, verrait n’importe quel conducteur automobile se faire gravement condamner par un tribunal pour conduite sans permis. Mais, s’agissant de l’État, tout semble lui être, de facto, autorisé !
C’est, donc, dans ce contexte, plus que particulier, que des contrôles ont été diligentés par la CNIL auprès du Ministère de l’Intérieur et, précisément, au sein des services de la Police nationale et de Gendarmerie dans plusieurs villes ainsi qu’auprès de diverses communes dont les polices municipales utilisaient, également, des drones capteurs d’images. A l’issue de ces contrôles, et après l’avoir décidé en Commission restreinte du 12 janvier 2021, la CNIL a, finalement, officialisé sa sanction le 14 janvier de la même année, à l’encontre de l’État et, précisément, du Ministère de l’Intérieur, concernant l’utilisation, "estimée abusive", de drones équipés de caméras. Cependant, compte-tenu de ses pouvoirs, paradoxalement, restreints, voire inexistants, à l’encontre de l’Etat, la CNIL n’a pu officialiser qu’un simple "rappel à l’ordre par injonction de se mettre en conformité avec la Loi informatique et Libertés" en cessant de porter atteinte "grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée", sans, pour autant, pouvoir lui infliger quelque amende ou sanction que ce soit.
Voici, désormais, que, après discussions, notamment, sur la dénomination de la proposition de Loi mais, également, de l’article 22, en séance du 17 mars 2021, le Sénat s’est efforcé de tenter de redresser la barre en modifiant, en première lecture, le 18 mars de la même année, la proposition de Loi au niveau de sa dénomination en la faisant passer de « Proposition de Loi relative à la sécurité globale » à « Proposition de Loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés ». En votant ce titre, il est flagrant que le Sénat a entendu souligner la nécessité du respect du sacro-saint principe du « droit au respect de la vie privée » que le Conseil d’Etat avait mis en évidence dans sa décision du 18 mai 2020.
Le Sénat a, ainsi, officiellement, donné sa pleine puissance au pouvoir judiciaire d’Etat et démontré sa volonté de protéger la vie privée des personnes survolées par des drones d’État et de Sécurité civile tout en confirmant le principe de surveillance par drones des autorités de police, de gendarmerie, et de sécurité privée et civile. C’est un message fort qui ne manquera pas d’être relevé par toute association protectrice des intérêts des citoyens. Le Sénat a, dans le même temps, modifié la dénomination du « Chapitre II » de l’article 22 qui passe de "Caméras aéroportées" à "Caméras installées sur des aéronefs circulant sans personne à bord" tout en renforçant les mesures de protection de la vie privée en ajoutant à l’article L. 242-1 que "sont prohibés la captation du son depuis ces aéronefs, l’analyse des images issues de leurs caméras au moyen de dispositifs automatisés de reconnaissance faciale, ainsi que les interconnexions, rapprochements ou mises en relation automatisés des données à caractère personnel issues de ces traitements avec d’autres traitements de données à caractère personnel".
De multiples autres mesures de protection du citoyen sont intégrées dans ce nouveau texte mais il serait trop long de les lister dans cet article. Une consultation du texte n° 83 voté lors de la session ordinaire du Sénat du 18 mars 2021 s’impose donc de manière à bien en appréhender les mesures protectrices, lesquelles ont été confirmées en commission mixte paritaire du 29 mars 2021 chargée de proposer un texte sur les dispositions de la proposition de Loi restant en discussion et précisément, au niveau de son article 22 pour lequel Madame Alice Thourot, députée, rapporteur pour l’Assemblée nationale a exposé que : "M. Jean-Michel Fauvergue et moi vous proposons de mieux encadrer l'expérimentation de l'utilisation des drones par les polices municipales. Nous soumettons cette expérimentation à une délibération du conseil municipal, en encadrant les conditions de l'autorisation par le préfet à l'instar de ce que l'article 22 prévoit pour la police et la gendarmerie nationales. Nous limitons cette autorisation à six mois renouvelables tout en renforçant la procédure d'évaluation avec un rapport à mi-parcours et un rapport final - nous nous sommes inspirés ici des dispositions de l'article 1er. Il y aura enfin un débat au sein de l'assemblée délibérante de chaque commune à mi-chemin de l'expérimentation". C’est, ainsi, que l’article 22 a été adopté dans sa rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire !
Et, à l’occasion de sa session du 7 avril 2021, en n° 91, le Sénat a, de nouveau, modifié le titre de la proposition de Loi pour le faire passer de "Proposition de Loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés" à "Proposition pour une sécurité globale préservant les libertés". Ce titre, outre la proposition de Loi en tant que telle, et l’article 22 modifié en son article 4 (les mots « autorités publiques mentionnées » ayant été remplacés par les mots "services mentionnés") ont été adoptés dans les conditions prévues à l’article 45 (alinéas 2 et 3) de la Constitution.
Cette double adoption s’est conformée à l’esprit général du continuum de sécurité, savoir : "au-delà d’une parfaite articulation entre les différents acteurs, la "sécurité globale" passe par une utilisation adaptée des outils technologiques à disposition, dont la vidéo protection et la captation d’images (titre III). La proposition de loi adapte le régime des caméras individuelles de la police et de la gendarmerie nationales à leurs nouveaux besoins opérationnels (article 21). Elle crée le régime juridique de captation d’images par des moyens aéroportés, aujourd’hui pratiquée en l’absence de cadre clair (article 22). Le texte prévoit d’autoriser les services de l’État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale et les forces de sécurité civile à filmer par voie aérienne pour des finalités précises, ce en fixant les garanties qui assurent le respect des libertés publiques".
Incontestablement, l’ère des drones n’en n’est plus au stade de la fiction !
12/04/2021