À la poursuite de K.

07/03/2021 - 8 min. de lecture

À la poursuite de K. - Cercle K2

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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire puis directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.

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À la poursuite de K.

 

Surnommé le « Ben Laden Européen » par les Américains, Karadzic a été l’un des fugitifs les plus recherchés au monde à la fin des années 1990 jusqu’à son arrestation en juillet 2008 à Belgrade par les services secrets serbes. 

Cet ancien psychiatre, expert en délires, dont il fut lui-même le jouet, s’était reconverti dans la médecine douce et menait la vie d’un citoyen lambda, sous un nom d’emprunt et avec une nouvelle apparence physique.

Son arrestation, qui fut des plus ordinaires, constitua un réel événement. 

Le fondateur de la République Serbe de Bosnie (RS) était poursuivi par la justice internationale pour les crimes les plus abominables, dont le génocide de Srebenica. Glorifié à l’égal d’un héros national par certains de ses plus fanatiques partisans, ce personnage puissant a bénéficié de tout un réseau de soutiens qui lui a permis de mettre en défaut pendant plus de 10 ans les services de renseignement des pays les plus puissants au monde, dont ceux de la France qui participèrent activement à sa recherche.

 

« Hunting Karadzic »

Désigné sous le nom de code K, il figurait avec Ratko Mladic tout en haut de la liste officielle des criminels de guerre.

Un dispositif de renseignement et d’action avait été spécialement mis sur pied pour le rechercher, comprenant les services français de renseignement extérieur pour traiter les pays susceptibles de conserver des relations avec le fugitif comme la Serbie, le Monténégro et la Russie, et intérieur pour traiter la diaspora de l’ex Yougoslavie en France. Il comprenait aussi la force spéciale d’intervention française, qui était déployée sur une grande partie du territoire de la RS, dont la ville de Palé, fief de K et dont il s’évada une nuit de 1997 pour entrer dans la clandestinité. Les services de renseignement locaux étaient aussi impliqués mais sans grand succès tant le criminel conservait une aura ou était craint.

La force française, composée d’unités spécialisées dans le renseignement et l’action, avait un ordre de mission clair : découvrir K, l’arrêter et le transférer à La Haye.

Les règles d’engagement qui figuraient dans mes Instructions personnelles prévoyaient cependant de ne pas mener d’actions de renseignement au sein de la population. Durant mon séjour d’un an à Sarajevo, lors de mes contacts réguliers avec le chef d’Etat Major des Armées, celui-ci ne manquait jamais de me rappeler le spectre de la  «bataille d’Alger »…

 

Couper les sources de financement

Dans notre chasse au fugitif, nous eûmes recours aux cercles de la survie des criminels en fuite.

D’abord, le financement. Il fallait déterminer les aides financières dont K pouvait bénéficier. 

Or, nous avons très rapidement constaté des accointances entre les systèmes mafieux locaux et l’ancien Président. Les investigations nous ont ainsi permis de découvrir qu’une société locale de distribution de carburant lui assurait un soutien financier indirect. Nous fîmes alors pression auprès de la communauté internationale, en charge temporairement de l’administration du pays, pour faire fermer ces stations en faisant valoir que la comptabilité de la société qui les gérait était douteuse.

 

Surveiller la famille

Ensuite, la famille. La surveillance de la résidence familiale de Palé était permanente. Nous pensions en effet que, tôt ou tard, K rendrait visite à sa famille à l’occasion de fêtes ou d’anniversaires. Nous n’étions d’ailleurs pas les seuls à le penser, puisque le jour de l’enterrement de la mère de K « tous les services secrets du monde étaient présents ». 

Un effectif en renseignement important était donc consacré à la surveillance de la résidence familiale : caméras, observation humaine, photos aériennes prises par hélicoptères et drones.

Nous interceptions aussi les communications téléphoniques de la femme, des enfants et des amis connus, notamment grâce à un dispositif de relais GSM mobiles que nous placions à proximité de la résidence. L’installation de ce dispositif avait cependant pour désagrément d’interdire les communications d’autres abonnés situés sur la zone, ce qui les conduisait à signaler immédiatement le dysfonctionnement à l’opérateur qui envoyait alors sans délai des équipes de réparation (souvent armées). Nos équipes avaient à peine le temps de quitter la zone avec leur matériel.

Nous placions également sous les voitures familiales des balises émettrices afin de les suivre à la trace et de découvrir les personnes que la famille rencontrait en dehors de leur résidence. La réalisation d’une telle opération représentait cependant pour nos hommes un risque majeur qui exigeait d’eux sang-froid et courage, les voitures ciblées étant gardées par des hommes en armes. Il fallait profiter de la nuit et des moments d’inattention des gardes pour, en rampant, s’infiltrer discrètement jusque sous les voitures et y placer les balises.

Cette surveillance était rendue difficile par le soutien constant dont a bénéficié K auprès de ses proches et partisans. Si la résidence familiale était en permanence sous la protection de gardes armés, le voisinage était en perpétuel alerte et signalait tout mouvement suspect. 

La famille se savait naturellement surveillée. Elle avait ainsi l’habitude d’organiser des soirées festives rassemblant de nombreux amis afin de « noyer le poisson » et de perturber par saturation l’observation. Elle usait et abusait également de procédés de cryptages pour ses conversations téléphoniques : elle s’amusait, par exemple, se sachant écoutée, à rapporter de façon codée, sous force détails crus et grivois, les commentaires de ces soirées festives. La famille de K avait parfaitement compris que la saturation était un excellent moyen pour dérouter les services de renseignement.

 

Introuvable…

Malgré les moyens déployés, K demeurait toujours introuvable. Pas une piste n’était probante !

L’absence de résultats dans sa recherche contribua à alimenter les soupçons des Américains, voire de certains pays de l’OTAN, à l’égard des forces françaises suspectées de soutenir en sous-main les serbes.

La découverte, lors de l’une des perquisitions réalisées à la résidence familiale de K, d’anciens documents opérationnels français parmi d’autres documents serbes laissés en désordre, renforça ces soupçons. Ceci remémorait une affaire ancienne concernant un officier français soupçonné de relations contestables avec les Serbes, notamment avec K, et qui, selon les américains, avait fait capoter le plan OTAN d’arrestation du criminel. Cet officier avait dû quitter le territoire en urgence...

Il était donc urgent d’identifier une piste sérieuse.

 

K malade ?

Nous reçûmes, dans ce contexte, des informations laissant entendre que K se serait réfugié au Monténégro, pays voisin du territoire de la RS, qu’il serait malade et devait être opéré d’urgence. La surveillance personnelle du médecin de Palé fut alors renforcée.

En contrôlant la zone frontière qui pouvait servir de lieu de passage, nous y découvrîmes des galeries de mines qui se prolongeaient de part et d’autre de la rivière Neretva, frontière naturelle entre le Monténégro et la Bosnie. Ces galeries, pouvant aisément servir à dissimuler un déplacement de K sur le territoire de la RS, furent donc mises sous surveillance : un dispositif constitué d’hélicoptères équipés de capteurs infrarouges, en liaison avec des patrouilles rapides au sol, fut mis sur pied pour être déployé de nuit.

Une nuit, un hélicoptère annonça la présence d’une source de chaleur qui pouvait être celle d’une voiture positionnée dans une zone très isolée et peu habitée. Un autre hélicoptère confirma l’information dans une zone assez proche, tout aussi inhabitée. Les patrouilles au sol, pensant que K était enfin à leur portée, se rendirent alors avec beaucoup de précaution là où les sources chaudes avaient été repérées pour découvrir qu’elles provenaient… de bouilleurs de cru « sauvages » occupés à distiller la prune pour produire la fameuse Slivovitz ! La frustration était réelle, mais les nécessités de la traque reprirent rapidement le dessus.

 

K en prêtre orthodoxe ?

Nous recevions de multiples informations sur les endroits où pouvaient se terrer K et sur l’apparence qui pouvait être la sienne – nous le soupçonnions d’avoir eu recours à la chirurgie esthétique. Si la plupart de ces informations n’étaient pas probantes, certaines paraissaient plus sérieuses, notamment l’une nous désignant K déguisé en prêtre orthodoxe et caché dans un des nombreux monastères serbes qui émaillent le territoire de la RS.

Les investigations que nous avons pu y mener n’aboutir cependant à rien d’autre qu’à y découvrir des officiers et généraux serbes qui s’efforçaient à nous faire croire en nous croisant qu’ils venaient dans ces lieux de retraite pour se recueillir dans cette période d’après-conflit si dramatique !

 

Une piste dangereuse

 

L’une des dernières pistes sérieuses que nous reçûmes faillit tourner au désastre. Nous savions que K avait des liens avec la mafia et le crime organisé, dont les trafics divers se réalisaient au niveau des frontières avec la complicité des gardes-frontières de RS.

Nous avions constaté dans un espace en particulier, situé entre les zones américaine et française et laissé sans surveillance, qu’ils se livraient à un transit nocturne douteux où K aurait pu se dissimuler. Nous décidâmes alors d’y infiltrer de nuit des patrouilles d’observation. Elles détectèrent rapidement de grosses voitures aux vitres teintées et d’impressionnants 4x4. La présence de nos patrouilles fut cependant vite découverte et l’un de nos véhicules fut la cible d’un feu nourri d’armes automatiques, qui heureusement ne firent aucun blessé. Les trafiquants nous avaient pris pour des concurrents cherchant à capturer leur marché…

 

***

 

Après tant d’échecs, je me suis souvent interrogé sur d’éventuelles erreurs dans les recherches, surtout au regard des moyens humains et matériels mobilisés. Avions-nous laissé échapper un indice, un détail qui nous aurait permis de retrouver sa trace et de l’arrêter ? Avons-nous disposé de toute l’information utile pour l’accomplissement de notre mission ?

Je n’aurai jamais de réponse à cette question. Ce que je sais en revanche, c’est que, durant toutes ces années, les forces françaises et les services de renseignement n’ont pas démérité dans leur travail de recherche. Si nos efforts n’ont pas abouti à la fin des années 90, notre action a néanmoins permis d’arrêter nombre de criminels et de participer à la recherche de justice à laquelle les peuples de Bosnie aspiraient ardemment. C’est l’une des grandes fiertés de ma vie professionnelle…

Général Jean-Pierre Meyer

07/03/2021

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