Décidément, les drones et Paris ne font pas bon ménage

22/07/2021 - 8 min. de lecture

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Franck Richard est Avocat au Barreau de Paris & Conseiller Juridique de l'UNEPAT (Union Nationale des Exploitants Professionnels de l'Aéronautique Télépilotée) - Membre du CDC (Conseil pour les Drones Civils).

 

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Décidément, les drones et Paris ne font pas bon ménage 

Qu’il s’agisse des drones de la police, dans leurs missions de surveillance et de sécurité, ou de ceux utilisés par des professionnels, dans le cadre de leurs activités audiovisuelles commerciales, le constat est, aujourd’hui, très clair : le survol par drones de la plus belle ville du monde continue de fortement déplaire. Ce constat découle, désormais, soit de la position adoptée par le Conseil Constitutionnel à propos de la Loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour la « Sécurité globale préservant les libertés », soit de celle de la Préfecture, elle-même, qui semble appliquer la formule selon laquelle : « si mes drones ne peuvent pas voler, les tiens ne le pourront pas non plus ! ». Cette formule est-elle l’expression d’un excès d’orgueil ou d’une volonté de protection du territoire ? Pour mieux en comprendre le sens, un retour aux sources s’impose.

18 mars 2020, suite au non respect des mesures d’urgences sanitaires (confinements – distanciations sociales), imposées par la pandémie de la Covid-19, Monsieur le Préfet de Paris, soucieux de veiller au maintien du « principe de sécurité », cher au programme présidentiel de Monsieur Emmanuel MACRON, avait pris la décision de faire usage de drones de surveillances dans un programme de contrôle dit « de masse ».

Cependant, dans sa décision du 18 mai 2020, saisi par les associations de "La Quadrature du Net" puis de "La Ligue des Droits de l’Homme », le Conseil d’Etat avait fini par considérer, d’une part, que ces mesures devaient "être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique", d’autre part, qu’elles devaient veiller à  préserver "le droit au respect de la vie privée qui comprend le droit à la protection des données personnelles et la liberté d’aller et venir" en ce que "cela constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative". En conséquence de quoi, le Conseil d’État avait été amené à dire et juger que l’utilisation des drones par la Préfecture de police de PARIS constituait "une atteinte grave et caractérisée au principe du respect de la vie privée » découlant du simple fait des violations des dispositions conjuguées de la directive Police-Justice du 27 avril 2016 (pour risque de collecte de données identifiantes et de traitement d’images à caractère personnel) et de la Loi informatique et liberté du 6 janvier 1978 (pour absence d’autorisation du traitement de données et d’images)". De son côté, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies s’était inquiété de l’usage des drones pour la prévention d’actes terroristes, dénonçant le fait que l’article 22 ne respectait pas les « principes de nécessité et de proportionnalité » en ce que l’objectif n’était pas « défini avec suffisamment de clarté et de précision, conformément aux exigences du droit international ».

C’est dans ce contexte que, le 20 octobre 2020, est née la proposition de Loi n° 3452 relative à la sécurité et, logiquement, dénommée, "Sécurité Globale", laquelle a repris les conclusions du rapport de la mission parlementaire remis, en septembre 2018, au Premier ministre, par Madame la Député Alice THOUROT et  Monsieur Jean-Michel FAUVERGUE (Député et ancien patron du RAID). 

C’est ainsi que, par son article 22 – Chapitre 2 « Caméras aéroportées », inséré dans le Titre III « Vidéo protection et captation d’images », la proposition de Loi a crée le régime juridique de la captation d’images par des moyens aéroportés, le principe étant d’autoriser les services de l’État concourant à la sécurité intérieure et à la défense nationale, outre les forces de sécurité civile, à filmer par voie aérienne pour des finalités précises, tout en fixant toutes garanties qui assurent le respect des libertés publiques. En cela, elle s’est, théoriquement, conformée à la décision du Conseil d’État du 18 mai 2020 de sorte que la Préfecture de police de PARIS s’est crue légitime de faire, à nouveau, voler ses drones de surveillance. C’était sans compter les contrôles opérés par la CNIL alors même que les drones volaient sans qu’aucun texte d’encadrement légal ne soit, encore, officiellement et définitivement, voté.

Ainsi, le 14 janvier 2021, après l’avoir décidé en Commission restreinte le 12 janvier de la même année, la CNIL n’a pas manqué d’officialiser sa sanction à l’encontre de l’État et, précisément, du Ministère de l’Intérieur, concernant l’utilisation, "estimée abusive", de drones équipés de caméras, par le biais d’un simple "rappel à l’ordre par injonction de se mettre en conformité avec la Loi informatique et Libertés" en cessant de porter "atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée".

C’est dans cet esprit que, le 18 mars 2021, le Sénat a fait voter la modification de la dénomination de la proposition de Loi en la faisant passer de « Proposition de Loi relative à la sécurité globale » à « Proposition de Loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés », entendant, ainsi, souligner la nécessité du respect du sacro-saint principe du « droit au respect de la vie privée » que le Conseil d’Etat avait mis en évidence dans sa décision du 18 mai 2020. Dans le même temps, le Sénat a modifié la dénomination du « Chapitre II » de l’article 22 qui est, ainsi, passé de "Caméras aéroportées" à "Caméras installées sur des aéronefs circulant sans personne à bord". Il a, en outre, cherché à renforcer les mesures de protection de la vie privée en ajoutant à l’article L. 242-1 que : "sont prohibés la captation du son depuis ces aéronefs, l’analyse des images issues de leurs caméras au moyen de dispositifs automatisés de reconnaissance faciale, ainsi que les interconnexions, rapprochements ou mises en relation automatisés des données à caractère personnel issues de ces traitements avec d’autres traitements de données à caractère personnel".

A l’occasion de sa session du 7 avril 2021, le Sénat a entendu renforcer ces mesures de protection de la vie privée en changeant, à nouveau, la dénomination de la proposition de Loi pour la faire passer, une fois votée, de "Proposition de Loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés" à "Proposition pour une sécurité globale préservant les libertés".

Le 15 avril 2021, la proposition de Loi a, alors, été définitivement adoptée par le Parlement, par 75 voix contre 33 mais, le 20 avril dernier, le Premier Ministre ainsi que la gauche parlementaire (pas moins de 87 députés), outre 90 sénateurs, n’ont pas manqué de déposer des recours devant le Conseil constitutionnel.

Le 20 mai 2021, selon décision 2021-817 DC, le Conseil constitutionnel s’est positionné sur une « non-conformité partielle » de la Loi, sur plusieurs de ses articles dont sur l’essentiel de l’article 22 (devenu 47), estimant que le législateur ne l’avait pas assorti des « garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée ». En effet, du point de vue du Conseil constitutionnel « pour répondre aux objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, (s’il est admis que) le législateur peut autoriser la captation, l'enregistrement et la transmission d'images par des aéronefs circulant sans pilote à bord aux fins de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales ou aux fins de maintien de l'ordre et de la sécurité publics, il y a, (toutefois, impérativement) lieu de veiller à ce que la mise en œuvre de tels systèmes de surveillance soit assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée ». Or, « Eu égard à leur mobilité et à la hauteur à laquelle (les drones de la police)  peuvent évoluer, le Conseil constitutionnel a considéré que ces appareils étaient susceptibles de capter, en tout lieu et sans que leur présence soit détectée, des images d’un nombre très important de personnes et de suivre leurs déplacements dans un vaste périmètre de sorte qu’il a jugé que le Législateur n’avait pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée. », ce qui, du point de vue des « Sages » portait gravement atteinte au principe du « respect de la vie privée » et, partant, devenait anti constitutionnel ! D’où la nécessité d’être plus précis et encore plus encadré que ce qu’avait prévu le texte initial objet de son examen !

Malgré tout, le 26 mai 2021, le Président de la République n’a pas craint de promulguer la Loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés dans sa version comportant à TROIS (3) reprises la mention : [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-817 DC du 20 mai 2021.]. Afin de ne pas alourdir le présent article, je vous invite à en prendre pleine lecture, directement, sur le JORF (Journal Officiel de la République Française) n° 120 via le site, bien connu des professionnels, dénommé : « Legifrance ». 

En conclusions, après avoir été sanctionné par le Conseil d’Etat, puis rappelé à l’ordre par la CNIL et déclaré partiellement, mais substantiellement, inconstitutionnel par les « Sages », en sa version légale récemment adoptée, l’usage des drones de la police ou, plus généralement, de surveillance, avec captation d’images, en l’état des dispositions légales existantes, n’a pas fini de susciter polémiques et procédures sur fond d’orgueil exacerbé et de réelles frustrations de la part de la Préfecture de PARIS qui, objectivement, toujours actuellement privée de ses moyens aériens de surveillance et de maintien de l’ordre en vue d’assurer la sécurité publique entend reporter ses insatisfactions et privations sur les professionnels du drone civil qui souhaitent survoler PARIS en drone pour la réalisation de reportages et de divers films d’entreprises ou publicitaires.

Il serait, pourtant, si simple d’inviter les professionnels du monde des drones civils, comme les spécialistes du droit, à conseiller les politiques en vue d’une rédaction de textes conformes aux besoins et attentes recherchés par le « continuum de sécurité » voulu par la Présidence de la République tout en préservant les règles constitutionnelles Françaises soucieuses de privilégier le sacro-saint principe du « respect de la vie privée » ! Gageons que le « Think tank – Initiative sécurité intérieure » lancé à quelques mois de l’élection présidentielle par Linda KEBBAB, déléguée nationale du Syndicat Police FO, et qui comptera parmi ses membres, notamment, Monsieur FAUVERGUE mais, également, des personnalités de la police, de la gendarmerie et de la magistrature, soit à même de proposer des textes venant concrètement répondre aux attentes du Conseil d’état, de la CNIL et du Conseil constitutionnel. Cela constituerait une avancée positive allant dans le sens de l’utilité de favoriser l’utilisation et l’émergence des drones dans tous domaines utiles à un avenir moderne !

Franck Richard 

22/07/2021

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