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Luc Rudolph est ancien Directeur des services actifs de la Police nationale & Auteur.
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Christian Bernadac est l’auteur d’une somme remarquable sur les camps de concentration allemands. Dans son dernier opus[1], son policier de père, Robert Bernadac, ancien déporté, raconte avec émotion et sincérité son expérience parisienne. « Ce que je sais, c’est qu’autour de moi, dans le quatrième, le onzième et bien évidemment le troisième, des policiers passaient chaque matin deux ou trois heures à ‘faire la tournée’ pour avertir ‘ceux qui étaient sur les listes’. Ce que je sais c’est que d’autres policiers passaient chaque matin deux ou trois heures au téléphone. J’ai entendu plus de cent communications de ce genre.
- Il vous faut partir, disparaître. On va venir vous arrêter demain.
- Ayez l’obligeance d’avertir ces trois personnes qui habitent votre rue. Elles n’ont pas le téléphone.
- Peu importe qui je suis. Disons quelqu’un proche de la police et des Allemands qui a vu votre nom.
- Non, pas d’autre solution. Partez. Partez vite. Je vous en prie. Je vous en supplie.
Oui. Je le jure, j’ai entendu des flics, des flics français, des petits flics français dire au téléphone : ‘partez, je vous en supplie’.
Et le lendemain, ils étaient là, debout près de leurs valises, à attendre que l’on vienne les cueillir. Pourquoi au moins quatre-vingt pour cent de ceux que nous avions prévenus ne se sont pas enfuis ? Pourquoi ? Certains avaient même été alertés par deux policiers différents. Pourquoi ?
Un matin, entre six et sept heures, avec un inspecteur, nous avons conseillé à onze familles de fuir. Elles avaient quatre heures de sursis. Quatre heures, au moins dans un premier temps, au moins pour changer de domicile. Nous avons prononcé les mots de déportation, camps de concentration en Allemagne. Tous ont dit : ‘Merci, nous partons sur le champ’. Quatre heures plus tard, aucun n’avait bougé. Pourquoi ? »
Ce que nous savons aujourd’hui, contre toute idée reçue, c’est que de nombreux policiers l’ont imité, contribuant à éviter que les Juifs français connaissent des taux de déportation frôlant les 100%, comme ailleurs en Europe. Ce qui est sûr c’est que sur les 4100 Justes français, 57 sont des policiers : un pourcentage sensiblement supérieur à celui de la moyenne de la population. Comment méconnaître aujourd’hui de belles figures comme le gardien de la paix parisien Théophile Larue, qui avec son épouse sauva des familles entières. Ou le gardien Pierre Marie Dumoulin qui, au sauvetage des Juifs alliait un singulier courage au combat : il mourut fusillé à Vincennes en août 1944. Tel encore le commissaire résistant Jean Phillipe de Toulouse, assassiné en déportation et auteur d’une courageuse lettre dans laquelle il dit refuser « de persécuter les israélites dans le cadre d’une politique qui n’est pas conforme à (son) idéal ». Tel aussi le secrétaire de police Alfred Thimmesch de Voiron, qui meurt en déportation pour avoir établi de nombreux faux-papiers au profit de fugitifs juifs. Sans oublier l’admirable groupe des policiers nancéens qui fit échouer toutes les rafles ou le gardien du Puy Marcel Fachaux et son épouse : « tout Juif qui a survécu au Puy doit sa vie à Marcel Fachaux » (Agathe Singer).
Des policiers ont contribué à arrêter des Juifs : leur action a été engagée par des responsables blanchis de leurs méfaits, tels les politiques, ou René Bousquet et Amédée Bussière. Et d’autres groupes sociaux, oubliés, ont concouru autant qu’eux à l’horreur : les agents des chemins de fer ou les conducteurs de bus, l’administration préfectorale, les gendarmes et tous ceux pour lesquels les Juifs étaient des « étrangers » asociaux, à refouler du pays. Aujourd’hui on n’en retient que les policiers, les boucs émissaires les plus faciles… Et ce sont finalement les victimes elles-mêmes qui rendront justice aux policiers et gendarmes qui ont largement contribué aux sauvetages.
[1] Le Rouge-gorge, pseudonyme de Robert Bernadac au réseau L’Alliance dont il fut un des radios.
09/07/2020