Est-il possible d’envisager une croissance durable de l’Industrie Pharmaceutique ?
04/02/2024 - 3 min. de lecture
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Philippe Mourouga est VP International Partner Markets, Biogen Intercontinental Region.
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Est-il possible d’envisager une croissance durable de l’Industrie Pharmaceutique ?
Depuis une dizaine d'années, de nombreuses organisations dans différents pays ont lancé des avertissements concernant l'augmentation exponentielle du prix des médicaments et le coût pour la société d’une telle augmentation. Cette controverse centrée sur le prix des nouveaux médicaments innovants ne tient malheureusement pas compte des exigences du modèle économique permettant à l'industrie pharmaceutique de soutenir son investissement dans l’innovation médicale. En considérant le prix sans tenir compte de l'investissement et du risque, on ne rend pas justice à la complexité du financement du développement des médicaments. Un retour sur l'histoire et les fondamentaux du modèle pharmaceutique est une manière d’aborder ce débat avec une perspective différente afin de permettre un débat plus serein sur le rôle et les devoirs de l'industrie pharmaceutique envers la société.
Les multiples dimensions de la science : un débat vivant
Merton définit la science comme "une recherche désintéressée de la vérité avant d'être un moyen de subsistance". La notion de "capital scientifique, un type particulier de capital symbolique" reprend cette même notion. Dans les deux cas, la dimension économique et matérielle apparaît comme non essentielle à la science. Le capitalisme industriel qui s'est construit tout au long de 19ème et 20ème siècles a changé cette perspective en introduisant une dimension économique à cette approche. Cette période est aussi celle où la science s'autonomise et évolue vers le concept de "science commerciale" : les scientifiques se transforment en "civic scientists" ou en scientifiques qui mettent leurs compétences au service de l'industrie. L'association de la science au capitalisme industriel créatrice de valeur pose dès lors le problème du partage de cette valeur entre les différents acteurs directement ou indirectement liés à sa production. Max Weber a déclaré en son temps que "la première loi rationnelle sur les brevets était une innovation positive" qui a permis à l'innovation de transformer le capitalisme industriel. Grâce à la notion de "propriété scientifique", qui englobe toutes les dimensions de la propriété intellectuelle dans le domaine de la science, et à l'utilisation du brevet comme outil pour transformer cette propriété scientifique en un actif économique, les scientifiques et l'industrie ont trouvé un terrain d'entente. Suivant ce principe, l'industrie pharmaceutique a construit son modèle commercial sur le développement d'innovations amenées à révolutionner la médecine établissant ainsi un contrat moral : les scientifiques font des découvertes transformatives, l'industrie pharmaceutique explore et prend des risques pour développer des médicaments basés sur ces découvertes, et la société récompense cet effort en autorisant la commercialisation de ces innovations. Ce modèle repose sur les mêmes fondamentaux que ceux mis en place au 18ème siècle ayant permis le développement rapide des inventions à l’origine de la révolution industrielle : le secteur privé investit en prenant des risques afin d'amener la société à un âge d'or technologique. Toutefois, au cours des 20 dernières années, ce contrat moral entre l'industrie pharmaceutique et la société civile a été mis à mal par l'impression que "Big Pharma" a abusé de sa position dominante et a remplacé la recherche de l'innovation par la recherche du profit. De nombreux acteurs du monde de la santé considèrent qu'un modèle centré sur le consommateur a lentement remplacé un modèle fondé sur la science et l'innovation, dont la principale "raison d'être" a toujours été la promesse d’une amélioration de la santé de l’humanité.
Comment un tel changement a-t-il pu se produire ?
Plusieurs explications peuvent être avancées : la consumérisation du modèle du médicament, la complexité croissante de la recherche biomédicale qui multiplie les coûts d'investissement et la nécessité de maintenir un profil de rentabilité élevé afin de conserver l'intérêt des investisseurs en sont quelques-unes.
Dans une série d'articles, j'essaierai d'apporter une perspective différente au débat. Plusieurs angles seront examinés : le contexte historique du développement de l'innovation, les nouveaux défis du financement de l'innovation, une analyse financière de 14 grands groupes pharmaceutiques mondiaux avec une discussion sur les paramètres essentiels du modèle actuel, une description des principales approches du prix des médicaments dans le monde et l'importance des génériques dans la maîtrise de l'équilibre des coûts et enfin une série d'idées qui pourraient aider l’industrie pharmaceutique à relever les défis à venir. Le dernier article sera une réflexion sur le rôle des actionnaires et des investisseurs dans l'évolution du business model des entreprises pharmaceutiques. Certains principes visant à optimiser les approches actuelles en matière de fixation des prix des médicaments seront également mis en évidence : renforcer la fixation des prix en fonction de la valeur et de l'efficacité des coûts, améliorer la transparence des prix, exploiter plus largement le pouvoir des génériques et réduire les écarts de prix à l'échelle mondiale.
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Bibliographie
1. "Les priorités dans les découvertes scientifiques. Un chapitre de la sociologie de la science", American sociological review, vol. 22, n° 6, 1957, p. 659.
2. Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons d'agir, 2001.
3. Paul Lucier, "Commercial science" in Bernard Lightman (dir.), A companion to the History of Science, Chichester, John Wiley & Sons, 2016, p. 268-281.
4. Robert Kragon, "Science" in Victorian Manchester, Manchester, Manchester University Press, 1977.
04/02/2024