Fragmentation et désunion sociales ; fragilité collective
16/12/2021 - 4 min. de lecture
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Eric Fromant est Conseil en redéploiement stratégique & Expert en économie de fonctionnalité.
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L’Histoire est une somme extraordinaire d’expériences, de succès et d’échecs. Paul Valéry disait : "la tradition d’aujourd’hui est le progrès d’hier ; le progrès d’aujourd’hui sera la tradition de demain", mais il ajoutait : "si le progrès est un changement, tout changement n’est pas nécessairement un progrès".
La petite Histoire est aussi pleine d’enseignements que la grande. Le 19ème siècle nous paraît loin. Pourtant, la Société était, pour l’essentiel, la même que ceux qui sont nés après-guerre ont connue. Prenons la Société de 1850, représentative de la Société traditionnelle, d’autant que le régime de l’époque, le Second Empire, se voulait rassembleur, organisateur de la synthèse de tous les courants.
Cette Société était très inégale dans les faits et même dans le droit puisque la Révolution et le Premier Empire avaient retiré aux femmes les droits et l’influence dont elles disposaient avant, et le droit de vote leur sera refusé jusqu’en 1944. Il suffit de lire Dickens, et Zola ou Hector Malo pour la France, pour prendre conscience de la misère des ouvriers. Le droit de vote a été très limité jusqu’en 1944, même pour les hommes. En compensation, la courtoisie était de rigueur, de nombreuses marques de respect accompagnaient la galanterie. Les hommes se découvraient lorsqu’ils rencontraient une femme qu’ils connaissaient. Les entreprises commençaient à créer des dispensaires, des écoles, pour leurs employés. Dans l’armée, le chapelain était hiérarchiquement inférieur aux officiers, mais même le général se découvrait de son képi devant sa condition de prêtre. Il y avait à la fois de fortes inégalités et un savoir-vivre qui visait à les adoucir.
La Société de l’époque était apaisée sur le plan religieux, les protestants ayant été soumis deux siècles plus tôt et, s’ils constituaient encore une communauté importante, ils ne rêvaient plus d’imposer leur conception de la religion. L’athéisme né avec la Révolution restait vivace mais personne n’imaginait alors la nouvelle guerre qui éclaterait avec la prise du pouvoir par les Républicains en 1870. La Société était donc homogène malgré sa diversité car, au-dessus des diverses opinions, il y avait la référence incontestée à la Patrie. C’est d’ailleurs ce qui a permis à la Troisième République de mobiliser les Français pour reprendre l’Alsace et la Lorraine.
L’étymologie du mot religion est discutée depuis les Romains. Cicéron y a vu relegere, qui signifie relire, et Servius celle de religare signifiant relier. Nous ne rentrerons pas dans cette querelle d’experts, d’autant qu’il nous semble qu’elles convergent : relire quoi sinon les textes sacrés, nécessairement peu nombreux et constituant une référence commune. La religion est donc bien ce squelette de la forme d’esprit d’un peuple. Et, si cette religion a pu être remplacée par des idéologies, le raisonnement s’applique de la même manière. Elles peuvent d’ailleurs converger, comme Staline l’a voulu en libérant les prêtres, réautorisant la religion orthodoxe, en échange du soutien de l’Église contre l’envahisseur Allemand.
Aujourd’hui, au motif de la diversité et des droits des minorités opprimées, fussent-elles infimes comme les transgenres qui se situent entre 0,1 et 0,5 %, la Société se fragmente : les femmes contre les hommes, les enfants contre les parents, les Noirs contre les Blancs, les musulmans contre les chrétiens et les athées, etc. La liste pourrait être très longue. Quelques fois, le désir d’ouvrir une identité reconnue ayant des droits conduit à contester les droits d’une autre, comme l’acceptation par les autorités sportives d’hommes devenus femmes dans des compétitions féminines où "ils-elles" raflent les podiums, gardant l’avantage physique des hommes et provoquant la colère des féministes.
Si tout cela se passait dans la courtoisie et le respect de l’autre, il pourrait apparaître une solution, un compromis, mais chaque "communauté", pour reprendre un mot qui, dans ce sens, a traversé l’Atlantique, considère "qu’elle ne peut que défendre ses propres droits, toujours mis en cause par les autres".
Notre époque apparaît alors comme totalement différente de la Société traditionnelle : où est le ciment qui transcendait les opinions, les habitudes, les traditions régionales, les revendications ? La religion chrétienne a été rejetée aux marges du quotidien, les centres commerciaux ont remplacé les églises pour adorer le Dieu de la consommation, l’individualisme ne comprend pas ce que peut signifier Patrie ou Nation, l’avenir ne peut se concevoir dans une quelconque transcendance et la ligne de conduite la mieux comprise est que, dans une Société si peu séduisante, le mieux est de savoir tirer son épingle du jeu.
Mais comment avoir un avenir personnel dans une collectivité dans laquelle on ne croit pas, à qui on dénie toute supériorité ? Un proverbe finlandais dit : «"il y a toujours une armée dans un pays, si ce n’est pas celle du pays, c’est celle du pays d‘à côté !". Qui défend la déroute de 1940 ? Personne, mais qui propose une transcendance collective qui, justement, manquait à cette époque, conséquence d’une victoire de 1918 glorieuse mais dévastatrice ? Il était à la mode, et confortable, il y a quelques années de voir la société bisounours, mais qui peut encore y croire aujourd’hui ?
Le monde est tellement interconnecté qu’on ne contrôle plus rien, selon la formule de Klaus Schwab, Président fondateur du Forum économique mondial. Nous vivons dans un mikado où on ne peut toucher à un élément sans faire bouger le tout, sans pouvoir savoir quelles en seront les conséquences. Cela ressemble fort à 1914, où l’attentat de Sarajevo a déclenché, par le jeu des alliances, l’effroyable première guerre mondiale. Ici, le mikado est intérieur à la France, mais comme il existe dans toute l’Europe, et bien au-delà, qui peut dire qu’une malheureuse allumette ne pourrait pas mettre le feu à la terre entière ?
Si une transcendance trop poussée a pu, dans le passé, conduire à des folies, son absence absolue risque bien de conduire au même résultat !
L’Homme est-il capable de mesure ?
George Santayana dans The life of reason, a écrit : "ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter". L’Histoire le montre, mais montre aussi quel en est le prix : un haut niveau de souffrance !
Saurons-nous voir plus loin que l’instant présent et les passions non maîtrisées que cette limite entraîne ? Saurons-nous, à temps, apprendre de l’Histoire pour construire notre avenir ?
16/12/2021