L’excellence Opérationnelle – une vision efficiente (Partie 2)

15/06/2022 - 9 min. de lecture

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Youness Laamiri est Ingénieur excellence opérationnelle chez SPIE Nucléaire et Lionel Faure Directeur de projet de performance industrielle et digital.

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L’excellence Opérationnelle – une vision efficiente

Introduction

Dans la précédente tribune « L’excellence opérationnelle (partie 1) – une démarche universelle de progrès », nous avons abordé les aspects techniques de l’excellence opérationnelle (le Lean et le Six Sigma, préparer et conduire le changement, les Belts et le DMAIC), dans celle-ci, nous allons décrire les aspects stratégiques.

Toute entreprise courageuse et ambitieuse cherche à exceller dans son domaine et espère transformer les signaux de son environnement en son avantage. Jean Jaurès a dit du courage « … le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ». Le marketing moderne promeut la nécessité de former, créer et communiquer une image de marque puissante pour se différencier de la concurrence. Pour cela, la trilogie mission-vision-valeurs, chère à nos étudiants et professionnels du marketing est importante, mais elle n’est pas suffisante pour atteindre l’excellence.

Il est important que chaque entreprise ambitieuse ait une mission qui porte sur le présent, une vision qui la projette dans le futur et des valeurs qu’elle défend et transmet à travers son positionnement et son leadership. Ce qui manque à ce triptyque est bien le principe directeur que nous appelons politique et le centre de gravité qui permet d’atteindre les résultats que nous appelons stratégie.

Comment la stratégie de l’excellence opérationnelle prend forme ?

 

Le Hoshin Kanri ou la stratégie de l’Excellence opérationnelle

Hoshin Kanri (HK) provient du japonais et veut dire se guider avec une boussole ou gérer sa direction. Le Hoshin Kanri est un outil que nous utilisons pour aligner les objectifs stratégiques de l’entreprise avec les plans de gestion intermédiaire (tactique) et le travail de production de la valeur par les opérationnels (opérations), il permet de déployer efficacement une stratégie à long terme.

Nous avons insisté dans la tribune précédente sur la nécessité d’avoir une stratégie et une cible à atteindre pour conduire une transformation. Sans cette boussole, il n’est pas possible d’espérer à l’excellence.

Le Hoshin Kanri aide les décideurs dans la définition de leurs visions à 5, à 3 et à 1 an. Le HK permet une analyse stratégique de l’existant puis de définir les objectifs de percée[i]. À partir de ce travail, le management se penche sur la construction de projets structurants en se focalisant sur les priorités à 3-5 ans et sur une déclinaison des objectifs annuels.

Le management pilote ainsi chaque projet structurant à l’aide du DMAIC (cf. tribune partie 1) ou une autre démarche comme le PDCA[ii]…, nommé à la tête de chaque projet, un Belt (cf. tribune partie 1) chargé de sa réalisation et champion (cf. tribune partie 1) qui s’engage à faire des revues trimestrielles et mensuelles de chaque projet.

Le Hoshin Kanri permet d’associer la vision à long terme à la vision à court terme et aux projets structurants. Permets également de corréler le plan d’action annuel aux objectifs stratégiques et aux projets structurants.  En résumé, le HK est un outil très performant pour savoir qui travaille sur quoi, quelles sont les objectifs (par percée) à atteindre, le chemin critique et le jalon du projet, le BSC[iii] à surveiller et ROI à atteindre.

 

Comment cela fonctionne : étude de cas

L’entreprise EXOP conçoit, développe et commercialise des produits et des services de grandes consommations, avec 12% des parts de marché mondial et une croissance de 4% par rapport à 2021, elle occupe la position 7 mondialement.

Pour répondre aux nouvelles attentes du marché et notamment aux récentes évolutions réglementaires, économiques et environnementales, le directeur général, sollicite le département de l’excellence opérationnelle. L’objectif est de réaliser un diagnostic Lean, auprès des départements de production, ressources humaines, recherche et développement, qualité, achats et projets. Il a mobilisé ses responsables des BUIV pour y contribuer et partager leur vision de façon transparente, objective et complète, aux membres de l’équipe excellence opérationnelle.

Trois semaines plus tard, l’équipe excellence opérationnelle présente son travail au comité de direction de l’unité, en présence du directeur général et de l’ensemble des participants au diagnostic. Chaque observation décrit de façon documentée l’environnement du travail et complété par des éléments factuels confirmés par les participants.

La restitution décompose les observations en 6 catégories, en voici quelques exemples :

  • Le management : focalisé sur la gestion des urgences et des aléas, sollicitée régulièrement par le client, ne résolvant pas les problèmes, mais les contournant, ne déléguant pas, définissant les objectifs sans en donner le sens, ne pratiquant pas le feedback et ne pilotant pas le progrès. Certaines équipes sont en souffrance, car la charge de travail est mal répartie, certains sont en surcharge et d’autres en sous-charge …
  • Les processus : compartimentés, complexes, lents et avec des activités goulots et chronophages (manuels) …
  • Le pilotage : une équipe de managers décorrélée des réalités du terrain, pilotant uniquement avec le chiffre d’affaires et la marge, ne traitant pas les remontées terrain et ne valorisant pas les succès …
  • La méthode : quelques standards existants, mais non visuels et ne décrivant pas les opérations actuelles …
  • Les compétences : manque de capacité d’adaptation, lacunes dans les compétences techniques, sans connaissance des règles de l’art et sans plan de formation corrélé aux besoins de l’industrie …
  • La communication : manque de transparence, aucune communication sur la stratégie de l’entreprise, communication informelle, voire confidentielle, sans informations descendantes et donc sans connaissance des objectifs de l’entreprise…

Ces constats ont eu un effet « douche froide » sur les managers et sur la direction générale. C’est quelque part l’effet recherché par l’équipe excellence opérationnelle, celui de créer le sentiment d’urgence, première étape de la conduite du changement.

L’équipe excellence opérationnelle a mis à disposition à l’ensemble des participants les éléments collectés pour alimenter leurs réflexions, la « nuit porte conseil ». Le lendemain, le directeur général a réuni l’ensemble des participants pour commenter les constats et pour développer une vision commune. Nous nous rendons compte que c’est à ce moment-là que les coalitions commencent à se former et souvent selon le même schéma sociodynamique suivant :

  • Les pour avec une nuance qui varie entre les constructifs, les suiveurs et les engagés ;
  • Les hésitants qui regroupent les passifs et les déchirés ;
  • Les contre qui regroupent les mécontents, les opposants et les révoltés.

Tout d’abord, les contre, attaquent en remettant en cause l’exhaustivité des observations, la particularisation, le contexte, la complexité de l’environnement, les échecs passés, voire la compétence des auditeurs … en adoptant une posture de justification. Les pour avec enthousiasme rappellent les succès passés, la réussite de la démarche Lean dans d’autres environnements, demandent de co-construire des projets d’amélioration et insistent sur l’alignement pour avancer vers un objectif commun. Les hésitants pensent en silence à comment rallier les enjeux de pouvoir à la performance individuelle.

Un coaching individuel du directeur général, pour lui expliquer les états d’esprit et les schémas sociodynamiques est important, car sa réaction à ce moment-là est décisive, elle conduit soit au succès soit à l’échec de la transformation. D’après notre expérience, il y a environ 20% de pour, 20% de contre et 60% d’indécis.

Le directeur général a écouté l’ensemble des parties prenantes, accompagné d’un coach externe, a monté deux groupes de travail pour identifier et dissoudre les doutes et les freins. Ceci a permis à tous de s’exprimer sur un terrain neutre et de formaliser leurs inquiétudes. Cet exercice permet généralement de convertir 10% des indécis en suiveurs ou constructifs.

L’équipe excellence opérationnelle a dressé une cartographie des parties prenantes et a identifié les potentiels porteurs des plans de progrès puis a formulé des recommandations auprès du directeur général.

Le responsable de production a, par exemple, porté un projet de mise en place d’une unité élémentaire de production.

 

La mise en place d’une unité élémentaire

Au niveau de l’entreprise

Lorsqu’une démarche d’excellence opérationnelle est engagée dans une entreprise, il est conseillé de démarrer par un état des lieux. Pour se faire, un audit initial est réalisé, évaluant la maturité de l’entreprise en termes de standards (leur existence et leur complétude), de fiches de postes (connaissance de ce qui doit être réalisé), de contrats d’objectifs (cohérence des objectifs et connaissance), de compétences (niveau de compétences en adéquation avec les besoins), de planning des activités (existence et cohérence des plannings) …

Cet audit initial doit ensuite déboucher sur un plan de montée en maturité. Une gradation peut être mise en place avec un certain nombre de niveaux, validés à chaque fois par un nouvel audit de maturité pour chacune des Entités de l’entreprise.

 

Au niveau de l’unité

Lorsqu’un manager met en place une unité élémentaire de fabrication, il prend soin de bien définir son périmètre d’intervention :

  • Quels sont mes clients ?
  • Quels sont mes fournisseurs ?
  • Quels sont les processus (et standards) dont mon unité a la charge et sur lesquels elle intervient ?
  • Quelles sont mes données d’entrée et de sortie ?
  • Quels sont mes indicateurs de résultats et de moyens ?

Ces informations permettent d’établir le contrat d’objectifs, cohérent avec les unités partenaires. Une unité élémentaire s’inscrivant dans l’organisation globale de l’entreprise. Le contrat d’objectifs est notamment une liste d’actions permettant de répondre aux besoins-exigences des clients de l’unité. Il contient le nom des pilotes, les délais et les indicateurs associés (limités et SMARTV), et est animé régulièrement et au moins mensuellement : où en sommes-nous par rapport aux objectifs fixés ?  

Le manager consigne donc, avec son équipe, les éléments ci-dessus. Il fait aussi la liste de ses collaborateurs et établit un tableau de polyvalence. Par rapport aux fiches de postes ou de fonction relatives à ses collaborateurs, il établit la liste des connaissances et compétences requises avec un niveau d’expertise associé. Une représentation sous forme de radars est établie pour chacun des collaborateurs et pour l’unité. Ces radars seront utilisés pour établir les plans de montée en compétence de chacun et pour l’unité : plan de formation, plan d’accompagnement donc mis en situation, coaching …

« La seule véritable erreur est celle dont on ne retire aucun enseignement » d’après John Powell, le manager organise et valorise la mise en place du retour d’expérience, s’appuyant sur les réclamations et les retours clients ainsi que sur les erreurs du passé et du présent, mettant en place, par exemple, un système de poka-yoke (détrompeurs) pour s’assurer que ces mêmes « erreurs » ne se reproduiront plus, voire ne se produiront pas sur des produits équivalents. Il est important de faire « entrer » le client dans l’usine.

Lors des animations journalières de l’unité (autres que celles relatives au contrat d’objectif), chaque collaborateur vient indiquer ses succès, ses difficultés, son avancement d’actions … Il est très important que le manager prenne en compte les difficultés de ses collaborateurs, car il peut décider de faire appel à un expert, escalader … sans déresponsabiliser le collaborateur en charge et surtout sans dénigrer son travail, « chaque difficulté rencontrée doit être l’occasion d’un nouveau progrès » d’après Pierre de Courbertin. Le manager fait état des objectifs du jour, des évènements survenus lors des équipes précédentes tout en étant factuels.

Les animations doivent être préparées en amont, par les collaborateurs en charge, et les éléments sont à afficher (en physique ou en numérique), au préalable de l’animation. L’animation doit être limitée dans le temps (environ 30 minutes), doit commencer à l’heure, que l’ensemble des participants soient présents ou non, et doit se dérouler dans l’atelier. Ces animations journalières alimentent les instances du dessus jusqu’au comité de direction, qui se nourrit de ces informations, et reboucle avec les niveaux du dessous. Les rituels sont instanciés dans les agendas des managers.

 

Conclusion 

Aspirer à l’excellence est une voie difficile, mais nécessaire, surtout de nos jours. À l’aide de ces deux tribunes traitant de l’excellence opérationnelle, nous avons abordé l’aspect théorique dans la première, suivi de la pratique dans la seconde.

Nous espérons avoir pu démystifier ce domaine réservé aux experts du Lean et de vous avoir apporté quelques clés de lecture.

Enfin selon Laurent de Lavoisier « Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme », la voie est difficile, mais nécessaire, car les organisations ne peuvent se transformer sans dépassement des schémas préétablis, car elles sont à la fois l’œuvre et l’ouvrière.

 

Youness Laamiri & Lionel Faure

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Références :

[i] Objectif de percée

[ii] PDCA : Plan Do Check Act

[iii] BSC de Balanced Scorecard ou tableau de bord prospectif est un système de management intégré à la stratégie et qui permet de créer le lien (ascendant et descendant) entre les indicateurs de performance de l’entreprise.

[IV] BU : Business Unit

[V] : SMART : Spécifiques, Mesurables, Acceptables, Réalistes et Temporellement définis

15/06/2022

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