La lutte contre les abus et les fraudes causés par le démarchage téléphonique
02/11/2020 - 4 min. de lecture
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Georges Decocq est Directeur du Centre de Recherche Droit Dauphine (CR2D).
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Une nouvelle boîte à outils
La loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux cherche à limiter les nuisances téléphoniques en remédiant à l’inefficacité des règles encadrant le démarchage téléphonique et en perfectionnant les outils prévenant le démarchage intempestif.
Un droit inefficace
Le droit français repose sur la possibilité, offerte à tous les consommateurs, de manifester leur opposition à être démarchés par téléphone à des fins commerciales. Il s’agit d’un mécanisme dit d’"opt-out", où le consentement est supposé acquis, mais où la liberté est laissée aux consommateurs de refuser le démarchage. Le droit d’opposition permet aux consommateurs de s’inscrire sur une liste répertoriant les personnes ne souhaitant pas être démarchées dite "liste Bloctel", que doivent consulter les entreprises avant une opération de démarchage.
Depuis le 1er juin 2016 (et pour cinq ans), c’est la société Opposetel qui gère (dans le cadre d’un contrat de délégation de service public) la liste d’opposition au démarchage téléphonique.
Si le fichier Bloctel a permis d’obtenir certains résultats significatifs (en moyenne, en 2018, chaque numéro de téléphone inscrit sur le registre Bloctel a été retiré plus de huit fois par semaine des listes de prospection téléphonique), persiste une certaine inefficacité (les personnes inscrites continuent de recevoir des appels).
Le Parlement a maintenu ce système tout en cherchant à l’améliorer.
Une réforme
Tout d’abord, la loi a pour objectif de rendre efficace le dispositif Bloctel en :
- facilitant les démarches du consommateur (obligation pour certains professionnels d’informer les consommateurs de l’existence de cette liste, faciliter le renouvellement tacite de l’inscription sur la liste);
- créant une obligation à la charge des démarcheurs (obligation pour les professionnels de mettre en conformité leurs fichiers comprenant des coordonnées téléphoniques avec la liste) et en limitant leurs droits (limitation de l’exception permettant le démarchage téléphonique nonobstant l’inscription sur la liste à la seule hypothèse d’un contrat en cours);
- permettant de contrôler Opposetel en lui demandant de rendre accessible en open data les données essentielles de son activité et de publier celles-ci dans son rapport annuel.
La loi instaure ensuite une régulation du démarchage. Pour mettre fin à des pratiques qui nuisent à la crédibilité d’un secteur stratégique, la loi interdit toute prospection commerciale de consommateurs par voie téléphonique ayant pour objet la vente par des professionnels d’équipements ou de travaux destinés à des logements et permettant la réalisation d’économies d’énergie ou la production d’énergies renouvelables.
Lorsque le démarchage téléphonique non sollicité est autorisé (ex : consommateur non-inscrit à Bloctel, exception prévue pour les contrats en cours, prospection en vue de la fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines, appels téléphoniques passés en vue de la réalisation d'études ou de sondages), les professionnels devront :
- respecter les règles fixant les jours et horaires ainsi que la fréquence auxquels les appels non sollicités peuvent avoir lieu;
- fournir aux personnes démarchées un ensemble d’informations;
- respecter les normes déontologiques contenues dans un code de bonnes pratiques.
Enfin, la loi cherche à rendre dissuasives les sanctions encourues en cas de manquement aux normes encadrant le démarchage téléphonique.
En faveur du consommateur, la loi instaure, d’une part, une présomption simple de responsabilité des professionnels tirant profit du démarchage téléphonique en cas d’agissements contrevenant à l’opposition au démarchage téléphonique et, d’autre part, une nullité de plein droit de tout contrat conclu à la suite d'un démarchage téléphonique réalisé en violation du cadre légal.
La loi relève aussi le montant des sanctions administratives applicables en cas de méconnaissance par les professionnels de leurs devoirs en matière de démarchage téléphonique et rend publiques, par principe et sauf exception, les sanctions administratives prononcées par la DGCCRF aux frais de la personne sanctionnée.
Une réponse suffisante ?
Une interrogation surgit néanmoins : n’aurait-il pas été préférable de concevoir aussi un système dit d’"opt-in", où le consentement préalable du consommateur avant tout démarchage serait requis. Certains pays européens, dont l’Allemagne, ont adopté des systèmes d’opt-in. Le Parlement français a refusé d’entrer dans cette voie. Il a estimé que l’opt-in entraînerait d’importants bouleversements économiques pour les entreprises, notamment les PME, ainsi que pour le secteur des centres d’appels. En outre, l’opt-in ne permettrait pas de résoudre le problème des appels frauduleux.
Toutefois, d’un point de vue strictement juridique (et non en opportunité), on est en droit de se demander si le dispositif français est conforme à la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs en ce que son annexe 1 sous 26) présume comme pratique commerciale agressive "en toutes circonstances" le fait de se "livrer à des sollicitations répétées et non souhaitées par téléphone (…) sauf si et dans la mesure où la législation nationale l'autorise pour assurer l'exécution d'une obligation contractuelle".
Le débat ne manquera pas de s’ouvrir si la réforme opérée par la loi du 24 juillet se révélait n’être au final qu’un sparadrap sur une jambe de bois.
Affaire à suivre !
02/11/2020