La présomption du blanchiment de capitaux

27/04/2016 - 11 min. de lecture

La présomption du blanchiment de capitaux - Cercle K2

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La criminalité poursuit généralement l’objectif de générer des profits et lorsqu’ils sont réalisés, ils doivent présenter une apparence licite. La transformation de l’argent provenant de la criminalité est dénommée blanchiment de capitaux, elle est passible de sanctions pénales. Le code pénal contient deux incriminations, la première à portée générale, est prévue à l’article 324-1, le blanchiment de crime ou délit, et la seconde, spécifique prévue à l’article 222-38, incrimine la transformation du produit provenant des infractions à la législation sur les stupéfiants.

Avant la publication de la loi du 06 décembre 2013 la poursuite pénale du blanchiment présentait des difficultés. Les gendarmes et les policiers, lorsqu’ils saisissaient une forte somme d’argent dont l’origine était douteuse devaient rechercher et caractériser l’infraction sous-jacente, également appelée « infraction principale ». Le blanchiment de capitaux étant une infraction de conséquence, sa caractérisation nécessite l’indentification d’une incrimination primaire ayant généré des gains.

Afin d’en faciliter les poursuites judiciaires, législateur a introduit une présomption : «  Pour l'application de l'article 324-1, les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus. »

Cette disposition facilite l’action des services répressifs, puisqu’ils doivent désormais identifier les montages juridiques et financiers complexes sans nécessairement identifier l’infraction sous-jacente.

La présomption de blanchiment propose une nouvelle approche de la répression par une mise en œuvre spécifique des poursuites judiciaires.

 

I. Une nouvelle approche des poursuites

En créant un mécanisme alternatif de la charge de la preuve, la présomption de blanchiment facilite les poursuites judiciaires.

 

1.1. La construction de la présomption

La première volonté des parlementaires avait été de créer un renversement total de la charge de la preuve : « Le fait de dissimuler ou de déguiser, ou d’aider à dissimuler ou à déguiser, l’origine de biens ou de revenus dont la preuve n’a pas été apportée qu’ils ne sont pas illicites ».

Cette disposition, initialement adoptée par l’Assemblée Nationale, a été supprimée par le Sénat au motif qu’elle provoquait « une mise à bas de toute une philosophie juridique […] en introduisant une présomption de culpabilité »[1].

En réalité, le renversement total de la charge de la preuve, s’agissant de l’incrimination du blanchiment, oblige la personne mise en cause à apporter la preuve de l’origine licite des biens ou des revenus en sa possession. L’existence d’une infraction sous-jacente n’est plus requise.

Les Sénateurs ont jugé qu’un tel dispositif était difficilement compatible avec le principe constitutionnel de la présomption d’innocence [2]. Il obligeait la personne mise en cause à rapporter la preuve de l’origine licite des biens ou des revenus qu’elle détenait et donc, de prouver son innocence alors même que l’autorité de poursuite ne nourrissait que de simples doutes à son encontre. La rédaction de ce texte a été abandonnée au profit d’une nouvelle version, actuellement en vigueur.

Une lecture littérale de l’article 324-1-1 du code pénal limite la portée de la présomption. En effet, on peut se demander si elle s’applique aux deux alinéas de l’article 324-1 ou uniquement au second.

En spécifiant la nature de l’opération de placement, de dissimulation ou de conversion, le texte semble s’appliquer uniquement au second alinéa de l’article 324-1. En effet, sa rédaction ne fait pas référence au premier alinéa. Cette position n’est pas sans précédent, la chambre criminelle de la Cour de Cassation dans une décision du 14 janvier 2004 avait déjà limité la portée de l’article 324-1 du code pénal au second alinéa. L’auteur de l’infraction sous-jacente peut également être le blanchisseur.

Lors de l’identification des biens ou des revenus dont l’origine est douteuse, l’autorité de poursuite qui n’est pas en mesure de démontrer l’existence d’une incrimination sous-jacente peut utiliser la qualification de blanchiment en mettant en œuvre la présomption. Pour l’appliquer, il s’agit simplement d’analyser « les conditions matérielles, juridiques et financières de l’opération pour déterminer que les fonds proviennent d’une activité délictuelle. Ces conditions, matérielles, juridiques et financières, couvrent toutes les hypothèses de la réalisation d’une opération de transformation.

On observe que la mise en œuvre de la présomption du délit de blanchiment n’entraine pas un renversement « total » de la charge de la preuve, mais opère un renversement « encadré » de celle-ci.

 

1.2. Une charge alternative de la preuve  

En principe, il appartient à l’accusation d’établir la réalité du fait délictuel. Avant l’entrée en vigueur de l’article 324-1-1 du code pénal, pour qualifier le blanchiment il était nécessaire de rapporter la preuve de l’existence d’une infraction sous-jacente.

Depuis l’avènement de la loi du 6 décembre 2013, cette charge est alternative, même si certains praticiens considèrent qu’il s’agit d’un renversement pur et simple de la charge de la preuve, ce qui nous parait inexact. En réalité, le libellé « ne peuvent avoir d’autre justification » n’est pas de nature à entrainer un renversement de la charge de la preuve, mais à provoquer un partage. Il appartient à l’autorité poursuivante d’inviter le mis en cause à fournir toute justification sur l’opération suspectée, ce dernier a dès lors la charge « initiale » de la preuve, puis elle doit procéder à sa vérification.

Deux hypothèses peuvent être envisagées :

  • La production d’une succession de justificatifs ;
  • Le défaut de justification de la possession des biens ou revenus.

Dans la première hypothèse, lorsque la personne poursuivie apporte un justificatif de l’opération, l’autorité doit procéder à sa vérification. Si les investigations ne permettent pas d’établir avec certitude la licéité des biens ou revenus découverts, la personne poursuivie, après reconnaissance de cette situation, est mise en demeure de fournir d’autres explications sur la provenance du produit. Chaque justification de la personne poursuivie est contrôlée et la présomption s’applique qu’après épuisement des vérifications débouchant sur la certitude que les conditions dans lesquelles est intervenue l’opération de placement, de dissimulation ou de conversion n’a pas d’autre objectif que de dissimuler l’origine ou la destination des fonds. Ce mécanisme est comparable à celui de l’infraction de non-justification de ressources prévue à l’article 321-6 du code pénal. Dans ce premier cas, la présomption du délit de blanchiment ne crée pas un renversement de la charge de la preuve mais contraint la personne poursuivie à justifier la possession des fonds ou des revenus et les services répressifs à vérifier les allégations.

Dans la seconde hypothèse, la personne poursuivie, d’emblée ou à la suite de plusieurs justifications invérifiables produites devant l’autorité répressive, n’apporte aucune explication probante. L’autorité n’étant pas en mesure d’effectuer des vérifications, la présomption a vocation à s’appliquer directement.

 

II. La mise en œuvre des poursuites

La présomption de l’article 324-1-1 du code pénal accroit l’autonomie de l’infraction de blanchiment et élargit la portée de l’infraction de blanchiment.

 

2.1. Une autonomie accrue de l’infraction de blanchiment

L’autonomie de l’infraction de blanchiment de capitaux est régulièrement mise en avant par les juristes, qui n’en définissent pas sa nature. En réalité, elle est tenue à l’existence d’une infraction sous-jacente. L’affirmation de son autonomie est circonscrite à une absence des poursuites judiciaires de l’infraction principale (prescription…), mais pas à son inexistence.

La présomption de blanchiment étend cette autonomie, puisque l’origine délictuelle n’est plus, dans certaines conditions, à démontrer.

En effet, avant l’entrée en vigueur de la présomption du délit de blanchiment, l’incrimination de blanchiment n’était possible que si l’accusation démontrait l’existence d’une infraction ayant généré des biens ou revenus, le délit de blanchiment, infraction de conséquence, était donc intimement lié et dépendante de l’existence de celle-ci.

Une certaine autonomie avait néanmoins été reconnue puisqu’il pouvait être qualifié sans que l’infraction sous-jacente fasse l’objet de poursuites ou d’une condamnation, il suffisait que les éléments constitutifs d’un crime ou d’un délit soient précisément relevés par les juges du fond[3].

Plus récemment encore, cette autonomie s’est accrue, il n’était plus nécessaire de déterminer avec précision à quelle infraction principale se rapportait le blanchiment, la preuve de l’origine illicite des biens pouvait être simplement déduite d’un ensemble de considérations factuelles[4].

La présomption du délit de blanchiment procède, dans cette dynamique, à une réelle rupture entre le délit de blanchiment et l’infraction sous-jacente conférant à ce premier une autonomie toujours plus grande pouvant laisser entrevoir un futur divorce entre les deux. Il suffit simplement d’analyser les conditions dans lesquelles l’opération réalisée a potentiellement servie à blanchir des flux financiers illégaux.

On peut, dans ces conditions, affirmer que l’emploi de la présomption confère à l’infraction de blanchiment une pleine et entière autonomie puisque le législateur lui reconnaît une existence en dehors de la preuve de toute infraction sous-jacente. Il convient simplement de démontrer, en l’absence de justification ou du caractère mensonger de la justification, le mécanisme matériel, juridique ou financier de l’opération.

Dans cette perspective, l’un des éléments constitutifs de l’incrimination de blanchiment qui était auparavant l’existence de la commission d’une infraction sous-jacente n’est plus nécessaire. Il est remplacé, lorsque la présomption de délit de blanchiment est caractérisée, par l’absence d’une activité licite.

L’accroissement de l’autonomie du délit de blanchiment, par l’application de la présomption soulève, cependant, une interrogation concernant le blanchiment spécial. Cette incrimination prévue à l’article 222-38 du code pénal punie la transformation du produit financier provenant d’une infraction à la législation sur les stupéfiants. L’article 324-1-1 du code pénal renvoie uniquement à l’article 324-1 du même code qui sanctionne la transformation de tout crime ou délit. A priori, selon le principe de la stricte application des lois, la présomption de blanchiment de l’article 324-1-1 du Code pénal, ne s’applique pas au blanchiment spécial.

 

2.2. La portée de la présomption

L’accroissement de l’autonomie du délit de blanchiment s’accompagne d’une extension de la responsabilité. L’article 324-1-1 du code pénal impose la justification de l’origine des fonds et de l’identification du bénéficiaire effectif. Chacun doit donc être en mesure de justifier l’origine et la destination des fonds, alors qu’auparavant, ces obligations incombaient uniquement à certaines professions listées au Code monétaire et financier[5], et en cas de défaut la sanction était uniquement administrative.

En effet, depuis 1990, certains professionnels ont l’obligation de déclarer les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction. Ces professionnels dénommés « assujettis[6]» ont l’obligation d’identifier l’origine des fonds et le bénéficiaire effectif.

La présomption du délit de blanchiment étend maintenant l’obligation aux non-assujettis. Il existe néanmoins une différence d’application. L’assujetti doit le faire systématiquement et en amont de l’opération alors que le non-assujetti doit seulement justifier de l’origine des fonds au cours des investigations.

Le terme « origine » désigne les biens ou les revenus, de quelque nature qu’ils soient, générés par une infraction sous-jacente. La personne poursuivie, détentrice de ces biens ou de ces revenus, doit être en mesure de justifier à la demande de l’autorité répressive qu’ils ne proviennent pas d’une infraction. La présomption du délit de blanchiment peut ainsi s’appliquer à toute personne qui n’a pas eu la vigilance de vérifier la provenance de biens ou revenus qu’elle détient.

L’utilisation du terme « bénéficiaire effectif » suscite des observations. La seule définition existant en droit français se trouve dans le code monétaire et financier[7]. Il s’agit d’une personne physique qui contrôle ou, détient au moins 25%, d’une personne morale. En d’autres termes, il peut s’agir de la personne physique qui profite, par l’intermédiaire d’une personne morale, du produit de la commission d’un crime ou d’un délit.

Le terme « effectif » crée déjà une présomption puisqu’il n’est pas nécessaire de démontrer la véritable détention des fonds. Le législateur, devant la difficulté d’identifier le réel bénéficiaire des produits de la criminalité, s’agissant d’une personne morale, a simplement considéré que le détenteur de ces produits était celui qui possédait un certain nombre de parts ou d’actions.

La définition de l’article 324-1-1, en application du principe de l’interprétation stricte des lois, exclut le simple bénéficiaire dès lors qu’il n’y a pas l’interposition d’une personne morale, celle qui est sensée bénéficier de façon effective du produit direct ou indirect de la commission de l’infraction sous jacente.

***

Le choix du législateur est sans ambiguïté. Il fournit aux services répressifs les moyens de lutter plus efficace contre le blanchiment de capitaux. Cependant, deux observations peuvent être soulevées selon que l’on est justiciable ou accusateur.

Ce mécanisme n’est pas exempt de toute dangerosité. Une personne qui a commis une infraction sans lien avec un quelconque blanchiment peut refuser de fournir une explication sur l’origine des fonds qu’elle détient ou sur leur destination pour des raisons qui lui sont personnelles.

A contrario, une personne n’ayant commis aucune infraction, mais qui n’est pas en mesure d’apporter la preuve de la licéité de ses biens ou revenus peut se trouver injustement accusée. 

Enfin, il est regrettable, pour l’accusation, que la portée de l’article 324-1-1 est limitée. En effet, il n’est applicable qu’au 2ème alinéa de l’article 234-1 et par ailleurs, il peut être observé que sa mise en œuvre est exclue pour le blanchiment de l’infraction à la législation sur les stupéfiants prévu à l’article 222-38 du code pénal.

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[1] Compte rendu des Commissions mixtes paritaires du 23 juillet 2013.

[2] Article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et Article 6 § 2 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales.

[3] Crim. 25 juin 2003 JCP 2001 I 157 Dr. Pénal 2003 Comm. 142 Obs. Véron.

[4] Article 9 § 6 de la Convention de Varsovie – Crim. 16 mai 2012 n° 11-82 409.

[5] Article L.561-2 du Code monétaire et financier.

[6] Article L.561-2 du Code monétaire et financier.

[7] Articles R.561-1 à R.561-3 du Code monétaire et financier.

27/04/2016

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