Le débat sur le vaccin contre la Covid-19 révèle une chose : le besoin de formation à l’analyse de la donnée est de plus en plus criant
29/10/2021 - 3 min. de lecture
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Messaoud Chibane est Professeur à NEOMA Business School et Co-directeur du MSc Finance & Big Data, et Ano Kuhanathan également Professeur associé à NEOMA Business School est Co-directeur du MSc Finance & Big Data.
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Nous ne discuterons ni ne jugerons ici les convictions personnelles, religieuses ou les craintes des uns et des autres sur les vaccins contre la Covid-19. Nous ne reviendrons pas non plus sur le rôle des médias et des réseaux sociaux dans la défiance vis-à-vis du vaccin, bien qu’il s’agisse d’un thème qui mérite d’être analysé. En revanche, en tant qu’enseignants-chercheurs, nous observons parfois sur les plateaux de télévision et beaucoup plus souvent sur les réseaux sociaux qu’un grand nombre de nos compatriotes n’ont pas les clés de lecture pour comprendre, interpréter et remettre en question des données chiffrées.
Ceci est d’autant plus inquiétant et paradoxal dans un monde où la donnée est partout, de plus en plus accessible et intégrée dans nos processus économiques avec l’explosion du recours aux algorithmes et à l’intelligence artificielle dans de nombreux domaines allant de la santé à la finance en passant par les réseaux sociaux. Cela soulève par ailleurs des questions éthiques, juridiques et sociales qui se feront de plus en plus pressantes.
Durant l’été 2021, alors que le gouvernement français poussait la population à se faire vacciner, le cas d’Israël, où le taux de vaccination élevé de la population ne permettait pas de freiner la progression du variant Delta, a été repris et exploité par de nombreuses personnalités ouvertement opposées au vaccin. Leurs opinions ont été par ailleurs largement relayées sur les réseaux sociaux. Leur argument semblait de prime abord incontestable : Israël avait vacciné 85 % de sa population adulte à fin juin et pourtant 40 % des nouveaux cas étaient des personnes doublement vaccinées ! Le vaccin ne marche donc pas ?! Or, une simple règle de trois permettait de remettre ce chiffre en contexte. En effet, sur les 291 nouveaux cas journalier au 30 juin, 116 personnes étaient vaccinées mais dans une population vaccinée à 85 %, cela représente une bien plus faible proportion par habitant que les 175 cas dans la population non vaccinée qui, elle, ne pesait que 15 % de la population[1]. Quand on analyse les chiffres en proportion, on se rend compte que cela correspond à 3 personnes contaminées pour 200000 pesonnes vaccinées contre 3 personnes contaminées pour 20000 personnes non-vaccinées, soit 10 fois plus dans de contaminations chez les non-vaccinées.
Autre cas de figure, depuis quelques semaines, c’est l’exemple de Singapour qui cristallise l’attention des opposants au vaccin. La Cité-État asiatique connaît une flambée du nombre de cas avec un taux de vaccination à 83 %. Là encore, en remettant en contexte le nombre de cas par personne vaccinée contre celui par personnes non vaccinées, cela permet de remettre en cause l’argumentaire. Plus parlant encore : la mise en perspective avec les hospitalisations et les décès. Les données montrent une efficacité de l’ordre de 80-90 % contre une forme symptomatique et de 93 % contre les formes graves (assistance respiratoire, admission en réanimation et décès)[2].
Compréhension, mise en perspective et problématisation des données sont les grandes absentes d’un nombre croissant d’analyses et de débats. C’est vrai sur la question du vaccin contre la Covid-19 mais nous pourrions illustrer nos propos sur beaucoup d’autres thèmes : économie, finances publiques, fiscalité, environnement, etc. Certes, la France continue de former, via ses écoles prestigieuses, des ingénieurs de haut niveau et courtisés par les entreprises du monde entier, mais la culture mathématique (et donc statistique) est en recul. Rappelons d’ailleurs que la France s’est "illustrée" en 2020 en terminant tristement avant-dernière du classement PISA pour les mathématiques et la science, ne surclassant que le Chili, alors que la Corée du Sud et le Japon occupent la tête du classement.
Il faut donc, de toute urgence, agir pour former et renforcer les compétences en analyse de données du plus grand nombre. À l’heure de l’abondance de la donnée, il est insupportable d’imaginer que nous puissions manquer d’information faute de formation adéquate. Enfin, rappelons que, si de moins en moins de citoyens sont à même de se saisir de ces questions essentielles, c’est également notre démocratie qui en ressortira affaiblie.
Messaoud Chibane & Ano Kuhanathan
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[1] Données accessibles en ligne ici (en hébreu) : https://datadashboard.health.gov.il/COVID-19/general
[2] https://www.moh.gov.sg/news-highlights/details/update-on-local-covid-19-situation-(6-oct-2021)
29/10/2021