Le Président de la République et la Cour

08/11/2020 - 10 min. de lecture

Le Président de la République et la Cour - Cercle K2

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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été Directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire, puis Directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures, notamment à Sarajevo comme Commandant en second des forces multinationales.

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LE PR et la COUR
 

Quand j’arrivai à l’Élysée pour prendre ma fonction d’Aide de Camp, tout éberlué par le ballet incessant des personnalités autour du Palais présidentiel, j’avais pour seule boussole ces précieux conseils dont me munis mon prédécesseur.

« Avant tout, tu dois apprendre à connaître toutes les personnes, conseillers et autres, qui entourent le PR et surtout leurs liens avec lui et entre eux s’ils sont intimes. Tu pourras observer que tous ces personnages sont « normaux » quand ils arrivent à l’Élysée. Il ne faut pas plus de six mois pour que la plupart d’entre eux changent leur comportement jusqu'à perdre la tête ! ».

Je devais donc m’appliquer à bien discerner les personnes qui fréquentaient l’Élysée si je voulais préserver ma raison dans ce manège étourdissant.

Il y avait d’abord les résidents permanents, ceux qui avaient d’une certaine façon toujours été là et qui assuraient le soutien matériel de la vie du Palais. Ils étaient agents d’entretien ou ouvriers d’État et avaient connu de nombreux Présidents sans les avoir jamais approchés, sauf au détour d’un couloir. Personnels discrets mais indispensables au fonctionnement de la machine élyséenne, ils étaient la mémoire vive du Palais. Ainsi de cet horloger chargé de remonter et d’entretenir les 365 pendules du Palais, qui était en place depuis de nombreuses années, qui en connaissait tous les bureaux et les recoins, et qui vous racontait avec un plaisir non dissimulé des anecdotes toujours amusantes, voire croustillantes, sur ses locataires successifs et sur les différents Présidents qu’il a connus. Évoquons aussi les cuisiniers, les sommeliers, les maîtres d’hôtel regroupés autour du Chef de l’Élysée, personnalité reconnue par ses pairs à Paris, en France et à l’étranger. Ils avaient la lourde charge, mais combien sacré dans un pays qui a érigé la gastronomie au rang d’enjeu diplomatique, du patrimoine culinaire de la France, ainsi que des arts de la table. Rien n’était négligé sur ce plan, en particulier lors des réceptions officielles. L’Intendant du Palais, Officier de la marine, contrôlait dans le plus petit détail la tenue des dîners d’État. Sous sa coordination, les tables étaient dressées avec le plus grand soin, les distances entre les assiettes et couverts étaient mesurées centimètre à la main. Rien ne devait être laissé au hasard. Il avait su nouer une réelle proximité avec le Président. Ce fut ainsi par son entremise que celui-ci, lors de son arrivée à l’Élysée, y constitua une cave de primeurs, alors que la règle jusque-là était d’acheter à grands frais des premiers crus ou des grands crus lors de chaque repas. Toutes ces personnes qui assuraient le quotidien de la vie au Palais étaient les vrais dépositaires de l’histoire de l’Élysée. Ils tenaient leur rang avec humilité et avec ce noble sentiment qu’à travers le Président, ils servaient l’image de la France. Ils ne laissaient échapper aucune approximation dans leurs faits et gestes. Rigueur et tradition étaient leurs maîtres-mots.

Il y avait aussi la Garde Républicaine. Qu’elle était belle ! Omniprésente, toujours en grande tenue lors des cérémonies, sabre au clair ! Elle faisait belle impression ! Et quelle grandeur elle ajoutait à la fonction présidentielle !

La première fonction de l’État ne va pas, en effet, sans un certain apparat républicain, qui est organisé par un ensemble de règles et d’usages séculaires, ce qu’on l’appelle le protocole civil et militaire. De nombreuses personnes dévouées et consciencieuses sont chargées d’observer ces règles et usages lors des différents événements qui rythment la vie à l’Élysée, l’organisation des déplacements présidentiels, la réception de chefs d’État étrangers ou la remise des décorations. Ces règles protocolaires sont censées investir la fonction présidentielle qui ne saurait se confondre avec l’identité de son titulaire, d’une certaine stature, qui oblige chaque nouvel impétrant du peuple souverain. Le PR aimait à le rappeler, notamment lorsqu’il évoquait l’un de ses illustres prédécesseurs.

Parmi le personnel politique, on trouvait à l’Élysée les conseillers et chargés de mission issus des différents Ministères qui étaient affectés à la Présidence de la République afin d’assurer la liaison avec leurs Ministères. Ces hommes et femmes, tous jeunes, travailleurs discrets, apportaient les « idées » de leur Ministre, en espérant se faire remarquer du PR ou de son entourage immédiat. Ils multipliaient avec un zèle toujours renouvelé les fiches et les notes à destination du Secrétaire Général, dans l’espoir qu’elles passeraient son tamis et que celui-ci, au vu de leur intérêt, les remettent au PR. Celui-ci ne faisait cependant jamais aucun commentaire sur les productions qui lui étaient remises. Il se contentait de simples annotations, inscrites à l’encre bleue, « FM » ou « VU FM », qui étaient le désespoir de leur destinataire qui essayait d’y déceler le plus petit indice de la satisfaction présidentielle. C’est ainsi que tout une science de l’interprétation des signes présidentiels se développa parmi les conseillers, un VU étant considéré comme de meilleur augure qu’un simple FM. La course à la promotion était incessante chez ces conseillers et chargés de mission qui voyaient déjà le prestige du sceau « Présidence de la République » leur ouvrir les portes les plus réservées des cabinets ministériels, des administrations de l’État ou des grandes entreprises.

Un cran au-dessus, à l’Élysée, on trouvait les conseillers en charge des responsabilités régaliennes, qui étaient nommés par le PR. Avec le Secrétaire Général et son adjoint, le Chef de l’État-major Particulier, le Directeur de Cabinet, ils avaient des contacts quotidiens avec le Président. Hommes ou femmes, ils étaient nommés souvent par cooptation interne entre anciens d’écoles prestigieuses ou sur proposition de personnes influentes de l’entourage non officiel du PR, très présent à l’Élysée. Le PR aimait à mettre en compétition ses conseillers. Lorsque l’un d’eux lui faisait une proposition qu’il trouvait pertinente, il se plaisait à la soumettre aux autres qui pouvaient être concernés par le sujet en jeu, sans révéler néanmoins son origine. Ces derniers ne cachaient alors pas leur surprise en découvrant qu’ils n’étaient pas les seuls à avoir été sollicités par le Président sur le sujet concerné. Cette mise en concurrence mettait en tension les capacités de ces conseillers du premier cercle présidentiel, qui se devaient de redoubler d’effort s’ils voulaient honorer leur place à l’Élysée ou espérer un poste ministériel. Or, à cette fin, certains d’entre eux n’étaient arrêtés par rien, pas même la plus simple décence. Ainsi d’un conseiller qui était coutumier de participer de façon inopinée, sans y avoir été convié, à des réunions ou des déjeuners de travail afin de glaner quelques idées nouvelles voire originales pour se les approprier et rapidement les présenter au PR qui répondait : « Bonne idée ! Creusez là ! » « C’est en cours Président : j’ai déjà organisé un groupe de travail qui s’active sur le sujet ! » Le PR, qui n’était pas dupe, laissait faire. Il savait que cette « idée » était aussi travaillée par ailleurs et que, quoi qu’il arrive, il aurait le dernier mot. Il était hors de question d’en douter au risque d’être déçu. La crainte de perdre la faveur du PR pouvait faire perdre à ces conseillers tout sens des réalités. Il en fût ainsi d’un  conseiller zélé qui, à l’occasion d’une émission de télévision, avait eu l’audace de tenir des propos ambigus sur l’action présidentielle, ce qui avait déclenché le courroux du PR. Très inquiet pour son avenir, il mit alors tout en œuvre pour rattraper son imprudence télévisuelle. Alors que le Président s’apprêtait à quitter Paris pour un déplacement officiel, il me demanda de façon pressante que je le fasse recevoir immédiatement par celui-ci. Transmettant le message au PR, celui-ci, l’œil malicieux, me répondit : « Colonel nous verrons plus tard. Partons vers l’aéroport ». Arrivé à Orly, je retrouvai le conseiller qui n’était pourtant pas du voyage : « Colonel avez-vous exprimé ma demande au Président ? » « Oui, il n’est pas disponible pour le moment ! » Débarqués dans le pays étranger visité, je retombai sur le conseiller qui avait profité d’une place dans l’avion de la délégation pour nous rejoindre sur place. Il me pressa à nouveau pour que je le fasse recevoir par le Président. Quand je pus informer le Président de sa présence sur place, celui-ci ne me cacha pas son agacement : « Que fait-il là ? Je ne pensais pas qu’il était du voyage ? C’est un passager clandestin si je comprends bien ! » « Oui, Monsieur le Président. D’ailleurs, les autorités locales s’en sont étonnées ! »

« Faites venir ma secrétaire et, ensuite, je le recevrai ! » Le conseiller fut finalement introduit dans la suite présidentielle, non sans avoir pu constater que la secrétaire du PR avait été reçue avant lui, ce qui avait excité son impatience et sa fureur. Je le vis néanmoins ressortir moins d’une minute après le visage livide et disparaître aussitôt pour rejoindre Paris par ses propres moyens ! Pas fâché d’avoir remis à sa place cet importun, le PR m’interpella dans la voiture avec un ton de voix et un regard amusés : « Colonel, il faudrait veiller à contrôler ces passagers clandestins. Ce n’est pas convenable notamment vis-à-vis de nos hôtes ! »

À l’Élysée, l’on avait encore à faire avec les conseillers de la presse ou de l’image présidentielle, qui étaient de véritables mouches du coche. Auto-persuadés de leur importance, ils se mêlaient à tout, imposaient leurs vues sur tout en se prévalant d’une prétendue validation présidentielle et voulaient être de tous les déplacements officiels, en particulier à l’étranger, même lorsqu’ils n’y étaient pas conviés. Leur inlassable activité finissait par agacer le Président, qui me demandait d’y mettre de l’ordre : « Colonel, les réunions et rencontres ne sont pas des lieux de foire ouverts à tous. Faites preuve de plus d’autorité ».

Il me faut encore citer parmi les fréquentations élyséennes, des personnes qui étaient proches au quotidien du PR et qui l’accompagnaient de façon occasionnelle dans certains déplacements. C’était en particulier le cas d’une secrétaire qui, sous prétexte que le Président pouvait avoir besoin d’elle, imposait de disposer d’une chambre à proximité de la suite présidentielle. Courroucée d’être trop éloignée et logée à la même enseigne que quelques policiers des voyages officiels, elle s’en ouvrait au PR : « Colonel, qu’en est-il de ma secrétaire ? » « Elle a été rapprochée, Monsieur le Président. Sa chambre est en dessous de la vôtre. J’espère qu’elle fera preuve d’une attitude plus modérée ! » « Oh ! Colonel, vous savez, je n’ai besoin de ma secrétaire que pour travailler ! Il n’était pas nécessaire de la loger aussi près ! », répondit le PR l’œil amusé.

À l’Élysée, s’organisait ainsi toute une vie de cour qui était ordonnée autour de la personne du Président, dispensateur des honneurs et des disgrâces de la République. Chacun tâchait de mériter sa faveur dans l’espoir d’être nommé président d’un grand groupe, d’une institution internationale, d’une société de jeux, préfet ou de préserver sa place à l’Élysée. Le Président ne se laissait toutefois jamais influencer par cette courtisanerie que l’on retrouve sans doute attachée à toute forme de pouvoir. Homme de contact, jaloux de sa vie privée et de ses temps libres, il ne manquait pas de s’ouvrir l’esprit en recevant des personnalités extérieures à ses différents cercles, ce qui lui permettait de prendre de la distance et de retrouver un certain équilibre. Cette cour toute à la dévotion du PR participait de sa grandeur, mais ne lui évitait pas certains quolibets de la presse satirique qui lui avait donné pour surnom « Dieu », ce qui n’était pas entièrement pour lui déplaire. S’il n’a probablement jamais prononcé la célèbre phrase du cardinal de Retz « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment », qui lui a d’ailleurs été parfois attribuée, il employait souvent le procédé qui consiste à cultiver le secret et conserver le silence sans que l’on sache sa pensée, n’est-ce pas « le procédé de Dieu, qui tient tous les hommes en suspens » ?

Général (2s) Jean-Pierre Meyer

08/11/2020

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