Le Président de la République et sa vie privée

13/09/2020 - 8 min. de lecture

Le Président de la République et sa vie privée - Cercle K2

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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été Directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire, puis Directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures, notamment à Sarajevo comme Commandant en second des forces multinationales.

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Le Président de la République (PR) et sa vie privée

À l’occasion de déplacements en province, le PR tenait particulièrement à respecter la tradition républicaine de prendre à bord de sa voiture les élus locaux, les maires notamment.

Certains maires aimaient échanger avec lui sur sa définition de la politique et voulaient l’entendre dire que la politique c’était l’opportunité de faire avancer ses idées et de les appliquer au profit de tous. Le PR, qui se réjouissait de la générosité de leur engagement, aimait à leur répondre que la politique, c’est « la conquête du pouvoir pour ensuite le conserver ».

La préservation et la conservation du pouvoir étaient, en effet, une constante dans la vie du PR. Il était très exigeant sur son image officielle, qu’il confiait à une cellule spécialisée regroupant des personnes de renom.

Le PR gérait, en revanche, l’image de sa vie privée. Seuls quelques personnes de son entourage immédiat et le Groupe de Sécurité de la Présidence de la République (le GSPR) étaient impliqués dans cette démarche.

Ainsi, sa santé et sa vie de famille étaient l’objet d’une attention particulière.

 

Je suis en bonne santé et je vous le prouve

En octobre 1989, le PR se rendit en voyage d’état en Amérique du Sud pour des visites au Venezuela et en Équateur, avec une courte escale improvisée en Colombie sur le vol retour. L’itinéraire de ce voyage, qui avait été préparé de longue date, dut toutefois être modifié à la dernière minute : une catastrophe s’était abattue sur les Antilles Françaises sous la forme du cyclone Hugo, avec une force particulière en Guadeloupe.

Il a alors été décidé de faire escale à Pointe-à-Pitre afin de rencontrer la population frappée par le cyclone.

Les voyages en Concorde étaient pour le PR l’occasion de parfaire son information sur le contenu politique du voyage et de rencontrer les personnalités invitées notamment des chefs d’entreprises.

Au cours d’une rencontre en tête à tête avec le  MAE il s’informait des dernières dispositions relatives au contenu du voyage et aux thèmes à aborder, puis il se plaisait à échanger devant un déjeuner avec quelques convives qu’il sélectionnait parmi les invités. C’était toujours l’occasion pour l’Aide de camp d’assister à un spectacle assez désopilant : une fois la liste des convives qu’il avait établie, validée par le PR éventuellement après modifications, il se rendait à l’arrière de l’avion où étaient regroupés les passagers. Il observait alors  tous les regards se diriger subitement vers lui, qui avec insistance, qui de façon interrogative, tous avec les yeux brillants d’espoir d’être cités parmi les heureux élus à l’invitation présidentielle. Parmi ceux qui n’avaient pas été invités, il s’en trouvait toujours qui saisissait l’Aide de camp pour lui demander d’intervenir auprès du PR « qui avait sûrement commis une erreur en ne l’invitant pas ! ».

Mais cette fois, contrairement à ses habitudes, le PR, qui était fatigué, avait souhaité se reposer dans sa couchette spécialement aménagée à l’avant de l’avion.

Pendant le vol, tandis que le PR dormait, on me fit passer le dossier de l’escale en Guadeloupe pour le remettre au Président. Il ne me parut toutefois pas opportun de le réveiller au vu de sa fatigue. Je ne lui remis le dossier préparé que quelques minutes avant l’atterrissage, après qu’il se soit réveillé. Le PR s’étonna alors de le recevoir si tard et fit sèchement savoir son mécontentement au responsable du court séjour antillais, qui ne trouva meilleure excuse que de renvoyer la faute à son Aide de camp qui n’avait pas voulu le réveiller. La manœuvre cependant malhabile, provoqua une nouvelle colère du PR : « Mais c’était avant le départ que vous auriez dû me donner les informations ! ».

À son arrivée en Guadeloupe, le PR n’était donc pas renseigné sur la situation locale, ce qui l’inquiétait car il devait, comme d’habitude, animer un point de presse au cours duquel il serait interrogé sur les dispositions prises pour soulager les souffrances de la population très affectée. Il était d’autant plus inquiet qu’il était accompagné dans son voyage par la presse parisienne, plus incisive que la presse locale.

La situation était donc mal embarquée et tous nos espoirs de salut étaient reportés sur le Préfet, qui nous accueillis au pied de la passerelle. Dans la voiture présidentielle, au cours de la visite des quelques villages qui avaient particulièrement souffert, le PR lui adressa plusieurs questions précises et intéressées : « Quelle est la situation ? Quel est le problème majeur pour la population après le passage du cyclone ? Quelles sont les dispositions prises ? »

Le Préfet sembla maîtriser son sujet puisqu’il répondit au PR avec force détails en évoquant en particulier la question du logement. Mais le PR insista pour savoir quelles décisions avaient été prises après le passage du cyclone sur l’île. La réponse du Préfet fusa comme une détonation : « Aucune. ». Le coup frappa le Président qui regarda avec stupeur le Préfet : « En avez-vous parlé au Ministre ? » « Non, je n’en ai parlé à personne ! » La stupeur laissa place à la colère et le PR se demanda ce qu’il allait pouvoir annoncer à la presse et aux élus.

Le Ministre des DOM TOM, qui s’avéra davantage au fait de la situation que le Préfet, put néanmoins transmettre au PR quelques information utiles, ce qui le soulagea, sans le rassurer complètement.

Malgré tout, devant la presse et les élus, le PR sut trouver les mots justes et le ton approprié, empreint de la compassion exigée par la gravité de la situation pour les Antilles. Il fit en particulier remarquer qu’il y avait spécialement fait escale au cours de son voyage sud-américain afin d’apporter à la population le réconfort et le soutien de la Métropole et s’assurer que toutes les dispositions seraient prises pour la soulager. Tout le monde fut satisfait du discours du PR.

Nous pûmes quitter la Guadeloupe et continuer sereinement le voyage présidentiel, destination le Venezuela. À l’arrivée à Caracas, où il faisait une chaleur lourde et étouffante, le PR et Madame, qui était exceptionnellement du voyage, furent accueillis par le Président Perez, qui les conduisirent au pavillon d’honneur afin d’y prononcer l’allocution de bienvenue. La température y était nettement plus agréable.

Le Président vénézuélien prononça quelques mots de bienvenue, puis vint le tour du PR. Je me tenais à ses côtés. Soudain, il se tourna vers moi pour me chuchoter que la tête lui tournait et qu’il souhaitait que je reste à proximité pour le retenir au cas où il tomberait. Je m’encourageai à garder calme et sang-froid, mais à peine me tint-il ces propos qu’il se retourna de nouveau et me demanda de l’aider. Il avait un malaise. Je le retins donc dans mes bras et l’aidai à se déplacer vers un fauteuil à l’écart des vues où il s’affala littéralement. Le PR était livide et dans un « état second ». Afin de le protéger des indiscrets, les sécurités françaises firent paravent devant les caméras de télévisions et les photographes. Après l’avoir « tapoté », je lui donnai un verre de l’eau que je détenais en permanence dans ma serviette. Le médecin, qui fut appelé, nous rejoignit après avoir dû, non sans mal, se frayer un chemin à travers les forces de sécurité vénézuéliennes qui filtraient les entrées.

Dès qu’il retrouva ses esprits, le PR s’empressa de rejoindre ses hôtes, qui le retrouvèrent sans manifester d’inquiétude particulière.

Je proposai cependant au Président Perez d’écourter la cérémonie et de conduire le PR directement à la CASONA, résidence du Président vénézuélien, afin qu’il se repose, ce qui lui permettrait ensuite de poursuivre son programme normalement.

D’une voix faible du bout des lèvres, le PR indiqua qu’il souhaitait ne rien changer et affirma, mais sans convaincre, qu’il allait mieux et que sa faiblesse d’un instant n’était due qu’au décalage horaire et à la chaleur. Décision fut prise d’aller à la CASONA.

Le cortège s’ébranla alors sirènes hurlantes, les deux Présidents dans la même voiture.

Accompagné du médecin, je montai dans une voiture qui nous était dévolue. Celle-ci, conduite par un conducteur de circonstance, avait du mal à suivre le cortège qui roulait à toute allure !

Ayant rapidement perdu de vue la voiture présidentielle et n’ayant pas été informé du changement de programme, notre conducteur, avec son accompagnateur, nous conduisirent à l’hôtel où le Président était censé d’abord se rendre. Le sort ne nous était pas favorable, d’autant qu’il nous fallut échanger avec nos guides dans des langues approximatives pour leur faire comprendre notre nouvelle destination. Si je n’avais pas été inquiet de la santé du Président, sans doute aurais-je trouvé matière à rire de la cocasserie de la situation et de nos difficultés de compréhension réciproques.

Nous pûmes finalement rejoindre la résidence présidentielle où nous trouvâmes le PR, allongé sur un lit, se rétablissant. Voulant donner le change, il exprima son étonnement devant tant d’empressement pour régler une situation qui était selon lui toute banale. Notre présence le rassura néanmoins.

Après quelque repos, le programme reprit son cours. Le PR souhaita qu’il ne soit pas modifié. Il me demanda cependant de rester près de lui, surtout au cours du déjeuner officiel où il devait prononcer un nouveau discours, ce qu’il fit sans emphase et sans entrain, mais sans nouvelle difficulté.

À la fin de cette journée éprouvante, chaque ligne du programme prévu avait été respectée par le PR, qui ne cessait d’en rajouter sur son regain de santé : « Je suis en forme ! »

La nuit était tombée à Caracas et chacun attendait avec impatience le moment de rejoindre son lieu de repos, quand le PR m’interpella :

« Colonel, nous pourrions organiser un diner rapide avec quelques-uns de mes collaborateurs directs. »

« Monsieur le Président, ne souhaitez-vous pas vous reposer ? »

« Vous croyez Colonel ! Je suis en pleine forme. L’événement de ce matin n’était qu’une péripétie ! »

« Bien, Monsieur le Président ! Ce diner sera tiendra dans votre suite. Quels sont vos invités ? »

Les « heureux élus », qui ne se considéraient plus si heureux, ne purent que subir le dynamisme du PR qui tint un long discours pendant plus d’une heure alors qu’eux avaient la paupière lourde et tombante : et le Président s’amusa à le leur faire remarquer !  

 

Général (2s) Jean-Pierre Meyer

13/09/2020

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