Le Scribe accroupi, un prêt exceptionnel au Louvre-Lens

19/02/2022 - 4 min. de lecture

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Christine de Langle est Historienne de l’art et Fondatrice d’Art Majeur.

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Pour fêter ses dix ans d’existence, le Louvre-Lens accueille Le Scribe accroupi, œuvre emblématique du département des Antiquités égyptiennes du Louvre. Ce prêt exceptionnel, dévoilé par le Président de la République récemment en visite dans les Hauts-de-France, inaugure l’année Champollion et les nombreux évènements culturels, expositions et colloques en France et en Europe, liés au bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes. Ce chef d’œuvre restera au Louvre-Lens le temps de l’exposition "Champollion, la voie des hiéroglyphes", du 28 septembre 2022 au 16 janvier 2023.

 

Un regard captivant 

Petite statue en calcaire peint, le Scribe "accroupi", en réalité assis en tailleur, fascine d’emblée le visiteur par le réalisme intense de son regard, fruit d’un traitement raffiné. Ces paupières soulignées de cuivre pour figurer le khôl qui protège du soleil brulant, ces yeux dont l’iris est faite d’un cône de cristal de roche poli qui reflète la lumière rendent ce regard plus vrai que nature. Autant de détails qui soulignent l’attention soutenue de ce haut fonctionnaire lettré et le soin qu’a pris l’artiste à rendre l’importance de la position de ce grand serviteur de pharaon. Un papyrus est déroulé sur ces genoux et, les doigts repliés sur un calame disparu depuis, le scribe s’apprête à écrire. Le sculpteur ne manque pas de réalisme quand il décrit la silhouette replète de cet intellectuel peu habitué aux travaux agraires qui affinent la silhouette. Ces bourrelets, loin d’être jugés disgracieux, avouaient une haute fonction dans la société et la prospérité qui allait de paire. Expression d’un pouvoir, celui de maîtriser l’écriture hiéroglyphique, le scribe est le pilier outil d’une administration complexe et centralisée. 

La statue est retrouvée à Saqqara par Auguste Mariette en 1850. Envoyé par le Louvre pour acheter des manuscrits coptes, cet égyptologue décide de fouiller le site de Saqqara près du Caire et découvre le Sérapeum, l’ancienne nécropole du taureau sacré Apis, et de nombreuses tombes de hauts dignitaires, parmi eux ce fameux scribe dont nous ne connaissons pas l’identité, le rapport des fouilles ayant été perdu. Mais la proximité de sa tombe avec celle du pharaon (la pyramide à degrés du roi Djeser) nous donne une idée de l’importance du personnage. Sculptée sous la IVème dynastie, autour de 2500 avant J.-C., la statue témoigne de la perfection de l’art sous l’Ancien Empire.

 

La naissance de l’égyptologie

C'est en 1822 que Jean-François Champollion perce le mystère des hiéroglyphes et traduit intégralement la Pierre de Rosette, découverte en 1799 par un officier français lors de la campagne d'Egypte, et qui tient en haleine à l'époque les cercles intellectuels européens. Champollion met en lumière cette écriture au système complexe, "un mélange de signes figuratifs, symboliques et phonétiques". La connaissance de l’Egypte antique est désormais possible et suscite un véritable engouement en Europe. En France, Chateaubriand prédit :"ses admirables travaux auront la durée des monuments qu'il vient de nous expliquer" et avoue à la fin des Mémoires d’outre-tombe son admiration pour le génial inventeur : "l'histoire a fait parallèlement au fond du temps des découvertes immenses ; les langues sacrées ont laissé lire leur vocabulaire perdu ; jusque sur les granits de Mezraïm, Champollion a déchiffré ces hiéroglyphes qui semblaient être un sceau mis sur les lèvres du désert, et qui répondait de leur éternelle discrétion".

De nombreux savants mais aussi quelques aventuriers tentés par cette "chasse au trésor" sont envoyés pour acquérir au profit des cours royales ou des musées des antiquités qui n’intéressent pas les autorités locales. Après l’acquisition d’un premier ensemble pour le Louvre en 1826, Champollion est chargé par le roi d’enrichir les collections du Louvre. C’est ainsi que voit le jour le Musée Charles X qui deviendra le Département des antiquités égyptiennes du Louvre. Champollion en est nommé le premier Conservateur.

 

La création du Service des Antiquités en Egypte

Le site archéologique de Saqqara découvert par Auguste Mariette, autre père fondateur de l’égyptologie et successeur de Champollion au Louvre, continue à être fouillé par les équipes du Louvre. Le Scribe accroupi donné à la France au titre du partage des fouilles entre le pays d’origine et le pays du découvreur trouva naturellement sa place au Louvre. Mariette, qui voulait mettre fin au pillage systématique des antiquités, a organisé des recherches scientifiques et mis sur pied le Service des Antiquités en Egypte, officiellement créé en 1858. Son action aboutit à la création du premier musée d’antiquités égyptiennes au Caire. Mariette est si lié à l’Egypte et a tant fait pour l’archéologie égyptienne qu’il est enterré au Musée égyptien du Caire, Place Tahrir. 

 

La transmission des connaissances

Ce Scribe accroupi, qui ouvre les festivités de l’année Champollion, rappelle le rôle majeur de la France à la création de l’égyptologie. L’Egypte antique, avec ses monuments grandioses et muets jusqu’à Champollion, continue à livrer au gré des fouilles un passé fait de textes sacrés, scientifiques et littéraires. Le regard attentif de ce scribe rappelle l’importance de la transmission de la connaissance par l’écrit. En France, l’enthousiasme continu pour l’étude des hiéroglyphes et de l’égyptologie trouve son écho dans la fascination pour cette civilisation qui a laissé à la postérité son culte des morts et celui des dieux. 

L’antique Egypte croyait en une vie après la mort. Dans son tombeau, le défunt disposait de tous les éléments nécessaires à la poursuite de ses activités. Depuis plus de quatre millénaires par son regard brillant, son attention soutenue et sa vivacité, ce scribe semble nous inciter à garder cette concentration et cet enthousiasme pour la vie de l’esprit et la quête de la connaissance. 

Christine de Langle

19/02/2022

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