Les forces de sécurité en présence

26/11/2020 - 7 min. de lecture

Les forces de sécurité en présence - Cercle K2

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Christian Segot et Ziad Hajar sont tous deux Directeurs chez Byblos Group.

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Nous vivons un changement d'époque lié aux bouleversements incessants qui se succèdent et qu'il est temps d'appréhender au périmètre de l'utilisation et de l'organisation de nos forces "globales" de sécurité.

 

Un changement d'époque…

Nos forces de sécurité, qu'elles relèvent du Ministère des Armées ou du Ministère de l'Intérieur, sont confrontées chaque année sur le territoire national et à l'étranger à une pression opérationnelle toujours plus forte qui non seulement les fragilise, participe à une augmentation non maîtrisée du sentiment d’insécurité des français mais aussi décrédibilise l’action politique associée.

Nul intérêt de lister à la Prévert l'étendue des sollicitations bientôt sans même aucun lien entre elles. Qu'il s'agisse sur nos territoires français de lutter contre le terrorisme, la contestation sociale, la crise sanitaire, la criminalité, les fraudes, les cataclysmes, de gérer les interpellations issues de la migration et les agressions ciblées des forces de l'ordre ou de réaliser l'ensemble des opérations et missions extérieures… la coupe et les cours de justice sont pleines, n’en jetez-plus !

On débat sur le volume de personnes (de 10 000 à 3 000 et récemment passé à 7 000) constituant le dispositif Sentinelle lui confiant sur le bout des lèvres de nouvelles missions. On défend des budgets en hausse (+4,5 % pour les Armées) et on rassure sur les coûts des opérations extérieures (un peu plus d'1 milliard d’euros par an ). On crée de nouvelles "opérations" telle que l'opération Résilience pour les militaires dont on a du mal à compter les effectifs, à délimiter les activités dans le temps et in fine à faire dialoguer avec les autorités civiles alors que le terme résilience lui-même est défini comme une composante de la stratégie à bâtir pour "faire face aux crises à venir" ! 

Nous vivons un changement d'époque lié aux bouleversements incessants qui se succèdent qu'ils soient d’ordre climatiques, sociaux, culturels, financiers, géopolitiques… et qu'il est temps d'appréhender au périmètre de l'utilisation et de l'organisation de nos forces "globales" de sécurité. 

 

… et des besoins pressants

Des choix ont été faits avec la fin du service militaire (1997), la politique d’immigration… mais les risques perdurent. Le risque du "terrorisme islamiste" va notamment aller crescendo jusqu'au renversement de tendance qui devra être profond mais qui sera aussi lent à se mettre en place, probablement à l'issue de notre réflexion sur la vision de la France, de notre approche de la laïcité et des moyens que l'on veut se donner. À l'échelle de la planète et de nos interconnexions culturelles, la question se pose pour notre pays de quelle souveraineté pour les lois voulons-nous : celles des hommes ou celles des dieux ?

Notre dotation en équipements pour les forces de sécurité est déterminante, et les innovations et initiatives sont nombreuses, comme la création de l’AID (Agence pour l'Innovation de la Défense), les retombées des salons de Défense et de sécurité (Eurosatory, Euronaval, Le Bourget) ou bien le projet Centurion lancé par Thalès et Safran, définissant un cadre d’accompagnement et de financement de projets dédiés aux innovations pour le combattant. Cependant, faute de financement, nos forces de sécurité bénéficient peu de ces technologies ou, pire, dépendent d'un fabricant étranger alors que des industriels existent en France. Les efforts déployés sont en effet souvent guidés par des préoccupations commerciales de ventes à l'étranger, d'absence de patriotisme économique ou bien même de solidarité industrielle française sur les marchés export. Ne créons-nous pas un trou capacitaire en vendant à l'étranger nos navires et avions militaires en service dans nos armées ?

Nos forces de sécurité ont aussi la nécessité de maintenir un haut niveau d'entraînement et de mise en condition avant projection. Leur sur-sollicitation a un impact sur les femmes et les hommes composant ces forces avec notamment la baisse du taux d'entraînement et la fatigue. Il est certes doux d’entendre les "mercis" mais cela ne remplace pas la préparation des forces. À ce sujet, les médias pourraient communiquer positivement et même si cela fait "moins vendre", les informations seraient autant d'occasions de communiquer sur le lien "Armée-Nation" ou "Forces de sécurité-Nation" !

L'objectif n'est pas de réorganiser les "services" des ministères traitant de la sécurité. Il n'est plus temps et cette action peut être réalisée en parallèle. À noter tout de même que la pluralité de ces services est synonyme d’autant de compétences qui font la richesse des savoirs et savoir-faire français et qui nous sont très souvent enviés à l’étranger.

 

Benchmark Europe

S'il nous est difficile d'être courageux politiquement, soyons au moins observateurs sur les limites et les pratiques d'autres pays voisins. Le terrorisme islamiste et la piraterie moderne ont permis, depuis les années 1990, de développer les ESSD (appellation française datant de 2012 pour "Entreprise de Services de Sécurité et de Défense") surtout anglo-saxonnes. La logique néolibérale anglo-saxonne est ici directement confrontée à notre doctrine nationale d'un domaine de la défense avant tout régalien.

Les ESSD proposent des prestations de sécurité "opérationnelle" plutôt tournées vers des actions internationales extérieures tels que formation, logistique, sécurité de sites sensibles, conseil, assistance tactique et renseignement. Bien que souvent citées comme exerçant des activités de "mercenariat" et réalisant leurs activités à l'international où les marges commerciales sont plus grandes, ces sociétés pourraient réaliser des activités de sécurité en soutien aux forces de sécurité institutionnelles.

Le Document de Montreux finalisé le 17 septembre 2008 et soutenu par la France, l'UE et l'OTAN est un document intergouvernemental qui vise à promouvoir le respect du DIH (Droit International Humanitaire) et des droits de l'homme dans tous les conflits armés où interviennent des entreprises "militaire et de sécurité" privées. Il pourrait inspirer nos dirigeants par sa présentation d'un ensemble de bonnes pratiques au niveau national pour la mise en œuvre des obligations juridiques.

A l’instar de la France, l'Angleterre (Opération Temperer avec 5 100 personnes), la Belgique (Opération Vigilant Guardian avec 1 830 personnes en octobre 2016) ou l'Italie (4 800 personnes à Rome en 2015) ont tous déployé des milliers de militaires depuis 2015. Mais ces plans s'éternisent et sont considérés "intenables" dans ces pays. En Belgique, l’armée pousse pour la mise en place de son plan "200 plus 100", à savoir 200 militaires déployés dans les rues et une réserve de 100 militaires déployable dans l'heure.

En 2015, Israël a armé des citoyens et déployé des agents sans uniforme, ce qui a permis de déjouer plus de 400 attaques par an en 2017 et 2018.

 

Solutions françaises : viser la simplicité !

Les mesures suivantes ont été annoncées et réalisées mais sont-elles performantes pour lutter contre les menaces ou participent-elles réellement à alléger les forces de sécurité institutionnelles ?

  • La Garde nationale, reconstituée en 2016, s'appuie sur les réserves opérationnelles des armées, de la police et de la gendarmerie. Avec un effectif supérieur à 70 000 personnes, le déploiement de cette force issue d'un élan citoyen est compliqué dans sa gestion et bien éloignée d’une "armée bis", comme c’est le cas aux États-Unis ou de l’"obligation de servir" rigoureux et réactif de la Suisse.   
  • Le Commandement Terre (COM TN), depuis 2017, agit dans le cadre de la protection du territoire et de sa population en soutien de l’action de l'État. Il s'agit d’un pôle d'excellence dédié à la réflexion et à la préparation ayant un rôle essentiellement organique.
  • Les SMA (Service Militaire Adapté), SMV (Service Militaire Volontaire) et l’EPIDe (Établissement Public d'Insertion de la Défense) sont autant de dispositifs militaires d’insertion professionnelle créés entre 1961 et 2015 après des émeutes et attentats.

Certes "l’ultima ratio regum" (la force est le dernier argument des rois), au sens du Cardinal de Richelieu, n’est pas la solution ainsi que l’application du principe de "4i" qui implique de recourir aux moyens militaires si tous les autres moyens ont été indisponibles, insuffisants, inadaptés ou inexistants.

Mais l'existence et le développement en France de sociétés de sécurité ainsi que la présence de nombreux "anciens" militaires ou policiers effectuant assez tôt une seconde carrière dans le civil permettent de penser qu'il existe une solution simple et compétente à portée de main pour "accompagner" les forces armées institutionnelles dans l'organisation de la sécurité des français au quotidien, qui s'avère de plus en plus nécessaire.

Les prestations de gardes armés (armes de catégories B et/ou D) ou agents de surveillance renforcée (ASR) sont possibles avec une autorisation d'exercice délivrée par le CNAPS et une autorisation de mission délivrée par la préfecture compétente. Les agents suivent une formation préalable, possèdent une certification professionnelle et ont des entraînements réguliers et obligatoires. Les forces de police elles-mêmes souffrent d'un manque de formation et de moyens !

L'objectif n’est pas de banaliser les forces armées qui doivent être sollicitées par l'autorité publique dans les cas les plus graves de l’état d’urgence à l’état de siège ou de guerre. Mais il faut maintenir les modes d'actions qui reposent sur des savoir-faire et des équipements militaires, vaincre la routine et préserver le dynamisme d'actions (de postures) variées.

Il serait judicieux que les États puissent enrôler dans le cas de la sécurisation du TN (Territoire National) toutes les forces de sécurité et de protection disponibles, au nom de leur "complémentarité" et face à une situation d'"état d’urgence" d'une menace principalement terroriste et entrée dans le droit pénal commun (cf. "Le droit pénal de l’ennemi", Linhardt et Moreau de Bellaing, 2017) (*). 

On s'habitue aux masques ; ne devrait-on pas aussi s'habituer à une présence militaire systématique et rassurante ?

 

Conclusion

L'émergence des attaques massives ciblant les actifs d'un pays n'est qu'une question de temps.

L'état d'urgence sanitaire vient d'être voté, l'état d'urgence attentat vient d'être activé par le gouvernement, d'autres pays européens limitrophes sont aujourd’hui touchés par ces mêmes menaces… N'est-il pas urgent de se donner des moyens pour assurer le réalisme de ces prises de décisions ainsi que leur résilience ?

De nouveaux débats à l'Assemblée nationale sur la proposition de loi portée par Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot relative au continuum de sécurité nationale devraient avoir lieu. Le sujet a déjà été débattu, un cadre légal est en place. Certes, tout n'est pas parfait mais n'est-il pas temps de passer à l'action, de faire preuve de courage, de confiance et de vision pour juguler ces crises ?

Christian Segot et Ziad Hajar

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* Linhardt, D. et Moreau de Bellaing, C. 2017, "La doctrine du droit pénal de l'ennemi et l'idée de l'antiterrorisme. Genèse et circulation d'une entreprise de dogmatique juridique", Droit et Société, n° 97, p. 615‑640.

26/11/2020

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