Ne nous leurrons pas ! Les Démocrates américains vont avant tout défendre les intérêts stratégiques des États-Unis dans la guerre économique…
09/11/2020 - 3 min. de lecture
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Nicolas Moinet est Professeur des universités à l’IAE de Poitiers.
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Depuis trop longtemps maintenant - des jours qui semblent des semaines -, les médias français se focalisent sur l’élection du 46ème Président des États-Unis. L’excessive couverture de ce qui est certes un évènement important des relations internationales compte tenu du surpoids de l’Oncle Sam n’augure pourtant rien de bon pour nous européens et français sur le front de l’économie. En effet, nos élites, subjuguées par un camp démocrate plus proche de nos valeurs (notamment dans le domaine de l’écologie), ne doivent pas oublier que celui-ci est passé maître dans l’art de la guerre économique. Et cela n’est pas nouveau [1] !
Précisons d’emblée que je n’ai aucune affinité pour le Républicain Donald Trump qui fut d’ailleurs à ses débuts Démocrate. Son mandat fut sans aucun doute une souffrance pour les Américains qui aiment la décence en politique et la modération. Et si je devais choisir entre une partie de golf avec lui ou un match de Basket avec Obama, voire même un jogging à Central Park aux côtés de Kamala Harris, mon choix serait vite fait en faveur de ces derniers. Non, plus sérieusement, revenons un peu sur terre et sur un des thèmes majeurs des années à venir : la guerre économique. Oublions cette émotion que l’on observe sur les réseaux sociaux de la part de français qui se sont tout à coup transformés en électeurs américains quand, dans le même temps, notre pays s’enfonce dans la crise [2] sur fond d’atmosphère insurrectionnelle [3]. Bref, réveillons-nous !
Depuis la fin de la Guerre froide et la percée du Japon dans des secteurs stratégiques comme la micro-électronique, les deux camps politiques ont mis en place une machine de guerre économique de haute intensité pour la défense des intérêts stratégiques américains. Aux États-Unis, le patriotisme économique n’est pas un vain mot et transcende les partis [4]... surtout depuis que la Chine a fait son entrée dans la course à la suprématie mondiale. Mais il apparaît clairement que les Démocrates ont développé une doctrine dite de sécurité économique plus fine, dont les effets n’ont pas mis beaucoup de temps pour paraître au grand jour. L’une des premières affaires médiatiques fut l’intervention de Bill Clinton en faveur de l’américain Raytheon dans l’obtention du marché des radars en Amazonie au détriment du Français Thomson-CSF [5]. Puis, il y eut la bataille pour récupérer la technologie des cartes à puces par un fonds d’investissement dirigé par un ancien conseiller du même Clinton [6]. Sous la présidence Obama, l’extraterritorialité du droit américain va jouer à plein et des entreprises européennes comme Siemens, Total, Volkswagen, Alstom ou plusieurs banques, vont en faire les frais [7]. Nous pourrions multiplier les exemples mais, sur ce sujet, un schéma vaut mieux qu’un long discours.
source : J-C. Empereur
On le voit. L’intelligence du dispositif de souveraineté technologique américain consiste dans l’articulation des trois domaines que sont l’intelligence, l’innovation et l’influence. Or, ces trois domaines sont clairement plus proches des Démocrates que des Républicains. Les services de renseignement américains n’étaient pas en phase avec Trump. Les mastodontes de la Silicon Valley soutiennent clairement les Démocrates. Idem pour les grandes universités. Et faut-il insister sur la préférence d’Hollywood, de CNN ou de nombreux Think Tanks qui fabriquent le soft power américain ? Certes, tout cela n’est pas monolithique mais, de toute façon, les deux camps se retrouvent généralement quand il est question de conquête des marchés et de sécurité économique. Et puis, il ne faut pas oublier que les pouvoirs du Président américain sont relatifs, surtout quand il ne dispose pas de la majorité au Congrès. Ah oui, un dernier détail. Intéressez-vous au programme de Joe Biden sur ces questions, vous ne serez pas déçus (un protectionnisme renouvelé [8])...
En conclusion, il ne fait aucun doute que les États-Unis vont poursuivre la guerre économique contre la Chine et que, dans ce domaine, les européens resteront une variable d’ajustement stratégique. Peut-on leur reprocher ? Ne nous trompons pas de sujet. La question n’est pas d’être pour ou contre les États-Unis, de savoir si les Démocrates sont plus "sympas" que les Républicains et s’il faut, oui ou non, continuer à regarder des séries US sur Netflix. L’urgence est de savoir quel destin commun nous voulons réellement. Souhaitons-nous que la France et l’Europe continuent d’être le champ de manœuvre de la guerre économique sino-américaine, comme nous l’a tristement montré, par exemple, l’affaire EDP [9] ? Ou sommes-nous prêts à résister pour retrouver notre souveraineté ? "Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts", aimait rappeler le Général de Gaulle. Ne l’oublions pas !
09/11/2020