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Le Général (2s) Jean-Pierre Meyer a accompli une partie de sa carrière dans le renseignement et les opérations. Il a notamment été Directeur des opérations à la Direction du renseignement militaire, puis Directeur au Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale. Il a accompli, par ailleurs, plusieurs séjours en opérations extérieures, notamment à Sarajevo comme commandant en second des forces multinationales.
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Officier, un métier et une vocation
D’aussi loin que je me souvienne, l’Armée a toujours nourri mon imaginaire.
Pouvait-il en être autrement pour un jeune esprit lorrain ayant grandi à Metz, ville de garnison, et qui, à cet âge de la jeunesse où tout vous fait impression et où les charmes de l’aventure vous guettent à chaque coin de rue et ne demandent qu’à vous embarquer, a été saisi d’émotion en assistant aux cérémonies militaires sur la place d’Armes et à la relève de la Garde Nationale devant le palais du Gouverneur ?
Il m’arrive encore d’être étreint par l’émotion lorsque, plus de soixante après, je reviens à Metz sur la place d’Armes. Je retrouve alors, à travers le souvenir, comme en surbrillance, le jeune homme que j’étais, regardant de tous ses yeux et écoutant de toutes ses oreilles la parade militaire, qui ne défile pourtant que dans mon cœur… Nous sommes faits de "l’étoffe de nos rêves". Mon histoire avec l’Armée est peut-être, dans mon ressort le plus intime, une histoire d’émotions. J’ai consacré quarante ans de ma vie à l’institution militaire, avec fierté, honneur, responsabilité.
Les vocations les plus solides peuvent ainsi naître de la plus fragile des impressions, de la poésie d’une rencontre entre une sensibilité et les rituels d’une institution séculaire qui vous ouvrent un monde nouveau et tellement plus grand que vous.
Quand, aujourd’hui, je vois le développement de l’Armée et son orientation vers toujours plus de technologie, je crains qu’elle ne renonce à ce qui en fait l’âme, le lien indéfectible entre les femmes et les hommes qui la composent, pour la recherche de la plus grande efficacité. Comment faire naître la volonté d’engager sa vie dans l’Armée lorsque les opérations militaires se présentent à vous sous la forme d’un nouveau jeu vidéo, comme le propose par exemple la dernière création de Microsoft, le casque IVAS, vendu à l’armée américaine, où le soldat effectue ses manœuvres en réalité augmentée, avec force données fournies en temps réel ? Cette tentation de notre époque à se suréquiper et à se sursaturer d’informations, qui témoigne d’une crainte de plus en plus prégnante de l’incertitude et du danger, ne pourra, je le crains, que favoriser les tempéraments velléitaires au détriment de la vaillance et du courage.
Le sens profond de notre engagement, à nous les femmes et les hommes de nos armées, est de servir et de protéger notre pays, au péril, si nécessaire, de notre vie. Lors de ma carrière, j’y ai déployé, je l’espère, le meilleur de moi-même, avec un sens aigu du devoir et un attachement sincère aux personnes placées sous mon commandement.
Mes premiers souvenirs de ma vie militaire s’attachent à un autre monde, à un autre temps. Je me souviens notamment de nos exercices, en pleine guerre froide, près du rideau de fer. Nous observions, de l’autre côté, les soldats d’un autre drapeau, notre ennemi en devenir, dans la lunette de nos jumelles. Nous leur faisions face, incertains de l’avenir en germe, entourés d’une menace omniprésente, risquant à tout moment de faire éruption, mais prêts, si la guerre devait embraser à nouveau notre continent, à nous opposer à toute invasion. Notre présence militaire armée a eu sans conteste un effet dissuasif salvateur.
Notre pays s’est trouvé moins exposé après la chute du mur de Berlin et de l’Empire soviétique, mais pas notre continent, qui allait être en proie à la résurgence de tensions nationalistes auxquelles la France ne pouvait rester indifférente.
J’ai pu livrer quelques anecdotes sur les conditions dans lesquelles nos armées avaient porté et défendu nos valeurs humanistes à Sarajevo et dans les Balkans, où toute notre mission était contenue dans cette formule du Président Mitterrand : "ne pas rajouter de la guerre à la guerre".
Lorsque le temps de ma dernière mission est arrivé, je l’ai accomplie dans le renseignement, c’est-à-dire dans l’anticipation stratégique des menaces sur les intérêts français.
J’ai eu, au cours de ma carrière, l’honneur d’assurer le commandement de femmes et d’hommes de valeur, dévoués et généreux, toujours respectueux de l’autorité et ne rechignant jamais à la tâche. J’ai toujours considéré mon rôle comme ne se limitant pas à préserver leur vie, mais impliquant une dimension formatrice dont j’avais moi-même bénéficié en mon temps. Je me suis efforcé de donner sens à leur engagement en leur apportant toute explication sur notre mission, le cadre politique, voire géopolitique, dans lequel elle se plaçait, l’histoire du pays où nous intervenions et l’historique de la crise qu’ils affrontaient.
J’ai aussi eu à cœur, lorsque mes missions me le permettaient, de favoriser les rapports entre la force armée et la population locale, notamment par l’apprentissage de la langue, au moins de ses rudiments. Je n’ai pas non plus négligé le moral et la motivation des femmes et des hommes sous mon commandement ainsi que l’importance de garder le lien avec leurs familles, en leur permettant, autant que possible, de communiquer avec elles grâce à des moyens militaires mis spécialement à leur disposition.
J’avais également conscience que mon rôle d’officier avait une portée sociale. Formé à la lecture du Maréchal Lyautey et de ses œuvres sur le "rôle social de l’officier", j’ai essayé de répondre du mieux que je pouvais à cette responsabilité. J’ai ainsi participé, en Allemagne et en France, à la formation des appelés du contingent, en leur apprenant les bases de la vie collective, à se respecter les uns les autres, à se dépasser physiquement en sport ou sur le terrain, à connaitre l’histoire de notre pays et à chanter la Marseillaise à l’occasion du lever des couleurs. Je les ai aussi accompagnés dans leur retour à la vie civile, en aidant par exemple de jeunes soldats arrivés presque illettrés au régiment à préparer leur certificat d’études ou des jeunes en difficulté à trouver un emploi civil.
Je crains que notre société n’attache plus la même importance aujourd’hui à ce sens de la transmission et à ces valeurs qui m’apparaissent comme du plus simple humanisme. J’ai le sentiment qu’un certain utilitarisme a pris le pas, tant notre époque fait la part belle aux compétences techniques et à l’efficacité. Si ces qualités favorisent, sans nul doute, de brillantes carrières professionnelles, elles ne sont toutefois porteuses d’aucune action durable et profondément transformatrice. Or, l’épanouissement individuel ne peut s’envisager, j’en ai la conviction, sans la volonté d’œuvrer pour tous.
Je n’ai aujourd’hui pas de plus grand bonheur que de recevoir des marques de reconnaissance de la part de ceux qui ont partagé mes engagements et qui me rappellent les mille souvenirs qui nous lient pour toujours et à jamais. Ils font de l’unité de vie que nous avons formée une profonde histoire humaine...
11/04/2021