Protéger nos libertés en mesurant la sécurité dans sa globalité
18/01/2021 - 5 min. de lecture
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Patrick Laclémence est Professeur à l’Université de Technologie de Troyes (UTT), Directeur de l'Institut de Sécurité Globale et Responsable du Master en Sécurité globale appliquée.
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Plus de trente-cinq ans après la chute du Mur de Berlin, alors que les banquiers continuent à jouer à ce qu’ils appellent le "Global Player", le monde s’est arrêté brusquement avec un virus, le Covid. L’ère de l’hyper mouvement est bousculée par celle de l’hyper connexion et les réseaux sociaux. La communauté humaine est soumise à une tension sur les structures sociales. Or, la pression se déporte sur les libertés à l’épreuve des menaces. Le défi pour l’État est de réorganiser, notamment par la sécurité. Ce processus de rééquilibrage est une des préoccupations majeures de nos démocraties. Au cours des dernières décennies, les transitions et les ruptures se sont multipliées. Au fil de ces soubresauts sociétaux, le décideur a dû s’inscrire dans un écosystème en mouvement permanent et faire face à des enjeux fondamentaux concernant les libertés.
La première des préoccupations concerne les conséquences sur nos bassins de vie. Sans reprendre toutes les théories entre nos libertés et la sécurité, l’architecture d’une démocratie repose sur un principe d’adhésion et des obligations. Il est à la base des responsabilités de chacun.
La démocratie organise ce lien entre le pouvoir et le citoyen. Il est légitimé par une méthode participative. Le mode électoral en est une pièce maitresse. Ce consensus entre le citoyen et le pouvoir nous amène à gérer les libertés et le "vivre ensemble" sur la base d’une adhésion. Cela s’inscrit sur un fil conducteur stable, durable et protégé par les lois. Au cours de ce processus, le "libre arbitre" est un enjeu majeur ! Il est le fruit de la connaissance, la transmission et l’apprentissage de la vie. Pour simplifier et éviter d’ouvrir des débats, le pouvoir doit être légitimé pour être reconnu et accepté. Il émet des lois afin d’établir des devoirs et des responsabilités. Pour l’application, des acteurs sont missionnés pour protéger les bassins de vie.
Les trois théories avancées par John Locke, Thomas Hobbes et Jean-Jacques Rousseau, quoique divergentes en certains points, renvoient à la même idée de l’État. Chaque individu peut céder une partie de sa liberté en contrepartie de définir certaines règles de vie ensemble. Dans ce cadre, nos démocraties s’organisent pour protéger les libertés des plus faibles. La sécurité est alors au service des libertés et non l’inverse. Et si l’État dispose de la force publique, comme l’a définie Max Weber en 1920, elle se concrétise par un consensus avec les citoyens. La "violence légitime" est soumise à la "légitime violence" définie par la loi. Or, cette réponse passe par un regard décalé et une prise de distance permettant la conscience de la force à employer. Le décideur institutionnel est au cœur de cette prise de distance pour agir. Pour rester dans l’approche opérationnelle, il n’y a qu’à observer ce sportif de haut niveau qui s’entraîne et structure sa puissance par la maîtrise de son "art du combat". Il fortifie ses faiblesses, capitalise ses pratiques et se positionne à son avantage pour réagir.
En un mot, il reprend la main ! On comprend alors la notion de gestion de crise et les actions portant sur le concept de "violence légitime" de Max Weber. Elles sont sous-entendues par une prise de distance nécessaire avec la rupture de crise ou l’agression pour s’extraire de l’immédiateté du temps et des évènements. La réaction doit être mesurée, évaluée et organisée. La structuration de la réplique affirme la mise en place d’une méthode pour disposer de tous les moyens à utiliser.
Or, les rythmes, les transitions et les mutations mettent de plus en plus rapidement les décideurs au "pied du mur". Face aux vulnérabilités et aux menaces, les épreuves se multiplient. Elles entraînent des peurs et des angoisses qui affaiblissent la vigilance, le décalage et les choix. Et si la terreur est l’objectif du terrorisme, elle engendre une frayeur extrême "au cœur" des populations. Les attentes sécuritaires sont alors en tension avec nos libertés.
Le piège tendu serait de ne plus s’interroger sur le "libre arbitre !"
Dès 1989, alors que le monde s’ouvre sur la globalisation, une interface avec des écosystèmes extérieurs est créée. L’Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure (IHESI, 1989) modifie les rapports entre les différentes institutions chargées de protéger les Français. Un écosystème ouvre une réflexion avec le monde scientifique, professionnel et industriel. En 2001, l’IHESI et l’Université de Technologie de Troyes prennent l’initiative de développer un regard encore plus décalé sur la réponse sécuritaire. Ces deux institutions renforcent l’approche transverse avec les différents acteurs en y intégrant aussi les technologies. La volonté est de mesurer les apports et les tensions portés sur nos libertés.
Cette initiative ouvre un champ de réflexion stratégique au sein même des différents ministères. Une publication collective, "Imaginer la sécurité globale", propose en 2005 le continuum de la "sécurité dans sa globalité". L’Agence Nationale de la Recherche, créée la même année, met en place la première plateforme de gestion à Troyes. Elle est consacrée à la constitution de consortium sur le programme "concept et outils pour la sécurité globale". Les activités concernant la sécurité s’organisent et engagent peu à peu une multiplicité d’acteurs institutionnels, territoriaux et privés.
Le défi est de coordonner un écosystème d’acteurs du public et du privé sur la base d’un triptyque de réponses à l’urgence, la proximité et la permanence. L’objectif est d’autant plus primordial que l’évolution de la sécurité s’interface avec l’intelligence "dite artificielle". Cette association nous amène peu à peu à accepter des modèles et des outils dans des champs difficilement perceptibles. Et si rien n’est plus facile que d’accepter un nouveau programme sur "iPhone" ou "iPad", l’adhésion au système est plus obscure. Basée sur le dogme de la continuité, les constructions de systèmes complexes se développent. "Hors des temps humains et sociaux", la régulation sociale est gérée par des outils ouvrant des perspectives exceptionnelles. Avec 75 milliards d’appareils interconnectés en 2025, l’Internet des objets représentera une plus-value de confort de vie à l’usage. Le défi sera de dépasser la "complexité" et ses systèmes pour repositionner le décideur au centre de l’action. L’intelligence "dite artificielle" reste le fruit de "l’intelligence humaine" intuitive, passionnelle, émotive, collaborative. Pour concilier efficacité, proximité et réactivité, la recherche à finalité opérationnelle propose ce regard décalé. Cette approche est développée avec les acteurs de la sécurité et des crises afin de protéger nos libertés. Elle est plus que jamais d’actualité pour préserver le "libre arbitre" lié à une "intelligence sensible" inscrite au cœur des émotions et des territoires !
18/01/2021